Je ne vais pas vous mentir, je salivais sur la programmation de la 28ème édition des Suds à Arles quand je suis tombé sur cette mystérieuse combinaison : S-R-9. Que voulait bien dire ce code ? Je repensais à la 9ème page du dernier livre de Ségolène Royal (S.R) si difficile à atteindre quand la sonnerie de mon téléphone – la reprise au marimba du tube Show Me Love – retentit. Coïncidence ? Je ne pense pas.
À l’autre bout du fil, Rosalía me propose d’aller rencontrer le Trio-SR9 au Festival Les Suds à Arles pour découvrir leur reprise de Malamente interprétée par Camélia Jordana. Ni une ni deux, je saute dans un avion et je pars mener l’enquête.
OK, je ne ne vais vraiment pas vous mentir, je suis venu en train et je n’ai lu que 3 pages du dit-bouquin mais, j’ai véritablement décodé le mystère SR9. En représentation exceptionnelle à Arles, le trio garni d’invité·e·s aux doux noms familiers comme Sandra Nkaké, Malik Djoudi ou La Chica était venu donner vie à son album Déjà Vu sur la scène du Théâtre Antique.
C’est finalement Barbara Pravi qui reprendra ce soir-là le tube de Rosalía (menteuse) sur les pas de danse de Flèche Love, deux nouvelles invitées d’un show qui ne s’interdit pas de varier ses partenaires au gré des dates. Le concert fut une collection de performances magnifiques, de surprises et d’airs archi-connus sur lesquels il était difficile de ne pas chanter son plus beau yaourt. Une expérience live rare dans laquelle chaque participant·e a brillé par son style. Ajoutez cette fabuleuse refonte de Happy chantée par Camille et vous comprendrez mon plaisir d’avoir pu découvrir ainsi, en live, ce fameux Trio SR9.
SR9 pour square root nine, racine carrée de neuf en anglais. Entendez : Paul Changarnier, Nicolas Cousin et Alexandre Esperet, les trois percussionnistes à l’origine du projet. √9 comme une seule et même figure à l’ombre d’un symbole dont la silhouette pourrait être celle du marimba, leur instrument fétiche. Trio SR9 comme trois jeunes hommes aux sourires en coin, en croisade contre les préjugés poussiéreux, les zones de confort et les étiquettes sur les bacs de disques, à l’image de leur label « Nø Førmat! ».
Après avoir cherché ce qu’il y avait de plus moderne dans le classique chez Ravel, Bach ou Satie, les trois amis changent de sens et creusent les tubes pop pour décrypter ce qui en fait des classiques. Accompagnés de voix qui ont d’la gueule, leur nouvelle création s’approprie les hits réarrangés pour marimbas, verres musicaux et divers instruments percussifs autoproclamés. De Pharrell Williams à Rosalía, Lana Del Rey ou Billie Eilish, les 10 titres de Déjà Vu, sorti l’an dernier, proposent une expérience jouissive aux nouveaux visages surprenants.
Maintenant que j’avais résolu l’énigme SR9, il me restait 20 minutes pour discuter avec eux de leur album, de leur live et de leur démarche. Ça tombe bien, ces trois-là sont très sympas.
Comment est né ce projet ?
Alexandre : On s’est rencontrés en étude au Conservatoire de Lyon. On trainait ensemble, on sortait ensemble et donc, quitte à en faire notre métier, on s’est dit : « pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas de la musique ensemble ».
Paul : C’est en sortant du conservatoire qu’on s’est rendu compte à quel point très peu de gens connaissaient le marimba. C’est original pour le public mais pour nous – percussionnistes – c’est un instrument très commun. On s’est donc demandé comment nous pourrions participer à le faire connaître. C’est un long chemin qui va de J.S Bach jusqu’à la musique actuelle.
Qui est Clément Ducol, le quatrième membre de cet album ?
Nicolas : Clément a eu un rôle très important. Il a accompagné toute notre démarche et a arrangé chaque titre. Du fait de sa formation de percussionniste, à Lyon également, il avait le souhait de travailler exclusivement avec des percussions. On a fait ça ensemble de A à Z. Au-delà de son travail sur l’album, il nous aide à développer la mise en scène du live et ses spécificités. Il sera bien sûr à nos côtés ce soir à Arles.
Comment avez-vous procédé pour adapter ces hits ?
Paul : On enlève tout ce qui touche à « la prod » de chaque titre pour ne garder que l’essence. Ça peut être un rythme, une couleur ou un petit détail auquel on s’attache, et on essaye de trouver au cœur de tout ça ce qui marche dans le morceau. Ils sont supers connus et ont été écoutés des millions de fois et on en cherche la raison. À travers ce travail de recherche, on découvre aussi ce qu’il y a d’incroyable dans ces tubes très populaires.
Alexandre : Je me souviens qu’on détestait certains morceaux à l’origine. Et puis en travaillant dessus, en les jouant et en les adaptant, l’une des ces pistes est devenue ma préférée. Le fait de tout jouer en acoustique donne vraiment une autre couleur à ces titres et on se les réapproprie totalement avec nos instruments faits sur mesure.
Verres musicaux, pièces de bois ou de métal, pourquoi ne pas vous contenter des marimbas ?
Alexandre : En tant que percussionnistes on a toujours eu cette quête de sonorités nouvelles, d’expérimentation globale. On se voit comme des artisans du son. Tandis que Clément faisait ses arrangements, nous on ajoutait notre patte sonore à travers la lutherie instrumentale. Au final, on a créé notre propre interface et on trouve ça génial. On n’a pas toujours le même instrument le matin quand on se lève, c’est une évolution perpétuelle de nos modes de jeu et de notre monde sonore. Ces objets qu’on utilise comme des instruments sont très personnels. On teste de nombreuses choses, mais parfois on va trop loin, ou la sonorité ne s’intègre pas à l’ensemble, donc on doit les mettre de côté.
Paul : Il y a des objets géniaux qui n’ont pas été utilisés dans nos morceaux donc on stocke chez nous toutes ces belles trouvailles encore endormies. Sinon quand on est partis jouer au Japon, la moitié des verres ont été pété donc ça a été l’occasion de faire du tourisme à Kyoto (rire).
Ça doit rendre difficile votre passage du studio à la scène comme ce soir au Théâtre Antique ?
Paul : On a déjà joué ce live deux fois à l’automne dernier avec ce casting élargi (au Théâtre du Châtelet et à l’Opéra National de Lyon). Un des principaux défis est que ce disque était pensé comme un album studio, donc chaque titre a une instrumentation particulière. C’est impossible à faire en live car ça demanderait quinze minutes entre chaque morceau. On a donc aussi dû adapter cet aspect. Aujourd’hui c’est juste du jeu et c’est très agréable. À l’heure qu’il est, notre équipe est déjà sur l’installation. Ils ont commencé à 9h pour que l’on puisse jouer à 19h. On a une team dévouée qui connaît bien notre matos et des supers régisseurs, c’est capital d’être bien accompagnés dans cette aventure.
Vous jouez ce soir avec Camille, Malik Djoudi, Sandra Nkaké, La Chica, Flèche Love et Barbara Pravi. Comment avez-vous sélectionné ces tubes et les artistes pour les interpréter ?
Alexandre : On avait fait une playlist avec Clément (Ducol) et Laurent Bizot le directeur du label. On a parlé ensemble des artistes à qui on voulait proposer ce défi. Clément en connaissait déjà depuis son projet Autour de Nina. On leur a envoyé les morceaux mais ils nous ont aussi fait des propositions. C’était aussi important qu’ils chantent des titres qui leur parlent même si on allait complètement défigurer les morceaux. La démarche devait aussi venir d’eux.
Nicolas : On cherche aussi à donner une place particulière à la voix. Ces morceaux chantés gardent leur mélodie mais on permet aux voix de s’approprier ces univers qui ne sont pas les leurs et qui leur sont parfois inconnus. Nos instruments ont des sonorités inhabituelles pour les artistes et leurs voix sonnent différemment, donc c’est aussi un travail d’aller chercher cette nouveauté.
Depuis votre premier album en 2015 jusqu’à celui-ci vous cherchez à créer un pont entre musique classique et populaire. Vous voyez-vous comme des vulgarisateurs ?
Alexandre : Déjà quand on faisait du Bach au marimba, les gens venaient plus pour Bach que pour le marimba. Les gens connaissent la percussion mais pas forcément celle-là. Le titre du second album “Alors on danse ?” est aussi totalement dans cette démarche.
Nicolas : L’intérêt avec ces titres hyper connus c’est qu’on touche des gens qui ne seraient pas venus écouter un trio de percussion. Pendant le concert peut-être qu’ils se diront : “je ne pensais pas que ça existait”. On espère que c’est quelque chose qui se passe quand on joue, qui est inconscient chez eux mais une démarche totalement volontaire de notre part.
Avez-vous déjà vu Déjà Vu ? Maintenant oui. Et pour l’écouter c’est ici :
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