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Warpaint : la couleur des rêves

Le deuxième album éponyme de Warpaint assoit le groupe dans la constellation de la scène indie, avec une esthétique authentique, mystique et exclusivement féminine. Si Warpaint rappelle à ceux qui l’auraient oublié que l’âme a des oreilles, le groupe fait écho, sans le revendiquer, à un certain féminisme par un artisanat onirique. Chronique amoureuse.

C’est le Britannique Nigel Godrich, bras droit de l’incontournable Thom Yorke (il a produit son album solo, pour Atoms For Peace et Radiohead mais aussi pour Beck ou Air), qui produit ce second album éponyme du groupe californien. Un disque souvent qualifié de mature, à raison. Après les émules de l’album « The Fool » (quatre ans en arrière), beaucoup auraient pu croire que, comme nombre de formations qui émergent, les quatre musiciennes auraient pu sombrer dans une mauvaise réminiscence de l’enchantement passé. Love is to die, première chanson diffusée, laissait nourrir cette crainte. Biggy, en écoute quelques semaines plus tard écarte cette menace.

Si la lancinance pop de Love is to die pointe un manque d’authenticité, l’album dans son intégralité signe l’identité et la fusion du groupe. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il se nomme « Warpaint » : la création s’est faite entre les quatre filles, Nigel Godrich en soutien. Le temps de la composition a reposé uniquement sur leur rythme propre, laissant court au tâtonnement artistique, fait de nombreux enregistrements d’improvisations après des années à partager la scène, passage essentiel afin de s’appréhender au mieux et dégager de l’alchimie une substance sonore envoûtante.

L’orfèvrerie du rêve

Les sonorités sont à la fois stellaires et lugubres. Scindé en deux parties comme la face A et la face B d’un vinyle, l’album répond à l’aspect de ce format, avec un visage schizophrénique. D’abord, un onirisme teinté de tristesse, des complaintes hypnotiques et électriques, comme Hi, au niveau mélancolique de Baby – balade acoustique en arpèges de l’album précédent « The Fool » –  ici agrémentée d’effets de synthé et de pédales de guitares, de pad et de la présence discrète et globale de la basse. Puis un virement presque joyeux et inquiétant, comme la folie côtoyant Disco-Very, 7 ème titre, qui révèle d’autres traits : dansants et effrayants à la fois. Biggy synthétise au mieux ce double aspect : un poignet souple portant un maracas jette la base légère d’un rythme, accompagnée du bruit englobant d’une aurore boréale qui gonfle, avant que ne s’abatte le riff entêtant d’un synthé surnaturel, comme s’il résonnait dans une tombe. Chamanique, la voix douce et fragile d’Emily Kokal vient se poser, et se glissent dans son sillage les guitares.

Theresa Wayman et Emily Kokal en totale équilibre alternent le chant, et mêlent parfois leurs voix dans des envolées aussi puissantes que fragiles : le paradoxe d’un corps ancré au sol qui s’élève. Bien que parfois très différents, comme l’illustre Go in, avec une contrebasse en fond et des glissements de cordes qui accompagnent le chant (et qui ressemble, à s’y m’éprendre, à la folk psychédélique de Devendra Banhart), les titres sont empreints de la même touche gracieuse, imbibée de spleen, et d’un érotisme insoutenable. De leur musique se dégage une abstraction et une attraction sensuelle, féminine et complexe, qui brasse des sentiments ambivalents d’envie et d’angoisse:

Soft Girl Power

La qualification « féminine » embrasse un aspect à la fois essentiel mais jamais revendiqué dans le prisme promotionnel : Warpaint est l’un des rares groupes exclusivement féminin (Savages, The Organ avant sa séparation en 2006, qui d’autre ?), dans un univers musical encore majoritairement composé d’hommes. Le projet ici est d’abord celui d’Emily Kokal, Theresa Wayman et Jenny Lee Lindberg. Si Nigel Godrich a été à la production sur le dernier album, la création est d’abord celle des musiciennes, à la différence d’une simple interprétation, comme ça a souvent été le rôle donné aux femmes dans la musique, placé au second plan : parfois, la basse était plus une affaire « d’esthétique » que de talent exceptionnel… Et la fusion du groupe touche en ceci : à la fois d’une cohésion qui transcende leur musique, et sans que la spécificité d’être des femmes ne soit revendiquée. Cette absence de communication ne fait que ressurgir à la fois l’évidence de leurs relations en tant qu’artistes qui n’ont pas besoin de justifier le fait de faire de la musique entre filles, et qu’un certain féminisme silencieux s’opère dans la scène indie, qui reste majoritairement dominée par des protagonistes masculins, au moins dans la sphère médiatique.

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