Après 6 ans de silence et le départ de Rostam Batmanglij, Vampire Weekend a-t-il encore les canines affûtées ? L’album « Father Of The Bride » démontre que si le groupe a gardé les dents mordantes et brillantes, il doit aussi se méfier des caries pour excès de sucre.
Que reste-t-il de la vaque indie-rock qui a déferlé sur le monde au début des années 2000 ? Plus grand-chose, mon capitaine. The Shins, Franz Ferdinand, The Strokes… Ses héros vieillissent et semblent pour certains à bout de souffle. Alors à l’annonce d’un retour de Vampire Weekend après 6 ans de silence, l’attente était grande tout comme la peur d’un plantage monumental.
Auteur d’une trilogie d’albums devenus classiques de la charnière 2000/2010s, Vampire Weekend s’est imposé grâce à un mélange de rock ultra mélodique, de world music et d’un look preppy frais. Observateur de la vie des campus américains et des hipsters upper class, Ezra Koenig s’est révélé comme un auteur malin et lettré ainsi qu’un chanteur solaire.
De preppy chic à hippie foutraque
Car il faut se rappeler de l’arrivée de Vampire Weekend dans la lumière. Le monde était alors branché sur le rock ombrageux. Les rues sales de Manhattan, les blousons de cuir de Cambden, les maisons fantômes de Detroit, la piste de danse sous ecstasy de l’Hacienda à Manchester. Côté Vampire Weekend, c’était la promesse d’un été sans fin à Cap Code. Formé d’étudiants de la privilégiée Columbia University, le groupe tranchait dans le paysage : mélodies ensoleillées, envolées baroques de cordes et de clavecin, influences africaines inspirées de Graceland. Ezra Koenig, Rostam Batmanglij, Chris Thompson et Chris Baio apparaissaient alors à certains rock critics comme de gentils naïfs. Leurs albums suivants, la pop laptop de Contra et le plus sombre et superbe Modern Vampires Of The City, en propulsant le groupe champion mondial de l’indie-pop, leur ont donné tort.
Puis, ce fut le silence radio marqué par le départ de Rostam Batmanglij, compositeur, producteur et force créative, parti enregistrer des albums solo dispensables. On pensait le groupe potentiellement à l’arrêt définitif. Surtout que le monde, lui, continuait de tourner. Et la pop à guitares de sombrer progressivement dans l’oubli, supplantée par le hip-hop, le R’n’B et la pop conquérant le monde à coups de kick drum 808. De son côté, Ezra Koening, désormais seul maître à bord, tournait la page de la vingtaine, se mariait et voyait la naissance de son premier enfant. Vampire Weekend pouvait-il y survivre ?
3 singles, 3 boucheries
En janvier 2019, le groupe annonce un nouvel album à venir, puis laisse filtrer 3 singles incroyables. « Harmony Hall », « Sunflower » et « This Life », accompagnés de faces B à tomber. Sur ces 6 titres, on retrouve le don inimitable d’Ezra Koenig pour écrire des mélodies immédiates et des riffs accrocheurs. Mais aussi une excentricité et une originalité dont le groupe a le secret. On retrouve ces titres sur Father Of The Bride, double album de 18 morceaux enregistrés sur plusieurs années avec des featurings ragoûtants : Mark Ronson, Danielle Haim, Steve Lacy de The Internet et Jake Longstreth, frère de Dave Longstreth des Dirty Projectors.
Diabétiques s’abstenir
Premier constat : ça part dans tous les sens. Father Of The Bride est un disque tentaculaire. Les morceaux font dans tous les genres : du minimalisme de 2021, au jazz de My Mistake en passant par la pop 1980ies de Stranger. Mais les morceaux eux-mêmes se construisent autour de sections et variations de thèmes assemblés en mode collage. Car Vampire Weekend abandonne sa base traditionnelle guitare-basse-batterie pour une approche plus moderne, inspirée du hip-hop et de la pop. Une façon d’aborder les chansons, sans idée préconçue de structure ou d’orchestration, mêlant claviers, percussions, cuivres, beatboxs, effets…
Résultat : Father Of The Bride ne rentre dans aucune case. Si on tentait une description, ce serait un album de Paul Simon produit par Quincy Jones période Bad. On est très loin d’un album formaté, mais aussi des albums précédents du groupe. Il règne une atmosphère hippie foutraque réjouissante : détendue, avec des choix artistiques audacieux et une volonté manifeste d’expérimenter et de s’amuser. Avec pour point focal les mélodies et la voix solaires d’Ezra Koenig, semblables à celles d’un jeune Paul McCartney (qui se trouve être l’amour de jeunesse de la mère de la femme d’Ezra Koenig, Rashida Jones, comme quoi l’ADN…). Autre pièce essentielle de ce puzzle : les chœurs omniprésents de Danielle Haim.
Quand le mélange fonctionne, Vampire Weekend vole très haut. Les singles précités sont géniaux : les riffs brillants de « Harmony Hall » et « Sunflower », l’insouciance « This Life », la douceur de « Big Blue »… Autres réussites : la funky « Flower Moon », la tubesque « Stranger », la ritournelle retro « Rich Man » ou la dépouillée « Jerusalem_New York_Berlin ». Le temps se gâte pourtant malheureusement sur certains titres. La charge de « Sympathy », qui repompe la mélodie et la rythmique de « Long Train Running » des Doobie Brothers, aurait peut-être mieux fait de rester dans les cartons. Et on reste parfois dubitatif lorsque l’inspiration se fait country. « Hold Me Now », « We Belong Together » et surtout la country R’n’B foireuse de « Married In A Goldrush » pâtissent de mélodies téléphonées et ne sont sauvées de justesse que par une production toujours inventive. Les Anglais ont un mot pour désigner cet excès de sucre : twee. Dans ces moments, le disque colle un peu aux dents.
Globalement, Father Of The Bride reste un album enthousiasmant. Riche, coloré et excentrique. Une descente kaléidoscopique en montagnes russes au merveilleux pays de la pop. Avec assez de soleil pour cramer les yeux de Dracula lui-même.
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