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Nada Surf : « On est plus fans de musique que vraiment musiciens »

Quatre ans après leur dernier album au titre quelque peu philosophique (“The Stars Are Indifferent to Astronomy”), les New-yorkais de Nada Surf reviennent avec un message clair cette fois : “You Know Who You Are”. Ils signent leur propre maturité avec un 8ème album, un disque solide aux tonalités proches des titres phares qu’ils jouent sur les scènes du monde entier depuis plus de 25 ans. À la veille du départ de leur tournée européenne, les membres fondateurs Matthew Caws et Daniel Lorca ont accepté de revenir avec nous sur la recette Nada Surf : des guitares, des percussions, et beaucoup d’amour.

La pochette de l’album est pleine de couleurs et évoque l’évasion. On a la sensation d’une ouverture vers quelque chose d’autre, on voit le ciel bleu, tout en ayant les pieds bien sur terre, en bas. Puis on voit un avion voler, et une femme avec un pull rouge pétant qui semble prendre son temps, au soleil. Quelle est l’histoire derrière ce choix ?

Matthew Caws : C’est un designer de Seattle avec qui on avait bossé pour Minor Alps, il y a deux ans. La maison de disques m’a mis en contact avec lui, il a fait un truc fabuleux en un jour ! Pourtant, au début, on connectait moyen avec lui, puis il m’a demandé ce qu’on voulait, donc j’ai mis une liste de choses que j’aimais : il y avait du bleu, du blanc, des avions, etc. Il nous a proposé cette photo et on a tous aimé ! Il y avait une chronique américaine qui disait que la forme du ciel sur la pochette était exactement la forme d’un home-plate [au Base-Ball, le home-plate est la dernière base que le joueur doit toucher après sa course pour marquer, ndlr]. Pour des Américains, inconsciemment, ça doit leur parler. Géométriquement, c’est intéressant. Et la fille est assez mystérieuse, elle doit penser à quelque chose d’assez… grand.

Daniel Lorca : Pour moi c’est l’opposé de ce que tu dis. Ça fait penser à des pochettes classiques type Led Zep, Genesis… Cette fille est entourée de béton, elle n’en peut plus de cette ville, de cet environnement. Comme elle, j’en ai assez du béton, j’ai envie de nature, d’air. Elle regarde dans un sens, il y a un avion qui part dans l’autre sens, elle ne pense qu’à monter dans l’avion et partir. En fait, les titres de nos albums en général, consciemment ou non, peuvent être interprétés chacun comme il le souhaite. Pour la pochette, c’est pareil.

Une autre chose qui nous a interpellées, c’est le titre de l’album, qui est aussi le titre d’une des chansons : You know who you are… or maybe you used to. Cet album ressemble à du Nada Surf. Faire quelque chose qui colle avec ce que vous faites d’habitude, c’était un choix délibéré de votre part ?

MC : Non, pas délibéré. Mais en choisissant les titres pour le disque, à partir du petit tas qu’on avait, je crois qu’il faut admettre qu’on était conscients qu’on avait des chansons qui sonnaient un peu plus comme sur le premier disque. On s’est dit : « pourquoi ne pas inclure un petit peu de tout, histoire de faire un disque vraiment varié ? » Tu sais, j’habite en Angleterre, dans un coin très vieux, très victorien, avec les maisons collées les unes aux autres. Donc j’entends tout. Et ça ne me dérange pas de tout entendre mais ça me gêne énormément que les gens m’entendent. Je joue de la guitare tout doucement chez moi, et d’une manière ça a influencé le fait qu’il y ait deux chansons totalement opposées sur le disque, parce que j’avais vraiment cette pression et cette envie aussi de jouer comme on le faisait avant.

Justement, est-ce devenu plus compliqué de réussir à se retrouver pour écrire vos chansons ? Comment faites-vous ? 

DL : Même avec la distance, ça marche. C’est plutôt Matthew qui écrit la base et on essaye de se retrouver plutôt à New York. J’ai toujours l’endroit à New York où on a commencé à bosser il y a 28 ans. Donc s’y retrouver, c’est un peu l’habitude. On y va, on arrange un peu les chansons et ensuite on se sépare.

MC : Et les chansons je les écris chez moi, juste… doucement (rires).

NadaSurfConcert

Dessin de Lola Salines, lors du concert de Nada Surf au Bataclan de février 2012. Grande admiratrice du groupe et contributrice de Sourdoreille, elle y a perdu la vie le 13 Novembre 2015.

La chanson « Friend Hospital » évoque un lieu spécial, un foyer, un endroit qui guérit. Cela montre aussi à quel point l’amitié peut être importante pour vous. Qu’est ce qui vous a poussé à écrire cette chanson ?

MC : C’est une expression que j’ai avec une amie du groupe. Il y a des moments où je reste chez elle, à Los Angeles, ou bien elle reste chez moi à New York. Il se trouve qu’on a vécu des moments difficiles ou particuliers. Alors on restait chez l’autre jusqu’à être guéri, l’autre étant un peu le médecin. L’un arrivait chez l’autre qui demandait : “Je viens à New York, t’es là ? On peut faire Friend Hospital ? ”

DL : Matthew a dit un jour : “c’est toujours l’hôte qui prend le patient en charge”. Donc la personne qui visite est le patient. L’autre s’occupe de lui. On l’emmène au restaurant, on l’écoute…

MC : Exactement. Et il y a des paroles dans la chanson qui sont des expressions de mon amie. Elle écrit des choses qu’on a inventées, des noms de groupes imaginaires, genre “fantastic cemetery” (cimetière fantastique) ou “awkward limo” (limousine bizarre).

DL : … Moi je croyais que c’était des awkward limbo au début (rires) ! Je trouvais ça bizarre parce que bon, tous les limbos sont awkward !

MC : Ce sont des mots plein de sens, toutes ces expressions un peu marrantes. Mais le principe dans le cœur de la chanson, c’est la relation particulière que tu as avec un ami, quelqu’un qui est là sur le long terme. On ne peut pas se faire de mal l’un l’autre, donc on ne peut pas se perdre.

Est-ce devenu plus compliqué de trouver l’inspiration pour écrire vos chansons, après plus de 20 ans de carrière ?

MC : Pas vraiment. C’est vrai que ce n’est pas aussi nouveau qu’avant. L’acte de découvrir une chanson n’est plus très exotique donc c’est une petite perte. Ce qui a changé pour moi, c’est que je sais maintenant quoi faire quand je suis inspiré, mais aussi de ne pas essayer de forcer les choses. Il y a quelques années, John Cleese des Monty Pythons a fait une conférence sur la créativité, il y parlait de son “système”. Il faut se donner 90 minutes, religieusement : tu éteins ton téléphone, tu ranges ton ordinateur, tu ne notes pas de mémo même si ça te revient. Son concept est que durant les 30 premières minutes, il est possible que tu ne fasses rien parce que tu viens d’atterrir. Par contre, pour l’heure qui suit, il est possible que, si tu te donnes vraiment cet espace, tu aies une heure de grâce.

DL : Ça me fait penser à l’initiative d’une amie qu’on a sur Paris, qui s’appelle le Seymour Space.

Oui, tu en avais parlé rapidement pendant ton concert solo l’année dernière. Tu peux nous en dire plus ?

MC : C’est l’initiative d’une amie qui travaillait comme assistante personnelle pour des gens assez intenses comme Robert de Niro. Elle était productrice de publicités, puis elle a travaillé pour une galerie et elle est devenue consultante en créativité, donc elle aidait des gens à se débloquer. Elle s’est rendu compte qu’on perd un petit peu cette capacité à être vraiment calme. Elle a commencé par un fanzine et finalement elle a eu l’idée d’ouvrir un lieu à Paris. On dirait une galerie d’art parce que c’est très blanc, très propre, très minimaliste. On est fortement encouragé à ne pas utiliser ses appareils électroniques. Il y a un théâtre avec un écran vide, mais il y a du papier et des stylos et on est invité à projeter nos pensées sur cet écran. Il y a une table pour écrire des lettres, avec une boîte aux lettres et des timbres. Il y a des chaises fabuleuses où on est trois à s’asseoir mais séparés par des parois. On est ensemble mais seul, c’est fabuleux. Le but de cet espace est de défendre son étincelle intérieure. Elle touche du doigt une chose très importante et nécessaire, parce qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont pas ce petit truc où ils peuvent se perdre. Si elle arrivait à faire grandir ce projet, ça pourrait aider toute une génération qui souffre de ça.

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« Mon énorme souvenir de musique, c’est quand mes parents ont divorcé. Je suis resté avec mon père à Madrid et mon frère est allé vivre avec ma mère. Je me suis retrouvé avec cette cassette de mon frère. Une Memorex de 120 minutes. Un jour, un ami de mes parents est entré dans ma chambre et m’a dit “Ah, t’écoutes les Beatles !”. Ça faisait un an que j’attendais qu’on me dise ce que c’était ce truc. » Daniel Lorca.

Crédit : Bernie Dechant

Le clip pour « Rushing » a été tourné Place de la République ainsi que dans la ligne 9 du métro parisien, qui passe par les coins touchés lors des attentats du 13 Novembre. Malgré tout, le clip et la chanson parlent d’amour. Pouvez-vous nous en dire plus sur le parallèle que vous avez fait entre les deux ?

MC : Pas forcément consciemment, mais oui c’est la vie qui continue. Je tenais vraiment à faire quelque chose à Paris parce que je me sens proche de la ville [Il a squatté les bancs du Lycée Français de New-York et a ensuite étudié en France, ndlr]. Je voulais venir aussi rapidement que possible. On voulait faire un truc sur la coulée verte avec du footing mais ça ne s’est pas fait finalement. On a donc travaillé avec Sarah Barbault (qui avait écrit et réalisé « Waiting for you » pour Minor Alps), et pour qui j’ai fait deux BO de petits films. Le lien, ce serait la positivité. La chanson parle du fait que dans une relation amoureuse, il y a un pouvoir mystérieux qui te fait oublier ton corps, tu te retrouves dans un espace complètement privé, et en même temps connecté à tout le monde. J’aimerais le dire joliment. Un des problèmes humains, c’est peut être que l’on arrive pas forcément tous à monter à ce niveau, ou pas ensemble. On a des histoires séparées, des inventions, des religions et des concepts différents. On arrive pas forcément à se rejoindre. Au fond, c’est une chanson de joie et de paix.

Écouter Nada Surf, c’est un peu comme un pansement pour le cœur, et à chaque fois pour nous l’impression de retrouver de vieux amis. Certaines chansons évoquent un moment précis de notre vie et ramènent une vague de souvenirs à la surface. Pouvez-vous nous dire quelle chanson serait votre Madelaine de Proust ? 

MC : Pour moi, ce serait « Two of Us », sur Let It Be des Beatles. Quand j’étais petit, on habitait à Paris pour les années sabbatiques. Quand j’avais 12 ans, j’étais assez nerveux car l’école allait commencer deux semaines plus tard. À New York, je partageais une chambre avec ma sœur alors qu’à Paris j’avais une chambre à moi pour la première fois, avec vue sur la nature. Et puis notre père nous a emmenés acheter un tourne-disque, il nous avait dit qu’on pouvait acheter deux disques chacun. Après ça, j’ai écouté Let It Be pendant deux semaines jusqu’à la rentrée, et ça me rappelle un sentiment partagé entre la nervosité de commencer dans une nouvelle école, une vraie école française en plus, et la beauté de cette musique qui me faisait rêver. Quand je l’entends, je suis ramené immédiatement dans cette chambre.

DL : Ça me fait penser : on a souvent dit qu’on est plus fans de musique que vraiment musiciens. Et le truc curieux c’est qu’on a quasiment tous eu des frères ou des sœurs plus vieux que nous. Ça nous a vraiment marqués. Quand j’avais 8 ans, je pense que je n’écoutais pas les mêmes choses que les jeunes de mon âge. D’ailleurs, je me dis qu’ils n’écoutaient même pas de musique, à part ce qui passait à la télé. Matthew a aussi une grande sœur qui a marqué sa culture musicale et la mienne aussi, parce qu’elle tenait une émission de radio et qu’elle envoyait des cassettes à Matthew toutes les semaines. On les écoutait religieusement même si on ne savait pas trop ce que c’était. Mon énorme souvenir de musique, c’est quand mes parents ont divorcé. Je suis resté avec mon père à Madrid et mon frère est allé vivre avec ma mère. On ne s’est pas vus pendant deux ans. Et je me suis retrouvé avec cette cassette de mon frère. Une Memorex de 120 minutes. C’était énorme à l’époque. J’étais le seul à parler anglais et à comprendre ce qui se disait dessus, mais ni moi ni mes copains ne savaient qui chantait. Et puis un jour, un ami de mes parents est entré dans ma chambre et m’a dit “Ah, t’écoutes les Beatles !”. Ça faisait un an que j’attendais qu’on me dise ce que c’était ce truc. Et puis ça allait du Red Album à Sgt. Pepper’s. J’avais pris l’habitude de trouver refuge dans cette cassette parce qu’elle me faisait penser à mon frère quand j’étais à Madrid.

Lola NS 1

Dessin de Lola Salines – autoportrait

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Kala 11.05.2018

From this interview I get the impression that they’re really nice, polite, intelligent guys. Great interview, and love Nada Surf, after all these years!

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Adrian 02.08.2016

J’ai adoré le lire aussi . C’est toujours intéressant dans savoir un peu plus sur vous Messieurs. Nous les avons vu en Avril à l’épicerie moderne du côté de Lyon. Véro, j’habite à Nice. Je comprends (je les ai vécus) tes pleures, c’est un truc de dingue… Alors les gars , merci de nous donner une musique pleine d’amour, d’énergie et de vie. C’est tellement bon de se sentir vivant quand on vous écoute :) . Always love…

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vero 31.07.2016

Très jolie interview, merci! J’ai vu Nada Surf ce week end, c’était vraiment chouette et émouvant, je me sens sur un nuage depuis deux jours.
Alors je prolonge ce sentiment en vous lisant, et en découvrant les dessins si touchants de Lola Salines, qui me font du bien et me font pleurer.
Bonne continuation.

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Estelle 23.04.2016

J’ai adoré lire cette interview sensible et intelligente, j’ai appris plein de trucs sur ce groupe qui est un de mes préférés. Très belle mise en page.

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