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Dominique A : « Ça me fait flipper de faire des chansons périssables »

Quand Alain Bashung est parti, la presse le présentait quasi-unanimement comme son héritier naturel. Zèle médiatique, sans doute. Mais cela en dit long, tout de même, sur l’empreinte que l’œuvre de Dominique A est en train de laisser dans notre patrimoine musical français. Pas un seul disque manqué, un charisme fou sur scène et une reconnaissance (tardive) de ses pairs pour couronner le tout. Eléor, son magnifique nouvel album, vient de sortir. L’occasion était trop belle pour ne pas faire le point avec ce personnage que certains clichés présentent comme sombre et austère. Sauf qu’il est précisément tout le contraire.

Avant d’évoquer ce nouveau disque, revenons sur un point précis de ton parcours. Dans ta carrière, n’y-a-t-il pas un point de bascule qui se situe à la sortie de La Musique sorti en 2009. On sent que tu as libéré quelque chose à ce moment-là.

Alors, je le mettrai juste un album avant (rires). Selon moi, les choses sérieuses commencent avec L’horizon. Les trois premiers disques sont une trilogie, avec leurs boites à rythmes. Ensuite, il y a la rupture avec Remué. Puis, deux albums de formation, que sont Auguri et Tout sera comme Avant, qui sont autant d’expériences avec des producteurs. Mais à partir de L’horizon, j’ai eu le sentiment d’avoir en main tous les outils pour faire les disques que j’avais envie de faire. Ça commence là. C’est vrai que qualitativement et en terme de cohérence, les trois derniers sont les meilleurs. Entre les projets de départs et ce qu’ils sont devenus, cela se tient. Avant, je naviguais plus à vue, c’était plus aléatoire.

Au-delà de la cohérence, peut-être est-ce lié au plaisir ? En tout cas, on le ressent davantage à l’écoute.

Oui, c’est pour ça que je parle plutôt de L’horizon. Car on est parti avec Dominique Buisson sur une collaboration au long cours. Il y avait ce plaisir du studio et le fait d’en devenir partie prenante, avec un certain niveau atteint dans la compétence liée à la production. Je maîtrisais à la fois les outils et les propos, tout en me laissant aller aussi et porter par les événements. Mon histoire s’écrit à partir de cette période-là.

Et ce nouvel album s’inscrit dans cette continuité, avec une approche plus aérée et lumineuse. En somme, ta musique devient-elle plus partageuse ?

Oui, clairement. Bon là, j’ai le nez dessus. Je suis la personne la moins bien indiquée pour en parler. Mais en même temps, ce n’est pas vrai car j’ai écouté mes albums plus que tout autre personne au monde. J’ai donc un avis sur la question. Sur chacun de mes disques, l’idée que s’en ferait l’auditeur est très présente. Non pas au moment de la composition, mais plutôt quand j’organise les morceaux entre eux pour construire la tracklist. Je raconte des histoires, même si je n’aime pas trop cette expression. Je pars d’un point A pour aller à un point Z, de façon à ce que chaque disque soit comme un film auditif. Il faut donc être conscient, au moment d’organiser le tout, de la réception. Et donc, effectivement, il faut davantage être dans le partage. Sur le premier disque, j’étais… non pas autiste… mais…

Introspectif ?

Oui, introspectif. Sur Auguri, il y avait à nouveau cette envie de chanter pour les autres, mais c’était encore embryonnaire.

Tu viens de dire que tu es mal placé pour parler de tes disques par manque de recul. Mais tu fais quand même partie de ces artistes qui savent regarder dans le rétro pour réinterroger leurs albums. Tu as ce rapport spécial au temps, comme par exemple fêter les 10 ans d’Auguri ou rejouer récemment sur scène l’intégralité de La Fossette, paru en 1993. Tu es si attaché à la durée de vie d’une chanson ?

Oui, c’est important pour moi. Car ça me fait flipper de faire des chansons périssables.

Tu as donc peur de l’oubli ?

Oui, ou même la peur que les disques disparaissent complètement, corps et âmes, et ne soient même plus disponibles. C’est aussi l’avantage d’Internet. Plus rien ne disparaît, pour le meilleur et pour le pire (sourires). Il y a des choses qui sont réactivées. Certaines chansons seraient déjà mortes si elles n’avaient eu qu’une existence physique.

Finalement, dans ton registre, la quête ultime ne serait-elle pas réussir la chanson intemporelle ?

Bien sûr. Mais qu’elle ait d’abord déjà une vie. Si elle est reprise ou citée, c’est la cerise sur le gâteau. Là, Cats on Trees a repris « Le courage des oiseaux », c’est super. Après, si on est honnête, quand tu écris des chansons, elles ne sont pas toutes destinées à marquer l’histoire de la musique. Allez, quand tu écris un disque, combien de chansons tu vas écrire ? Des vraies, celles qui vont rester ?

Disons que si tu en ponds deux par disque, ce serait…

…déjà pas mal ! (rires)


Dominique A – Éléor

Tu parles souvent de « mécanique de création ». Quelle fut celle d’Éléor, ce nouvel album ?

Un voyage en Nouvelle Zélande qui a été déterminant. Comme j’avais énormément de temps de transports, j’avais du temps pour regarder à travers la vitre. Et comme je sortais de deux ans d’activités assez intenses et que j’étais à nouveau disponible dans ma tête, l’écriture s’est remise au garde à vous. C’était assez surprenant, car j’ai d’habitude quelques mois de latence après une tournée. Là, c’était immédiat.

 

 « Les cordes arrivent, repartent,

puis reviennent.

C’est la Léonard Cohennerie du disque ! »

 

C’était nouveau pour toi d’associer directement un pays avec l’écriture d’un disque ?

Non, il y avait eu le Groenland avec L’Horizon. Ce sont souvent des paysages prenants, monumentaux, avec une présence humaine assez… limitée. Ton esprit se retrouve libre et l’activité humaine n’est plus parasitaire. Et puis, je suis bien obligé d’en parler : j’ai eu un petit garçon en juin. Cela a eu une influence car je devais aller en studio avant qu’il n’arrive. Car je n’allais ensuite pas être disponible pendant peut-être un an. Je ne pouvais pas me retrouver à faire un disque en 2016, cela aurait été trop pesant. J’ai besoin d’un rythme régulier. Je ne suis pas Jean-Louis Murat, mais quand même ! (rires). Je devais donc terminer le disque avant l’arrivée de ce petit être…

Cette arrivée a donc défini le timing de Éléor. Mais a-t-elle défini pour autant son angle ?

Non. Je n’apporte jamais une thématique. Elle se dessine au fur et a mesure, avec notamment ces lieux nouveaux. Mais le projet est musical, avant toute chose. Avant de savoir ce que je vais raconter dans mes chansons, je veux savoir ce que j’ai envie d’entendre. Je souhaitais des guitares assez claires. Sur le précédent, je m’étais un peu effacé. Je voulais retrouver ma place de guitariste. Et je souhaitais également des cordes. J’avais envie d’épure. Il fallait donc leur libérer de l’espace pour ces cordes, d’où l’idée de travailler simplement en trio.

La chanson qui me fait le plus penser à ce que tu dis, c’est « L’Océan ».

Oui, à la base, c’est une chanson très intimiste. Les cordes arrivent, repartent, puis reviennent. C’est la Léonard Cohennerie du disque ! (rires). C’est une boutade, mais c’est ce que j’aime dans ses disques : cette impression de dépouillement total, mais finalement, en arrière-plan…

…en arrière-plan, on ne renonce pas à l’ambition.

Il y a une vraie amplitude, ce n’est pas du guitare-voix. Chaque élément est disposé, à sa place, comme des mots qui seraient disposés dans une phrase et où tu ne peux plus rien toucher. C’est cette approche que je préfère, plus impressionniste mais en même temps très précise. Pour autant, cela reste intuitif.


Dominique A – L’Océan & Eleor | A Take Away Show (La Blogothèque)

Parlons un peu de la scène, où ta gestuelle est parfois étonnante, avec une présence corporelle presque chorégraphiée. Elle s’est affirmée au fil des tournées.

Oh, cela stagne un peu là, tu ne trouves pas ?

Tu me diras, certains disques étaient plus ou moins adaptés à ça.

Cette gestuelle est une façon assez naturelle d’habiter mes chansons, de ne pas rester figé. Cela vient d’une envie de faire quelque chose de mon corps. On m’a proposé plusieurs fois de m’aider pour aller plus loin, mais j’ai toujours freiné des quatre fers. J’étais rétif car je ne suis pas là pour ça. Les gens m’ont dit que j’avais une façon caricaturale de voir ce travail et que des détails pouvaient m’aider à être plus convaincant. Mais pour moi, ce rôle-là doit être occupé par les lumières de Didier Martin, dont j’admire le travail. Je préfère qu’on travaille ça.

Comme pour composer un tableau ?

Voilà. Là, je suis plus demandeur. Je suis même prêt à organiser la set-list en fonction des lumières. On travaille ensemble depuis 1999. Sur ce nouvel album, il va avoir fort à faire car beaucoup de gens ont été marqués par ses lumières sur la tournée précédente. Et s’il a envie de nous diriger à certains moments, qu’il le fasse.


Dominique A – Le bruit blanc de l’été (Live – Nouvelles Scènes 2013)

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