En Roussillon comme en Catalogne, on se prépare pour la Sant Jordi, fête populaire du livre et de la rose. L’occasion de rencontrer le DJ et producteur Raph Dumas qui connaît bien Barcelone et ses traditions, comme celle de la Cobla Sant Jordi, ensemble instrumental catalan qui accompagne la sardane.
Comme DJ, Raph Dumas avait pris pour habitude de remixer en fin de set les instruments traditionnels catalans avec de la musique électro. C’est donc naturellement qu’il trace depuis quelques années des passerelles entre l’électro et l’acoustique, entre le nord et le sud, entre tradition et modernité. Rendez-vous est donc pris pour parler de son projet Coblism avec la Cobla Sant Jordi de Barcelone, et de la sortie du second opus Coblism 2.0.. Album intelligent qui parvient à moderniser une musique d’un autre temps sans pour autant la dénaturer. Comme quoi pour la tambouille comme pour la musique, c’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleurs soupes.
« Les politiques ont une responsabilité dans la folklorisation du patrimoine », Raph Dumas
Peux- tu nous expliquer la naissance du projet Coblism qui avait débuté en 2011 avec un 1er album ? En quoi se distingue le second opus Coblism 2.0 ?
Avant de mettre en place le projet avec la Cobla Sant Jordi, j’avais commencé à expérimenter des choses en partant du sampling de sons de coblas. Pascal Comelade (lire le portrait, ndlr) a été le premier à écouter ces trucs, et a beaucoup aimé. Il se trouve que Pascal est sur le même label que cette Cobla de Barcelone et il leur a fait découvrir ce son. Ça leur a beaucoup plu. Le projet initial qui a suivi la sortie de l’album Coblism, c’était plutôt de jouer les morceaux avec eux en version acoustique. Pour le volume 2, on est parti complètement à l’inverse de l’architecture du sample, qui reste assez pratique parce que ces sonorités sonnent dès qu’on les met en boucle. J’ai composé sur des machines (synthés, boîtes à rythmes…) tout seul. En revanche, sur scène, je serai bien entouré avec les treize musiciens de la Cobla. Disons qu’en France, cette musique méditerranéenne reste anecdotique, on peut même parler de musique d’ascenseur, la muzak comme l’appelle Pascal. C’est étonnant qu’ils s’agrègent à ce genre de projet. A mon avis, ce qui leur a plu, c’est le côté élégant, l’absence de mauvais goût.
Pour les non-initiés, la « sardane » : danse ou musique ? Danse et musique ? Folklore ou tradition ?
A ceux qui me demandent, je leur réponds d’aller voir la définition du « break dance » car c’est la même chose. On a une vision réductrice de la sardane surtout ici en Roussillon où, pour nous, c’est davantage du folklore, en ce sens que c’est arrêté dans le temps. Alors qu’en Catalogne du Sud, on est dans la tradition, ce qui laisse une marge d’évolution. Là-bas, c’est un style très dynamique avec cent quatre-vingts disques produits par an. Ce qui sort la sardane du folklore est que cette tradition est principalement portée par les jeunes. La danse contemporaine notamment s’est prise au jeu et propose une nouvelle pratique avec des nouveaux pas. On se rend compte quand même que les politiques ont une responsabilité dans la folklorisation du patrimoine.
Quel dénominateur commun vois-tu entre la sardane et la musique électro ?
Ce sont des musiques populaires, non scientifiques. Dans les deux pratiques, on est loin de la musique savante. Et surtout, il s’agit de musique de la rue. La danse dans la musique électro est plutôt une déviance. Ce qui me plaît dans l’électro, c’est le gros son. L’électro permet une dimension de production qui reste remarquable.
Pour composer, pars-tu d’une mélodie traditionnelle pour la transformer en morceau plus complexe ?
Originellement, ces mélodies se transmettent de génération en génération. Puis avec l’arrivée du compositeur catalan Pep Ventura, il va y avoir un changement de format avec davantage d’instruments comme la tenora, par exemple, qui a la même tessiture que le saxophone. Moi, je joue à partir d’instruments que je connais : les claviers, les logiciels… et c’est un arrangeur de sardane Xavi Cap de Vida qui a mis les choses en place, notamment pour les enregistrements et les échanges avec la cobla. C’est grâce à lui qu’on a réussi à garder une tonalité méditerranéenne. On a voulu que le disque soit sans ornementations, qu’il sonne de façon basique. On a enregistré avec très peu de prises dans une église à côté de Barcelone. Le principal étant que ça existe, on voulait un côté instantané, que ce ne soit pas lissé et c’était la même chose pour le mixage. Ce disque, je le vois comme un vrai témoignage.
« En voyant une grand-mère se trimballer avec son ghetto-blaster à New York, je me suis dit que la soul et le funk n’étaient pas ma culture. », Raph Dumas
Selon toi, doit-on transmettre le patrimoine ou le conserver ?
Pour ma part, j’ai un rapport instinctif et naturel au patrimoine. Je trouve que dans une société globalisée, c’est toujours intéressant de conserver une singularité. En fait, c’est le patrimoine qui contribue à la diversité. Effectivement, je n’y pensais pas en vivant à Perpignan. Une fois, à New York où j’évoluais en tant que DJ, je cherchais à m’imprégner de cette culture soul et funk, et en voyant une grand-mère se trimballer avec son ghetto-blaster sur l’épaule, je me suis dit que ce n’était vraiment pas ma culture. Je me suis rendu compte de l’importance de savoir ce qu’est sa culture. Effectivement, dans ce contexte-là, la transmission est fondamentale.
Ce second projet semble ouvrir les frontières d’un tout petit territoire, comme si on suivait la route côtière et qu’on s’arrêtait à Port Bou…
C’est vrai que la Méditerranée relie davantage les deux Catalognes alors que la montagne les sépare. En catalan, on dit « un enllaç », c’est un tracé naturel qui permet la communication. D’ailleurs, avec les musiciens du Sud, on communique naturellement. Il y a un lien que je ne saurais pas expliquer.
Ce parcours épique en Méditerranée, ça doit résonner comment ?
La sardane a un truc qui ne peut exister qu’en Méditerranée. Les instruments ont une résonance particulière qu’on peut retrouver aussi en Italie. De façon naturelle, les traits sont surdimensionnés. Quand on passe les thèmes techno en sardane, on arrive à de la romance sicilienne. On évolue dans un bain commun faite de traditions différentes, sans même s’en apercevoir.
Tu es un DJ qui aime être entouré : tu te sens plutôt chef d’orchestre ou plutôt chef de troupe ?
Disons que la musique électro amène souvent à être seul et qu’avec des projets comme celui-ci, je me fabrique des orchestres. En l’occurrence avec la Cobla Sant Jordi, j’ai été servi parce que c’est comme une équipe de foot, ils sont tout le temps ensemble. Ils n’ont pas besoin de chef de toute façon, c’est plutôt collégial comme façon de fonctionner. Si tu parles avec un, il faut qu’il voie avec les autres, d’abord. En fait, c’est beaucoup moins prise de tête qu’avec un groupe.
A travers ton parcours, tu as eu l’occasion de toucher à tous les aspects de la musique (vente, diffusion, production, organisation de festival) : quel aspect préfères-tu dans la musique ?
J’aime bien me mettre au service des autres, notamment pour la partie enregistrement. J’ai plus de difficultés pour mes projets perso. Le plus important dans la musique, c’est de n’être pas contraint par une économie, une mode, une industrie. On a souvent pour obligation de rentrer dans des cases, dans des options. Je suis davantage dans l’expérimental, je n’ai pas de projet véritable. Le souci étant que les disques ne se vendent pas et que les labels alternatifs ne vivent que grâce aux concerts. Donc on essaye de faire sans diffusion publique.
Y a-t-il des concerts de prévus avec la Cobla Sant Jordi ? As-tu d’autres projets par ailleurs ?
Alors, les concerts sont prévus pour cet été. Notamment le 6 août à Palamos, on sera accompagnés sur scène par une compagnie de danse contemporaine. Et je continue mes projets musicaux alternatifs notamment autour de remixes de chants traditionnels.
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