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À quoi rêve un festivalier du Hellfest ?

Nous étions à nouveau plus de 55.000 personnes par jour à fouler chaque mètre carré de l’incomparable site du Hellfest, avec cette amplitude horaire inégalée en France, de 10h30 à 2h pour les âmes les plus ambitieuses. Voilà qui laisse un temps fou pour vaquer à diverses occupations. Les plus visibles et évidentes reviendraient à évoquer cris (gutturaux ou non), ovations, descente de pichets, échanges entre festivaliers adorables et headbangings en règle.

Une question a pourtant vocation à rester sans réponse, à Clisson comme ailleurs : que se passe-t-il dans la tête de votre voisin festivalier quand, à côté de vous, il se tient immobile ? A priori, on l’imagine absorbé par ce que la scène a à lui offrir : du son, des lumières, une scénographie et, metal oblige, un drapeau en fond de scène pour y deviner le nom du groupe. Mais c’est peut-être un leurre, un instant propice à une évasion insoupçonnée.

A quoi pense-t-il, alors ? Lui qui vit intérieurement l’événement, car c’est son événement tout autant qu’un autre festivalier qui ferait le zouave en beuglant en yaourt ou en mimant un riff de air guitar sur les chansons qu’il penserait reconnaître.

Le plaisir puise ses sources partout, comme rester figé devant un concert de longues minutes puis revenir à la vie, d’un coup, au gré d’une frappe de caisse claire, pour se rendre compte que dans notre esprit ont fusé au moins trois idées. De la contrariété professionnelle de la semaine à la to-do list maison, en passant par la suite du planning de la journée. Voilà pour les basiques, auxquelles se nichent aussi le salut de réflexions plus épanouissantes. On le regarde à nouveau en biais et on imagine plutôt ce festivalier goûter la joie de retrouver une communauté encore marginalisée il y a moins de dix ans et dont l’étendard national s’appelle désormais le Hellfest. On suppose son soulagement d’avoir vu les esprits ouverts l’emporter sur tous les pisse-froid. Peut-être pense-t-il à ça, ce festivalier immobile. Puisse-t-il le penser au moins une fois dans son week-end, car il n’y a pas de petite victoire dans les grands combats.

hell

Ainsi, le temps réellement accordé à l’artiste pendant son concert est parfois réduit à peau de chagrin. Et ce n’est pas si désolant. Un concert est aussi un moment où les humeurs se décantent, où les décrochages peuvent exister, où  contre-temps et anachronisme ont droit à leur place. Respecter l’artiste n’est pas l’idolâtrer, c’est aussi savoir prendre sur le champ ses distances avec lui. De pas être attentif à son intro, à une bascule de rythme ou à son solo, mais davantage à son parcours réel ou supposé, à sa porte d’entrée à lui dans ce labyrinthe qu’est la culture metal, à ce qui aurait pu lui inspirer telle ou telle chanson, aux sacrifices qu’on imagine être les siens pour figurer aujourd’hui dans la programmation au Hellfest, peu importe s’il n’est encore que 11h.

Schammasch-band-hi

Schammasch

Ce festivalier à côté de nous, qu’a-t-il donc en tête en découvrant les Suisses de Schammasch sur le scène dédiée au black metal, la bienommée Temple ?

On aime à penser qu’il apprécie autant que nous cette entame de festival. Si on n’était pas si timides, on pourrait même lui poser la question. Mais allez savoir ce qu’il a en tête, parmi toutes nos hypothèses énoncées. Peut-être qu’il prend une gifle. Ou qu’il s’ennuie et qu’il n’ose pas l’avouer à son ami juste à côté de lui, de peur de rompre une future alchimie. Mieux vaut alors se taire. Certaines portes sont infranchissables, merci de ne pas déranger un esprit qui divague. Idem quelques minutes plus tard devant Celeste à la Valley, qui secoue nos viscères. Black tempétueux, têtes baissées, yeux fermés, peu de sourires et pourtant du partage, de la noirceur pour tous et quarante minutes d’introspection pour chacun.

a perfect circl

A perfect Circle

Une pensée fugace nous assaille : les jambes de ce festivalier tiendront-elles le choc pour le porter, plus tard, jusqu’au dernier concert de la journée, A Perfect Circle ? Si oui, que se dira-t-il ?

Devant tant de finesse et d’exigence, l’évasion sera peut-être totale. Parfois peut-être, juste cette fois, pourrait-il idolâtrer les artistes qui se présentent à lui de cette façon ? Ces concerts hors-normes qui percent votre bulle, qui vous poussent à engager quelques mots avec un voisin pour partager tantôt une joie, tantôt une extase, tantôt l’air entendu de ceux qui se comprennent.

Les passages sur scène de Zeal and Ardor (Valley), Nile (Altar), Alice in Chains (Mainstage) ou The Great Old Ones (Temple) étaient de ces concerts qui pouvaient donner envie, pour cette édition 2018, de percer enfin la coquille et de sortir de soi. De ne plus rester immobile, en somme. De ne plus juger, allez savoir, ses années adolescentes et les tourments qui l’accompagnaient, au moment de recroiser la route des mainstages et des Jonhatan Davis, Pleymo, Deftones ou Limp Bizkit. Se libérer enfin de la honte inculquée par les anciens, si jamais sa porte d’entrée à ce festivalier, c’était le neo métal de ses seize ans. Parce qu’on n’avait jamais vu un Chino Moreno aussi bon sur scène après quelques tournées d’errance. Parce qu’on pardonne même à un Fred Durst de racoler au point de reprendre White Stripes, Blur, Nirvana, RATM et même la Marseillaise en moins d’une heure. Là, peut-être, sans nous parler, nous étions nombreux à penser la même chose au même moment.

Et sur la Warzone, QG punk et hardcore du festival, à quoi penserait-t-il devant un concert de Seven Hate ou le lendemain devant la force de frappe d’un Hatebreed, où la communication semble plus directe ? On bouge, on crie, on slamme, on revendique, on se fend peut-être un peu plus la gueule. En ces instants précis, se laisserait-il aller ? Ses voisins festivaliers déchaînés se donneraient-ils plus que lui ?

Simple apparence. Au Hellfest, pas de mode d’emploi pour lâcher prise, pas de chasse gardée, pas de terrain privilégié pour entrer en communion, pas de scène star. Bien sûr, il y a deux mainstages pour les messes comme Judas Priest, Iron Maiden, Europe, Nightwish ou Megadeth. Ou pour mettre en avant les têtes de pont précédemment accueillies sur les autres scènes : Meshuggah et Converge par exemple, pour saluer ceux qui nous ont le plus embarqués. Mais la manœuvre a aussi son écueil. On gardait par exemple un meilleur souvenir du concert de Body Count sur la Warzone en 2015. Question de contexte. C’est peut-être aussi à ça que notre voisin silencieux était en train de penser, tout à l’heure : une petite scène en fusion ne vaut-elle pas toutes les mainstages du monde ?

Ce concert d’Ice-T et sa bande datait de trois ans. A la vitesse à laquelle ce festival progresse, c’est déjà une autre époque. C’était donc avant que la Warzone ne soit transformée, avant le mausolée en hommage à Lemmy et avant que le festival accélère encore sa révolution permanente pour transformer un peu plus chaque année l’événement en une expérience. L’expression est convenue, on vous l’accorde. C’était pourtant ça, que ça, mais tout ça. Une expérience. Tant et si bien que le festivalier rêveur qui se trouvait à côté de nous, il pensait peut-être tout bêtement à ça. Car il levait la tête, il regardait à gauche, à droite et derrière lui. Il s’offrait sa petite vision 360 pour que l’image s’imprime dans sa tête le plus longtemps possible. Ces flammes qui sortent de nulle part quand le rendez-vous avec la lune a enfin sonné, ces murs d’eau qui viennent parachever l’éternel effet de surprise, édition après édition, dès notre arrivée.

Le Hellfestivalier est d’abord un observateur d’un environnement qui l’épate et ces pensées-là, aussi silencieuses soient-elles, ne restent pas secrètes. Elles se lisent sur le visage de celui qui se sent, le temps d’un week-end, appartenir à quelque chose de plus grand que lui et dont il est pourtant, par la passion des musiques extrêmes qui l’anime, l’artisan quotidien.

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