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Sarāb : « On veut fondre l’individu dans le collectif »

On s’était bien dit que si Alain Damasio s’intéressait au groupe Sarāb jusqu’à poser ses mots sur une de leur chanson, c’est qu’il y avait du potentiel. Comme souvent, le patron de la SF tricolore ne s’est pas trompé. Avec leur deuxième album « Arwāh Hurra », Sarāb attire l’attention.

Fort d’influences vastes et éclectiques, d’Oum Kalthoum à Korn, en passant par Tigran Hamasyan, ce collectif « syro-parigo-lyonnais » fusionne les styles, de la musique traditionnelle arabe au métal bien lourd, le tout cimenté par des arrangements réglés au cordeau. Éclectique aussi dans les thèmes défendus, de la crise écologique à celle des exilés. Composé de six musiciens, le groupe est emmené par Climène Zarkan, chanteuse franco-syrienne et Baptiste Ferrandis, guitariste lyonnais.

« Dans Sarāb, il y a une idée de collectif, on est plus qu’un seul élément, un seul homme, une seule femme. On veut fondre l’individu dans le collectif », nous ont-ils expliqué d’emblée. Et lorsqu’on leur a demandé comment les classer (parce qu’il fallait quand même les présenter), on a récolté un léger haussement de sourcil : « On ne veut pas être classé. Avec notre musique, les gens projettent des choses sur ce qu’on devrait faire. Mais les étiquettes nous ennuient. On fait du rock arabe, avec un côté metal, mais aussi traditionnel, c’est de la musique arabe évolutive. Dedans, on met de la trap, du dub, du métal, du rock. D’ailleurs, on nous a déjà dit qu’on était pas assez ‘musique du monde.’ Mais c’est quoi la musique du monde ? Il y a des gens qui font du black métal au milieu des cocotiers, pourquoi on voudrait les classer ? Laissons les gens tranquilles, laissons-les écrire leur propre histoire. »

Pas faux. On a donc décidé d’oublier les étiquettes, la musique du monde et les cocotiers pour se concentrer sur la petite perle qu’ils viennent de nous concocter.

C’est quoi la genèse de Sarāb ?

Baptiste Ferrandis: Au départ, on était un duo. On s’est rencontré dans une soirée. On était complètement bourrés, mais on a tout de suite senti qu’il y avait un truc à faire. La suite est plus sérieuse ! En fait, on a découvert qu’on habitait dans la même rue à Lyon. C’était vers 2014, au moment du début de la guerre en Syrie. On était tous les deux choqués par ce qu’il s’y passait.Climène est d’ailleurs franco-syrienne. Alors, on a fait des soirées de soutien à Lyon. Climène avait fait des chants orientaux que j’avais arrangés.

Climène Zarkan : On est ensuite arrivés à Paris et là on s’est dit que nos arrangements appelaient à une formation plus grande. On avait notamment Qultu lamma, sur cette chanson, c’était hyper rock, il fallait appeler des gens. On a trouvé tout de suite notre équipe, des amis surtout de Lyon. On a fait une répétition, on avait rapporté des partitions hyper nazes. Et c’était incroyable ce qu’ils ont fait avec. Ça a marché tout de suite. Au départ, on arrange et on compose à deux, mais les autres s’y sont mis aussi. C’est devenu un travail très collectif sur ce second album. Il y a un grand consensus de direction artistique.

Ce deuxième album est très engagé. Beaucoup plus que le premier. C’était un virage important ?
Dans le premier album, on avait repris beaucoup de chansons traditionnelles déjà existantes qui parlaient beaucoup d’amour, comme souvent les chansons arabes traditionnelles. On avait quand même une chanson qui était plus engagée, Tiri, qui traitait de la Palestine et de la liberté. Mais le second album, on le voulait plus engagé, donc c’est surtout nos compositions. C’est vraiment la chanson Arwāh Hurra, qu’on avait écrite il y a deux ans, qui nous a donné l’élan de parler de choses plus importantes.

Quels sont les thèmes que vous avez voulu mettre en avant ?

Baptiste Ferrandis : On voulait parler d’écologie notamment. L’idée c’était de se dire : « Pourquoi rêver d’un paradis alors qu’on devrait déjà prendre soin de notre propre jardin ? » C’est un peu le truc de la genèse, c’est le gros argument pour ne pas respecter l’immense infini dans lequel on vit. On voulait marquer une sorte de rejet pour ce paradis désirable et fantasmé.

Climène Zarkan : On aborde aussi beaucoup ce qu’il se passe dans la mer Méditerranée. On essaie d’y mettre la colère qu’on a vis-à-vis de la situation et la façon dont les exilés sont assassinés sciemment, c’est toute cette colère qui ressort de ça. Mais on essaie de faire tout ça humblement, on ne veut donner de leçon à personne et on ne parle à la place de personne. On ne sait pas ce que vivent les personnes qui meurent en Méditerranée, de la même façon qu’on ne sait pas ce que vivent les gens en Syrie. Je peux simplement parler de ma peine d’être ici et de ne pas pouvoir partir là-bas. Sur cet album, mon père nous a écrit une chanson. Il nous a pas mal aidés. Mon père est un chanteur, oudiste et compositeur assez connu en Syrie.

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Sur le thème de la crise des exilés, vous avez un gros invité puisque Alain Damasio pose sur l’un de vos sons. Ça fait quoi de bosser avec la superstar de la science-fiction ?

C’est un producteur parisien qui nous avait branché pour faire une soirée partagée avec lui. Ça s’est bien passé avec Alain, il avait bien kiffé notre musique. Alors on lui a proposé de faire partie de ce nouvel album, de cette aventure. Et il a dit oui ! Mais en fait, on ne connaît pas vraiment le Damasio écrivain. En coulisses, ce n’est pas du tout la grosse star de la SF. Dans l’artistique, on avait l’impression d’avoir un ado qui découvrait tout. Il était vraiment sympa, très à l’écoute, très humble. Dans le spectacle vivant et dans le son, on ne voit pas son ego. Et on n’a rien eu à dire sur ce qu’il a écrit. Côté écrit, c’est incroyable, chaque mot est pesé, réfléchi. Il y a un concept réfléchi et philosophique derrière chaque phrase. Mais pour le côté artistique, il nous a vraiment fait confiance. À partir de là, on a essayé de construire un morceau avec lui avec de la narration littéraire. C’est lui qui nous a proposé ce thème. C’était un texte inspiré de ce qu’il avait écrit pour SOS Méditerranée. Il pensait que ça collait bien avec nous. C’était un défi artistique parce que ce n’est pas du slam ni du rap. Il fallait donc réfléchir à la meilleure façon de superposer les éléments. On en est assez content. Et le texte est magnifique. Forcément très bien écrit, et puisqu’il est parlé, on trouve qu’il y a des détails qu’on voit peut quand c’est écrit ici ou là. C’est le génie de Damasio.

Vous abordez pas mal le féminisme aussi. Climène, comment on s’impose quand on est la seule femme au milieu de six bonhommes ?

Je suis devenue militante féministe depuis deux, trois ans. J’ai conscientisé pas mal de choses. Porter ce sujet, je ne l’assumais pas autant avant. Et puis travailler avec six mecs, on ne va pas se cacher que ce n’est pas facile. On s’est pas mal engueulés. Parce qu’ils ne comprenaient pas tout. Parce que le sexisme est ancré dans chacun de nous, hommes et, même femmes. Mais c’est devenu un sujet important dans Sarāb. Ça a été une partie du travail. On s’est beaucoup appris sur ces choses.

Baptiste Ferrandis : On a fait toute une chanson sur Lilith, Lilith’s Samaii, la première femme d’Adam avant Eve. Celle qui n’a pas voulu se soumettre à Adam. Elle s’est enfuie. Elle est pas mal reprise par les poétesses. C’est la femme démone, séductrice. On a toujours diabolisé les femmes libres qui tenaient tête aux hommes. Si on part du principe que la Bible est un grand conte de fées, c’est des vieux hommes qui ont créé Lilith et donc ça traduit la volonté du patriarcat de bannir toutes ces caractéristiques humaines chez la femme. Et ça fait 2000 ans, donc il y a quand même du boulot.

Sarāb jouera le 27 novembre aux Nuits d’Orient à Dijon et le 9 février au New Morning, à Paris.

Crédits photos : Sylvain Gripoix

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