Le lundi est le jour honni de la vie d’un festivalier. C’est le jour de la bulle qu’il a fallu percer, c’est le jour d’après. Le bruit a changé de nature, ce petit sifflement ne nous lâche pas et ne nous lâchera pas non plus aujourd’hui. Peut-être demain ou jeudi. Les jambes sont cotonneuses, la voix est celle d’un.e autre et le cœur vit des battements inconnus. On sait que ça va passer, que le temps joue pour nous et que ça va aller. Que ça va déjà, en fait. Même quand on revient du Hellfest. Surtout quand on revient du Hellfest, car on se dit que la vie là-bas, contrairement à ce que beaucoup croient, y est plus douce qu’ailleurs.
Dans une époque où les derniers mois traversés nous rappellent à quel point vivre ensemble aura bientôt tout de la quête de l’impossible, trois jours à Clisson en juin donnent l’illusion de croire que finalement, tout cela pourrait fonctionner. Qu’on pourrait se serrer les coudes, prendre confiance en nous, écouter nos envies et lutter contre les idées funestes. Paraît pourtant qu’un festival, c’est pas la vraie vie. Dommage car elle aurait de la gueule.
Dans la vraie vie, on pourrait être des millions de mini-Gojira. On démarrerait notre vie tambour battant, prouver à nos premiers soutiens qu’ils ne se sont pas trompés sur nous, que nous sommes bien des gens de valeur et peut-être même exceptionnels allez savoir, et le monde entier doit le savoir, même si ça doit prendre dix ans. Nous, les mini-Gojira, on hurlerait très fort à la Terre entière qu’on a des choses à dire et une fois que presque tout le monde les aurait écoutées, on pourrait enfin se calmer et prendre notre temps pour raconter la suite. On aurait alors plus rien à prouver, on pourrait juste se concentrer sur le plus difficile : être nous-mêmes, sans fard et sans esbroufe, sans rogner la part de générosité qui a toujours été la notre pour en arriver là. Vendredi soir, à 2 heures du mat’, on a vu quatre gars qui nous ont montré la voie à suivre et c’était beau à en chialer.
Gojira. Crédit photo : Nicko Guihal
Avant eux, on avait vu défiler sur la même scène tous ceux que Gojira avait croisé sur ce chemin vers la gloire qui est aujourd’hui le leur. Et sur ce chemin, la conscience de Kemar de No One is Innocent, la constance de Reuno de Lofofora, l’optimisme de Mouss de Mass Hysteria et même la hargne de tous les Dagoba ont été autant de cailloux semés pour trouver les bons repères. Des parents, des grands frères d’âme, des potes, pour ne jamais se perdre ni se prendre au sérieux. Et si ça arrive, compter sur un garde-fou nommé Ultra Vomit pour se payer notre tête avec la maîtrise technique qu’il faut pour ne pas les prendre pour de simples guignols.
Dans la vraie vie, on pourrait être des millions de mini-Necromancers et ouvrir un festival sur la Valley le vendredi matin comme on promet à des êtres chers qu’ils peuvent accomplir d’entrée quelques-uns de leurs rêves les plus fous. Quitte à envoyer paître la patience, s’il le faut. Pas besoin d’une longue carrière avec un tel groove ni d’être arrivé sur le toit du monde pour marquer les esprits de ceux qui nous entourent. Il suffit juste de se montrer inspirant, d’apporter un supplément d’âme pour nous conforter dans l’idée que la vie, vraie ou fausse, au Hellfest ou ailleurs, mérite d’être vécue.
Dans la vraie vie, on pourrait être des millions de mini-Envy et se dire qu’un concert de ces Japonais-là est l’allégorie parfaite de ce qui nous attend ici-bas. On sait qu’on va passer par tous les états, qu’une existence n’est fertile que sur des terres de contrastes, que le calme précédera toujours une tempête, que la violence de ce monde menacera de nous foutre par terre mais qu’elle n’y arrivera jamais tout à fait car on fait le nécessaire pour se sentir vivant. Et si jamais on tombe, un voisin nous relèvera et nous demandera si ça va. Oui, ça va, merci.
Dans la vraie vie, on pourrait être des millions de mini-Rumjacks, de mini-Dropkick Murphys et ne plus vraiment se demander si on est encore Australiens si on fantasme d’être Écossais. Si on est vraiment Américains si on se comporte comme des Irlandais. On décidera de s’en foutre, tracer des lignes sur une mappemonde a toujours enfanté le pire. Sur scène, voilà des musiciens qui réclament leur droit à bonheur sans être taxé de naïfs. La vie peut être une fête, rien que cela, mais tout cela. Le bonheur d’être ensemble impose alors sa loi aux pisse-froids, en disant merci, excuse-moi, s’il te plait, sans craindre de passer pour un faible. On fera semblant de croire que le spleen est mauvais conseiller et l’espoir notre plus belle arme.
Dans la vraie vie, on pourrait être des millions de mini-Moonspell, à vivre de la façon la plus honnête possible. Parce qu’aller chercher la part de beauté en chacun de nous, sans tricher, est la meilleure façon d’affronter nos immenses défis. Et qu’au delà de la musique, nous n’aurons peut-être rien compris aux paroles mais grâce à l’attitude de ces messieurs, nous aurons compris l’essentiel.
Crédit photo – Méo – Metalorgie.com
Dans la vraie vie, on pourrait être des millions de mini-Tool, faire patienter nos proches pendant treize piges mais ne pas rater le moment des retrouvailles, se remémorer les bons souvenirs depuis 1993 et donner quelques nouvelles fraîches, et se dire que personne n’a trop changé et que nos exigences sont restées les mêmes, qu’il nous faut garder les oreilles et les yeux grands ouverts.
Dans la vraie vie, on pourrait surtout être des millions de mini-Slayer et mini-Kiss, quand viendra le temps des adieux à ceux qu’on aime. En retour, ils auront aussi peut-être des choses à nous avouer. Se dire au-revoir peut avoir de l’allure, un souffle qu’on aurait pas soupçonné le jour où le premier signe du crépuscule était apparu et que l’angoisse du départ naissait. Car les yeux embués de Tom Araya, chanteur et bassiste de Slayer, peuvent rapidement laisser place à des sourires, à la joie d’avoir vécu avec la fureur et l’intensité qu’on devait à nos morts.
« Vous allez me manquer » nous a-t-il dit.
Nos trois jours à Clisson aussi.
Photo home : Mass Hysteria. Crédit photo : Nicko Guihal
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