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Les Suds à Arles 2024 : cocktail détox

Explorateur, curieux et poète, voilà 29 ans que le festival que dirige aujourd’hui Stéphane Krasniewski fait cap aux Suds et pioche sa prog’ moderne aux esthétiques traditionnelles dans un réservoir en perpétuelle réinvention. 29 ans de navigation ponctuée d’escales émancipatrices vers un sud supposé, là, au pied d’un horizon intouchable. N’en déplaise aux recroquevillé·es qui voudraient voir ces mélodies et leurs musicien·nes se cogner dans nos frontières imperméables ou échouer sur nos rives saillantes, la Terre est ronde, son patrimoine est vivant et les idées tout comme la Musique traversent aussi bien l’espace que le temps.

Passer la semaine aux Suds, c’est collectionner au fil des jours des sonorités du monde entier que leurs musicien·nes n’ont pas laissé se fossiliser dans un folklore de tour operator. Cette année, plus que jamais, ces créations chargées de toute leur Histoire ont résonné dans les gradins du Théâtre antique, contre les murs de l’Archevêché, à travers les Alyscamps et dans toute la ville, portant en elles leur beauté fédératrice. On a savouré le Jazz d’un Mills de Détroit et celui d’un Nougaro toulousain, on a chanté Dalida version tzigane et depuis les Asturies, on a vu des bambous faire de la techno et du singeli avec un violon. On est entré en transe, en liesse ou en communion devant une affiche si variée, individuellement percuté·es par l’une ou l’autre de ces expériences musicales qui cambriolent l’intime à en devenir personnelles. Il fallait qu’on en sache plus sur cette mystérieuse recette.

Barbara Pravi & Aälma Dili au Théâtre antique

Comment se porte le festival à l’aube de ses 30 bougies ?

Stéphane Krasniewski (directeur des Suds) : Le festival se porte bien. Il est porté par ses fidèles spectateurs et par la même envie et énergie qu’il y a 30 ans, celle de faire découvrir les musiques du monde, d’accueillir le monde à Arles et d’accompagner la création de ces nouvelles musiques traditionnelles. Parce que les musiques traditionnelles continuent de s’inventer aujourd’hui. Cette 29ème entamée au lendemain du second tour des législatives démarre avec beaucoup de douceur malgré tout et c’est que du bonheur.

La programmation des SUDS s’articule entre musique internationale (Moyen-Orient, Asie, Afrique…) et régionale (Asturies, Toscane, Bretagne). Qu’est-ce qui relie les deux volets de cette programmation estampillée “SUDS” ?

Nous programmons aux Suds des musiques qui ont un ancrage patrimonial. Les artistes programmés s’inspirent de musiques traditionnelles d’ici ou d’ailleurs. Et que ce soit Fleuves (Bretagne) ou Sami Galbi (Maroc), la démarche est la même. Ces artistes s’emparent d’une culture, qu’elle soit la leur ou qu’ils se la soient appropriée, pour en faire quelque chose de personnel, et surtout avec une portée universelle. C’est pour moi la meilleure réponse à apporter à l’uniformisation des styles et des consciences : dire qu’on est différents et que, par cette différence, on se ressemble.

Justement la musique se mondialise, elle se métisse et intègre des sonorités latines, électro ou afro. Trouves-tu qu’elle s’uniformise, qu’elle crée quelque chose de nouveau, ou plutôt que les identités musicales locales se renforcent ?

Pour moi les musiques ne s’uniformisent pas. Chaque année après le festival on a un coup de blues en se disant : “c’était si bien, comment on va faire pour se renouveler ?”. Et c’est simple, on fait confiance aux artistes et chaque année ils viennent avec des nouveaux sons. Twende Pamoja, Daniela Pes, c’est des trucs qu’on n’a jamais entendu. Certains deviendront des tendances, d’autres se cantonneront au répertoire d’un artiste, peu importe.

Par contre le rouleau compresseur des plateformes de streaming et des majors dont la position prédominante à été renforcée par la dématérialisation et par l’enjeu que représente le live sur le plan économique me fait craindre une uniformisation des programmations et de la diffusion de la musique sur les canaux mainstreams. En réaction à cela, les artistes, eux, répondent très bien et continuent de créer des choses singulières. C’est ensuite notre rôle de les faire entendre et de les rendre accessibles au plus grand nombre.

Asna à la cour de l’Archevêché © Rosalie Parent

Cette année la programmation nocturne et électronique n’est pas en reste. Faut-il y voir un appel du pied à un public plus jeune ou l’envie de faire plus de place à ce genre musical ?

C’est pas un appel du pied mais l’accompagnement d’une évolution de nos musiques. Les musiques traditionnelles ne sont pas figées et en 2024 faire de la musique traditionnelle c’est aussi parfois faire de l’électro. Dans tous les endroits du monde, des instruments et des pratiques traditionnels ont été remplacés par des samples et des machines qu’on retrouve donc de plus en plus, et cette édition en est le reflet.

On regrette parfois le terme de “Musiques du Monde”, c’est pourtant l’étiquette qu’a choisi le festival pour se définir. Comment aborde-t-on un répertoire aussi immense ?

Je me protège du vertige en fonctionnant comme toujours aux coups de cœur et à la recherche des équilibres, des genres et des territoires. Programmer un festival comme celui-ci c’est aussi s’appuyer sur beaucoup d’oreilles et de prescriptions, ça va des Transmusicales de Rennes à différents salon comme le Babel musique XP, le WOMEX. On essaye aussi de sentir des tendances, par exemple depuis 7 ou 8 ans il se passe des choses passionnantes en Afrique de l’Est, il y a un renouveau de la musique africaine, en cela Nyege Nyege est aussi évidemment une inspiration.

Autre particularité du festival, la proposition de stages de chants, de danses, de cuisine ou autre (40 cette année). Qu’apportent ces ateliers aux Suds ?

Un des grands intérêt des stages est de pouvoir contribuer à l’apprentissage et la diffusion de pratiques qui souvent se font de manières orales. C’est l’un des rôles qu’on s’est assignés : pouvoir les transmettre à des gens qui ont cette culture ou non. L’autre aspect est de proposer aux spectateurs une expérience, la fameuse expérience festivalière, Il y a des festivals qui font du ventriglisse, nous on fait des stages ! C’est aussi un endroit de rencontre entre les artistes et les 600 stagiaires qui restent toute la semaine et font vivre ce festival et cette filière en revenant pour certains chaque année.

La Louuve à la cour de l’Archevêché

Le festival ne cache pas son empathie pour des territoires qui souffrent particulièrement en ce moment comme l’Ukraine, la Palestine, les Comores, Haïti, ou encore le Sahel, en quoi faire la fête avec 40 000 festivalier·es peut-être une forme de lutte ?

Ça raconte le monde comme il est. On a cette responsabilité de faire entendre la voix de ces peuples et de montrer que dans ces pays qui sont marqués par la misère, la guerre et l’effondrement, la création continue d’exister. C’est une nécessité de faire entendre ces pays et ces territoires autrement que par le son des canons mais par la beauté de ce qui en vient et qui continue malgré tout d’en émerger. Pour moi, particulièrement par les temps qui courent, dans cette période de trouble où l’Europe est à nouveau en Guerre, où l’extrême droite et les idées réactionnaires gagnent du terrain chaque jour, c’est fondamental de faire entendre ces cris de résistance.

Tu es aussi vice-président du SMA (Syndicat des Musiques Actuelles). Quel est le climat aujourd’hui au sein des musiques actuelles face au gain de pouvoir d’une force politique plutôt portée sur le patrimoine que la création ?

La vision de l’extrême droite de la culture est pétrifiée. Elle la fantasme comme quelque chose d’inerte et pense devoir protéger cette culture, prétendument fragile, de toutes les influences extérieures et des tous les changements qui pourraient la nourrir. L’extrême droite n’arrive pas à voir tout cela comme une force qui la nourrit, une richesse qui s’adresse au plus grand nombre dans la plus grande inclusivité. C’est un vrai danger évident.

Face à cela j’observe des réactions variées. Il y a eu certes une mobilisation mais aussi une litanie, comme un lapin pris dans les phares qui se demande « Qu’est ce qu’on va faire ? ». Si jamais le RN arrive au pouvoir avec son programme régressif, que va-t-il advenir de l’expression de cette diversité culturelle ? On a raison d’avoir peur, il s’agit désormais de construire la réponse à ce risque pour empêcher qu’il advienne et pour qu’on soit prêt car ça va être un vrai combat.

Stéphane Krasniewski aux manettes des Suds.

Brama – Scène en ville Place Voltaire © Rosalie Parent

Il fallait vraiment critiquer alors on s’est plaint de la bière fade, des toilettes complètement inadaptées et de la fontaine à eau du Théâtre qui chaque soir inondait l’allée d’eau gaspillée. On a plaidé pour des soirées plus longues avec moins de moustiques, proposé de repasser à deux bises parce que trois c’est compliqué, de remplacer l’Anisette par la Suze, et de bannir pour de bon l’adjectif “enculé” qui semble avoir résisté ici à la modernité, mais Stéphane était déjà parti pour une de ces journées marathon qu’il enchaînera toute la semaine, partout, tout le temps, gourmand de manœuvrer ce bateau qui rend fier tout son équipage. On rentre avec cette flamme contagieuse qui embrase les cœurs, convaincu·es que nul ne peut éteindre autant d’incendies et que, s’il le faut, on ira nous même allumer de nouveaux foyers.

Rodrigo Cuevas au Théâtre antique © Olivier Scher

Photo de couv : La Muchacha y El Propio Junte au Théâtre Antique © Florent Gardin
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