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Tinariwen : « Notre monde a un virus qui n’est pas celui de la pandémie »

Faut-il encore te présenter Tinariwen ? Plus de 40 ans qu’ils jouent autour du monde le desert blues qu’ils ont créé dans leur Sahara et leur musique n’est pas encore arrivée jusqu’à toi ?

Certes, tu n’étais pas au Bataclan en 2007 pour les voir jouer avec Led Zep. Encore moins au Stade de France quand ils faisaient la première partie des Red Hot en 2012. Tu n’as pas vu en 2017 leur passage chez KEXP, la radio publique de Seattle qu’on adore, ni au Late Show de Stephen Colbert deux ans plus tard. Rien, nada, walou. Tu auras donc soigneusement slalomé depuis ta naissance entre la dizaine d’albums et de clips savoureux qui ont fait leur renommée internationale. Je ne sais pas si je te plains ou si je t’envie le plaisir de les découvrir.

Jack White – lui – n’a pas eu cette malchance. Voilà des années que le leader des White Stripes est fan et il a tenu à les inviter dans son studio à Nashville pour marier sa country américaine à leur blues africain sur leur neuvième album : Amatssou. Après déjà deux albums que le groupe touareg se frotte aux sonorités folk ou stoner, ce trait d’union de 9000 Km n’impressionne guère le guitariste Abdellah ag Alhousseini.

On ne met pas de barrière dans notre musique, nous sommes ouverts à toutes propositions. Nous avons des amis musiciens qui jouent de la country, du classique ou du rock et nous aimons nous enrichir de tout cela. La musique que nous jouons, nous l’avons créée. Comme ce n’est pas une musique traditionnelle, on peut y intégrer toutes les influences que l’on veut.

Une pandémie plus tard, les 12 titres ont finalement été enregistrés au sud de l’Algérie à Djanet tandis que certains ajouts ont été envoyés depuis Paris, Los Angeles ou… Nashville évidemment. Des conditions bien particulières motivées par des impératifs sanitaires, pratiques mais aussi sécuritaires car quiconque ne s’invite pas dans leur vaste région facilement…

Il faut que tu comprennes – camarade – que la musique de Tinariwen est politique. La liberté d’expression, l’appel à l’autodéfense, l’autonomie culturelle prônées par Tinariwen sont des notions brûlantes sur ce territoire à cheval entre le Mali, l’Algérie, la Mauritanie, le Niger ou encore la Libye. Depuis des décennies, un péril en chasse un autre : la colonisation, la répression, l’exil et plus récemment l’islamisme ou la sécheresse. Un état de crise permanent que déplore le musicien.

Abdellah ag Alhousseini : En ce moment, il y a comme une tempête de sable qui avance partout dans le monde. C’est lié au fait que nous vivons une période de grands changements. Je ne peux pas dire quelle en sera l’issue – bonne ou mauvaise – mais depuis plusieurs années elle gagne du terrain, notamment en Afrique. Auparavant les conflits étaient plus clairs, on pouvait nommer les guerres en Éthiopie, en Iran, en Irak ou en Afghanistan. Aujourd’hui les menaces sont sourdes et ni l’occident ni la France n’y échappent.

 

Fidèle à son souhait d’ouvrir les esprits à certaines causes qui dépassent parfois la musique, le festival les Suds à Arles recevait pour sa deuxième soirée 7 hommes en bleu (ou presque) sur la scène du Théâtre Antique. Après que les Nana Benz du Togo aient chanté plus de consentement et de droits pour les femmes, le public arlésien – particulièrement enthousiaste – a pu savourer un des moments les plus forts de la semaine lors de leur généreux concert. Les mélopées Tamasheqs ont raisonnés sur les pierres romaines, soumises à un sablage en règle par Ibrahim ag Alhabib et ses complices. On soupçonne par ailleurs l’excellente basse de s’être associée à la chaleur ambiante pour faire dégouliner le public du haut des gradins vers la fosse pour une danse collective.

Abdellah ag Alhousseini : C’est toujours un grand plaisir de venir faire des concerts en France, les salles sont combles et l’ambiance est bonne. Les liens avec ce pays sont très forts. La France est un des premiers pays où nous sommes allés hors du Sahara. C’est aussi un passage obligé pour aller aux États-Unis, au Japon ou en Australie où nous avons joué. Toute notre équipe est également composée de français et bien sûr, c’est dans cette langue que l’on communique avec le monde.

Tinariwen au Théâtre Antique ©Florent Gardin

Tinariwen au Théâtre Antique ©Florent Gardin

 

Au cours de sa longue carrière, le groupe à géométrie variable a vu plusieurs musiciens intégrer ou quitter la bande. Certains participent aux tournées, d’autres leur préfèrent le studio mais au-delà des chants, chaque prise de parole est surtout pour eux l’occasion de témoigner des terribles menaces qui pèsent sur leur communauté. Tinariwen, c’est avant tout un cri du cœur pour la reconnaissance et l’amélioration des conditions de vie de la culture Amazighe. “Des écoles pour nos enfants, des puits pour nos bêtes, le droit de pâturer sur notre territoire… En cinquante ans, nous n’avons rien obtenu” confiait l’un des membres à Libération en 2012. Onze ans plus tard, la situation semble même s’être empirée.

Abdellah ag Alhousseini : Chez nous ces derniers temps c’est une véritable catastrophe. Notre monde traîne un virus qui n’est pas celui de la pandémie. On ne peut même pas définir tel ou tel problème tellement rien ne va plus. Que ce soit vers le Niger, la Libye ou le Mali, tout le territoire saharien est complètement instable. Notre monde craque et se fissure dans ses zones les plus fragiles. Chez nous il n’y a pas de sécurité, de moyen ni même de volonté pour combattre le virus dont je parle. Heureusement je crois qu’il existe une puissance supérieure qui surveille et qui jugera ceux qui pensent pouvoir faire ce qu’ils veulent.

Tinariwen © Marie Planeille

Tinariwen © Marie Planeille

Porter cette rengaine aux quatre coins du monde et leur musique sublime et douloureuse, voilà un défi quotidien relevé par ces musiciens, ces pères, ces frères inquiets pour l’avenir de leurs proches. Ils présentaient ce soir-là leur nouvel album dont le titre « Amatssou » signifie « au-delà des peurs ». Un disque chargé plus que jamais de cris qui s’évaporent encore trop en cheminant vers le nord à travers les dunes et la méditerranée. La tempête dont parle Abdellah gronde pourtant au-delà du Sahel et bien des champs de batailles semblent poindre à l’horizon. Alors même si les musiciens ont troqués leurs armes contre des instruments, n’attendez pas d’eux qu’ils parfument leurs chansons de messages de pacifistes.

Abdellah ag Alhousseini : Notre musique ne chante pas la paix, elle chante les problèmes. Nous chantons la résistance. A défaut de chanter la paix, nous chantons pour qu’elle arrive. Pour cela nous devons nous défendre et cela peut passer par une forme de guerre. Une guerre pour trouver la paix. Nous portons cette lutte dans l’espoir d’avoir notre place dans notre Sahara.

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