C’est le groupe de rock qui fait le plus de bruit en ce moment. IDLES, groupe originaire de Bristol, a tout cassé en 2017 avec la sortie d’un premier album hyper revendicatif et énervé. Depuis, leur chemin semble tout tracé. Un second album est dans les tuyaux et ils vont se lancer dans leur toute première tournée nord-américaine. On les a intercepté au TINALS, avant qu’ils ne clôturent le festival en beauté.
L’habit ne fait pas le moine, et IDLES n’est pas un groupe de punk comme les autres. Derrière une violence non-dissimulée autant dans leurs paroles que sur scène, se cachent des gars brillants à la sagesse étonnante. Dirigé par un chanteur à l’histoire singulière, qui a perdu sa mère et sa fille dans un laps de temps assez court, IDLES est guidé par l’urgence de vivre, et la dénonciation de l’hypocrisie ambiante. Là où on s’attendait à voir débarquer des gros punks à bières fumant clope sur clope, on voit Joe et Mark (ndlr: le chanteur et le guitariste) arriver dans cette salle de presse au TINALS, sereins, où nous étions plusieurs journalistes à trépigner d’impatience à poser des questions sur ce groupe en plein essor. On était loin de se douter à quel point les réponses qu’on allait entendre seraient autant philosophiques et sociologiques.
Retranscription de cette conférence de presse tri-média (avec Radio Campus Montpellier et Radio Néo) réalisée en 20 minutes top chrono :
En à peine un album, « Brutalism » vous êtes devenus un des groupes les plus violents et énergiques sur la scène punk-rock (ou appelez ça comme vous voulez). D’où vient toute cette violence, qui n’était pas là dans vos premiers EP ?
Joe : Il y a toujours eu de la violence dans notre musique, dès le début, avec des guitares incisives et un timbre clair. On veut utiliser la violence comme un véhicule pour mettre en image notre vérité. Et la vérité vient de morceaux de nos propres vies, d’histoires, d’amour, de politique, de joie, etc. Mais on utilise la violence pour couvrir différentes émotions, pas juste de la colère. Si tu vas dans les premières chansons qu’on a faites, « Thieves » par exemple est un sujet très violent, à propos des politiques qui nous mentent, et pour qui nous votons. A l’époque, j’étais beaucoup plus énervé que ce que je ne le suis aujourd’hui. Maintenant je suis plus triste, et je ne bois plus. Je pense que collectivement, nos voix deviennent un art violent, et c’est le moyen le productif de raconter nos histoires et la vie.
Tout ce que vous faites est politique. Quand vous dites en interview que « vous voulez rendre l’Angleterre meilleure avec votre musique », comment vous faites pour y arriver ?
Mark : Je ne sens pas personnellement le besoin de rendre notre pays meilleur, c’est plutôt de l’ordre de l’introspection en cherchant à nous rendre meilleur nous en priorité ; avec tout ce que ça sous-entend (ouverture, amélioration, altruisme, etc.). C’est surtout d’être honnête avec soi-même et honnête avec les problèmes de notre société, et voir ce que l’on peut proposer en solution ou en réponse. C’est ce que nous cherchons à faire à travers notre musique, à s’améliorer les uns les autres ; autant dans le groupe qu’avec notre public.
Joe : C’est moi qui veut rendre l’Angleterre meilleure. Pas parce que je me sens affilié à ce pays, je ne me considère pas comme anglais, et encore moins britannique. Mais je pense qu’il y a une perte d’identité généralisée, peut-être parce que nous ne voulons pas nous sentir anglais, mais parce que je veux améliorer la narration d’être un artiste à notre époque. Je pense que je voudrais aider, juste en étant une part de la solution, mais aussi une part du problème. On doit ouvrir la discussion avec nos adversaires, les gens avec qui nous ne sommes pas d’accord pour passer de « je déteste mon ennemi » en « je veux apprendre de mon ennemi » ; même si cela implique qu’ils apprennent qu’ils ont tord, car ça peut les diriger vers ce qui est vrai. Ouvrir la discussion, et écouter d’autres positions est la clef. Il y a beaucoup de colère en Angleterre envers des gens que l’on ne connait pas, les immigrants par exemple, ou les populations isolées qui sont racistes et homophobes, xénophobes, apeurés, pauvres, et en colère : les émotions les plus dangereuses que l’on peut avoir. Je pense qu’à travers notre second album, on se focalisera davantage sur l’ouverture d’esprit, l’ouverture d’écoute, et l’ouverture de cœur pour appréhender un nouveau futur qui inclut tout le monde ; pas juste les riches, ou les blancs, ou les hommes, ou les indigènes.
Et Bristol dans tout ça, votre ville d’origine ?
Mark : Bristol est une bonne ville pour l’ouverture d’esprit et la compréhension des autres vu qu’il y a de tout. Ça a toujours été un melting-pot de personnes qui viennent de partout dans le monde, et la musique est très variée. Les gens de Bristol sont très différents.
Joe : Niveau musical, il n’y a pas vraiment de scène à Bristol à proprement parler, pour deux raisons. La première, il y a un niveau faible de productivité dans notre ville. Tout le monde s’amuse trop et profite des autres. Et quand tu profites trop, tu oublies le reste. Secondo, il y a une longue histoire d’immigration dans notre ville, d’esclavage ; une histoire assez sombre, mais une des plus colorées et qui représentent le plus de cultures au niveau national. Et grâce à cette célébrations des différences, je me sens privilégié car on se sent autorisé à faire ce que l’on veut comme musique sans aucune pression vu qu’il n’y a a pas de scène spécifique. On a le trip-hop, qui n’est pas un nouveau son en soi mais un mariage de différentes cultures et une célébration de tout ça, comme le krautrock, la dub, etc. Ça fait de Bristol une ville intéressante et inspirante, à cause de ses différences et pas à cause de ses singularités.
Vous préférez quoi : enregistrer, composer, ou jouer en live ?
Mark : C’est un tout. Tu composes pour pouvoir enregistrer et ensuite faire des lives, et devenir meilleur, avant de retourner composer pour enregistrer, etc. C’est une boucle, et de pouvoir venir jouer en France avec un tel line-up comme au TINALS c’est toujours une joie.
Joe : L’écriture du premier album nous a préparé à une évolution. A cause de notre approche de l’art, qui est le plus automatique possible, nous cherchons à être vrai et direct. On trouve que ça manque pas mal dans la culture populaire, surtout en Angleterre, dans les médias, les magazines, la télévision, etc. Les choses sont définies à l’avance et frôlent toujours la perfection. En tant que spectateur, il y a une vraie pression sur le fait de penser que tu es imparfait, car tout ce que tu vois est tellement parfait. C’est des conneries, un mensonge. A des moments où on était confus et perdus en tant que musiciens, amis et personnes, on a certainement trouvé de la solitude face à tout ça, mais en comprenant que cette pression était de la merde et que nous devions nous éclater à la place, ça a changé notre regard. On cherche juste à être vrais, et les gens ressentent ça. Il y a un vrai dialogue entre nous et notre public. Par exemple en France, on sent que les gens perçoivent cette vérité, et ils nous la renvoient. Ils nous racontent leurs histoires, on sent leur énergie dans la salle quand on joue, chose que tu ne perçois pas forcément dans d’autres concerts. Ils se sentent libres d’être ce qu’ils veulent, et de profiter. On apprend tous les jours de la culture à laquelle nous appartenons. La douleur, la perte, la joie, les choix de vie, etc. Du moment qu’on reste vrais, on continuera d’évoluer, jusqu’à ce qu’on vire Mark.
Mark : Mais quand ils m’auront viré, ça arrêtera d’évoluer. C’est moi le directeur artistique.
« Être en phase avec le présent, tout en travaillant sur le futur. Le passé est passé. »
Vous avez développé une grosse communauté sur Facebook. Vous en pensez quoi ? Vous lisez tous les messages ?
Joe : Comme le disait notre directeur artistique plus tôt, on se sent privilégiés d’avoir développé cet espace « d’art cloud », qui se diffuse partout. On a rencontré pleins d’individus, entendu plein d’histoires, et qui ressentaient de la résonance dans ce qu’on disait. C’est réconfortant. Ça me fait sentir plus humain et plus en sécurité que jamais, ça rend humble d’entendre autant d’hommes et de femmes car dans notre pays, les hommes ne partagent pas assez leurs émotions, et je suis assez vulnérable depuis la mort de ma mère, et depuis la mort de ma fille. Et je pense qu’être vulnérable, en tant qu’homme, inspire les autres hommes sur la douleur ; car tout le monde a de la douleur. Mais surtout les femmes, rien que sur le fait d’être une femme, mais les hommes aussi. C’est une belle expérience communautaire, c’est merveilleux. Car c’est très affectueux, et c’est le sens dans lequel on veut aller. On ne veut pas être un simple groupe de rock connoté, qui crie fort et boit de la bière en cassant tout. All is love.
Du coup vous vous considérez au-delà du punk ?
Joe : Absolument. Même en regardant plus loin, tout ce que l’on fait va au-delà de la musique. On essaie de comprendre, on s’aime les uns les autres. Notre art essaie d’être un véhicule pour faire évoluer les choses et le monde, ouvrir le dialogue entre les gens. Si on était un vrai groupe, j’aurai sans doute besoin de perdre du poids et de porter de plus belles fringues, et chanter sur… je sais pas… les voitures. En tout cas c’est ce que j’observe. L’art est la meilleure chose dans le monde.
Une deuxième rencontre est prévue avec le groupe (en tête à tête cette fois-ci) pour la sortie de leur deuxième album, Joy as an Act of Resistance, le 31 août.
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