Cédric Breuze en a recyclé des mètres cubes de cordes de guitares et de cuivre de cymbales. Avec son asso Music Solidarity, il a réussi à envoyer des guitares en Palestine, des amplis basse au Mali, à s’implanter dans les gros festivals de musique pour promouvoir son activité et même récupérer les cordes de Robert Smith des Cure. Bilan de ces 6 ans : moins de 80 euros de récupérés en tout. On a échangé avec Cédric autour d’une période de sa vie à la fois si peu rentable et si utile à notre monde.
Qui
Cédric Breuze a aujourd’hui 40 ans. Il est Grenoblois, féru de pics enneigés. Et s’il a débuté sa vie active en sortant d’une école de commerce et en bossant dans le marketing, il n’est pas vraiment le profil-type que vous verrez sortir d’HEC. Non, Cédric son truc, c’est plus aller se mettre la tête au fond des subs d’un concert de Groundation, son groupe de reggae préféré. Par la suite, il a cumulé les boulots de secouriste en montagne, puis dans la recherche de financement pour des grandes ONG, et il est aujourd’hui professeur de yoga et de slackline. Babylone n’a qu’à bien se tenir. Joueur passionné de guitare, il a surtout commencé à s’intéresser aux moyens de recycler les cordes, le jour où il s’est rendu compte de la quantité faramineuse qu’il jetait. Et enfin, en 2012 : « J’ai reçu un prix de la communauté d’agglo de Grenoble et j’ai décidé de me lancer, l’idée traînait depuis longtemps. » et d’ajouter : « Ben oui, je suis sensible aux conséquences de mes gestes au quotidien. »
Quoi
Quel est mazette le point de départ de Music Solidarity ? Le but de cette association loi 1901 est de développer le recyclage des métaux utilisés dans les instruments comme les cordes mais aussi les cymbales, sensibiliser le plus grand nombre sur les conséquences de l’extraction des métaux (cela passe notamment par de la présence en festivals de musique) et enfin « renvoyer l’ascenseur aux pays du sud » avec de l’envoi de matériel.
Aujourd’hui, Music Solidarity c’est : « Des violons envoyés en Palestine, une trentaine au Mexique, des guitares au Cameroun, des cordes de piano, des amplis, des cymbales, et surtout des cordes NEUVES… pas des cordes rouillées par un blanc qui souhaite s’acheter une belle conscience » nous assène Cédric, contacté par mail. L’entrepreneur militant peut compter sur une bonne science du système D : en effet, pour acheminer des instruments jusqu’en Palestine, il utilise des techniques traditionnelles comme la chaîne humaine. Une première bagnole pour faire Nantes – Paris, puis une seconde personne pour Paris – Bruxelles, puis une association belge qui fait Belgique – Palestine d’une traite. Une année, il fait parvenir à Bamako 6 guitares, amplis basse, des congas, etc, dans une école gérée par un unique homme, en face de l’orphelinat de Bamako, qui n’avait jusqu’alors qu’une seule guitare.
Cédric nous communique ce que rapporte le recyclage de cordes, sur un bilan à la fois impressionnant et peu rémunérateur : « Pour 12 kilos de laiton mêlé (cymbales), j’en ai tiré 30€, pour 422 kilos de platinage mêlé (cordes), 25€, et pour 8 kilos de laiton mêlé (frettes), 20€. Au final, tout ça fait 73,82€… » En 6 ans. Presque comme Goldman Sachs, finalement. Mais trop faible pour construire un modèle viable.
Comment
Voilà comment fonctionne jusque-là la machine Music Solidarity. D’un côté, Cédric récupère les cordes et les cymbales pour les recycler. Ainsi il valorise le déchet et repense son cycle de vie. On parle notamment du nickel ou du cuivre.
Parallèlement, il récupère et répare des instruments, amplis et guitares et prépare les envois soit pour des actions de solidarité, soit pour les revendre à des musiciens. Pour récupérer les métaux, il a alors « 160 points de récolte partout en Europe, et même au Canada » nous souffle-t-il. Le deal, c’est que ses partenaires lui envoient des cartons à leurs frais.
Pour communiquer plus largement sur son activité, Cédric propose ses services sur les festivals de musique : Eurockéennes de Belfort, Rocktambule, Reggae Sun Ska, etc. Il rencontre les organisateurs ainsi que des artistes qui se révèlent de super soutiens. Comme il le dit dans une interview pour Conflickt Arts : « Je ne connaissais personne dans la musique en 2012. Après 3 ans, Hubert Félix Théfaine et The Cure m’ont donné leurs cordes. » Puis, Amadou et Mariam, Tiken Jah Fakoli, Grondation, Gowy suiveront. Plus tard, Irma, Natty et Nordine de Sinsemilia, Déné Issébéré, Broussaï, Olivier Gotti, Debout sur le Zinc et d’autres deviendront les partenaires de l’aventure de Cédric.
https://www.youtube.com/watch?v=XeQ3o7KycbM
Mais
Mais il y a un hic. Un hic si pesant qu’il a poussé Cédric à stopper son activité à la rentrée 2018. Déjà, si l’on parle de l’impact de Music Solidarity, ça n’est hélas pas suffisant. Le volume récupéré est trop faible, quelques mètres cube en 6 ans. Son action n’a, de plus, quasiment aucun moyen pour se développer. Tout tient sur les épaules de Cédric, il n’y a aucun budget communication ou marketing, aucune thune récupérée via une collecte de fond, aucun loyer payé pour un stock ou un bureau. La seule sub qu’il a eu s’élève à 3000€, et lui a été accordé il y a deux ans déjà. Surtout, l’expédition du matériel coûte cher. Et sans soutien, Cédric a pris l’eau : « Personne ne s’est jamais proposé à me donner la main » nous glisse-t-il, amer. Malgré des demandes régulières à la solidarité et aux dons, rien n’y fait. Et même malgré les réductions d’impôts de 66% en cas de dons.
En 2018, c’en est fini. Nous recevons par mail ce communiqué : « Depuis 2012 nous avons essayé ensemble de créer une solution afin de recycler les cordes de guitare, basse etc…et valoriser les métaux. L’idée était simple, valoriser un déchet plutôt que de le mettre dans un trou… Aujourd’hui, épuisé par ma traversée du désert, je décide d’abandonner. » Un message poignant qui transpire la désillusion. On a voulu comprendre avec les mots de Cédric pourquoi cet arrêt en cours de route. Ce qui l’a crevé, c’est le fait de « ramer à contre courant, seul, et l’hypocrisie des gens qui venaient vers moi…juste pour communiquer et faire du greenwashing », il abhorre « le double jeu des magasins », et regrette qu’il n’y ait « personne pour agir. » Mais surtout, et c’est selon lui la principale raison : « Tout le monde s’en TAPE de recycler ses cordes… L’immense immense majorité… Et oui, autant le dire vu que c’est la vérité. » La conscience écologique reste donc à construire pour notre chère humanité.
Donc
Outre cette déception, on a enfin voulu savoir plus globalement quel regard Cédric portait sur ses années de recyclage actif. Et ainsi sur la possibilité de monter une activité de recyclage « rentable ». L’activiste, qui n’a pas perdu sa fougue, « reste en alerte : si c’était rentable, ils se prostitueraient devant mon portail… Politiciens, sociétés, distributeurs, fabricants… Même les banquiers. » A la fin de son communiqué, il ajoute « en revanche je continuerai mes petites gouttes d’eau à la mer ». Pour lui, la poursuite de la lutte se traduit par la non-relâche de ses actions : « La partie solidarité continue, j’ai 30 violons qui sont en partance pour Mexico City. Tu peux retrouver un reportage sur La banda de Musica au Mexique sur Envoyé Spécial, et qui va être rediffusé bientôt d’ailleurs.
Allez plein de belles ondes » conclue-t-il.
Longue vie à Cédric.
C’est triste que l’aventure de Cédric n’est pas marchée.
Je change rarement mes cordes, mais ça me fait toujours mal de les jeter à la poubelle. Je viens donc de tomber sur cet article parce que je suis justement en train de changer mes cordes et que j’aimerais bien une solution de recyclage…!!
L’idéal serait que les magasins qui vendent des cordes soient obligés d’avoir un bac destiné au recyclage, comme c’est le cas avec les piles et les ampoules…
Un jour espérons!
Bonjour.
Triste histoire, que je découvre en me penchant sur l’initiative de D’addario de recycler les cordes… disponible aux USA uniquement.
Ceci étant dit j’ai l’impression que quelque chose m’échappe : Pourquoi les cordes de guitare rapportent-elles si peu d’argent ?
1) quand quelque chose devient rare cela devient cher. Sauf si le besoin n’existe pas. Autrement dit, est-ce que le nickel pourrait tout simplement être remplacé par autre chose, de surement un peu plus cher, à terme ? Raison pour laquelle l’industrie ne s’émeut pas de la raréfaction du nickel ? En attendant extraire de manière de plus en plus polluante n’est aps une solution. Remplacer le Nickel de manière préventive serait-il possible ?
2) Quel est le pourcentage de nickel par corde ? Quel st le pourcentage du nickel produit qui passe dans la prod de cordes chaque année, quel pourcentage part dans d’autres industries ?
Bon courage en tout cas.