MENU
En lecture PARTAGER L'ARTICLE

« Psaumes » : Arm & Tepr pour un prêche alternatif

Qu’est-ce que cela donne quand Arm & Tepr, respectivement rappeur à la poétique rugueuse et producteur de house accompli, se mettent à collaborer ? Après avoir fini le tour des anecdotes sur leurs potes en commun et la vie quotidienne à Rennes, ça parle musique évidemment (Travis Scott, 18+, James Blake) mais aussi des univers futuristes qu’ils affectionnent tant (Akira, Blade Runner). On entend même des compliments envers PNL et son usage de l’auto-tune. Puis vient finalement l’envie de mettre tout ça en pratique avec un album au titre que l’on croit (à tort) éloigné du sujet.

Arm & Tepr sont des amis de longue date, voilà bientôt 18 ans qu’ils se fréquentent. C’est tout d’abord dans le groupe de Tepr (Abstrackt Keal Agram) que ces deux-là vont collaborer pour la première fois en 2004, sur un titre qui colle parfaitement à l’univers des deux personnages : « Et la nuit s’éternise… ». Par la suite, le rappeur Arm va faire le choix du collectif avec le projet Psykick Lyrikah qui brasse une véritable petite famille composée de Olivier Mellano, Robert Le Magnifique, Grems, Sept, Laetitia Sheriff, Iris… où chacun gravite autour de lui, faisant des écarts ponctuels à ses projets personnels. Tepr ne fera pas exception. Le producteur de Morlaix viendra fournir ses talents au projet dans « Jusque-là » sur l’album Derrière Moi (2010) et dans Jamais Trop Tard (2013) avec le titre « Mon Visage ». Tepr quant à lui, malgré la dissolution de Abstrackt Keal Agram en 2006, continue son fructueux chemin de producteur en solo (3 albums et 4 EP) et rencontre des artistes plus pop comme Yelle. Il remixe sur demande Martin Solveig et Santigold (avant Santogold) et accompagne même en tournée un certain Woodkid.

Les deux Bretons restent en contact année après année même s’ils écument les salles de concerts chacun de leur côté, forgeant leurs identités dans des registres presque antagonistes. En 2016 est pourtant lancé ce projet collaboratif, plus de 12 ans après leur premier featuring. Naît alors en avril Psaumes dont la pochette pourrait faire penser à un florilège des meilleurs oratorios de J.S. Bach ; que nenni !

Cet orgue aux reflets rutilants et magnétiques intriguent. On passe alors à l’écoute.

Le titre « Totem » ouvre la messe et Arm endosse la soutane du prédicateur. Grave comme toujours mais surtout poignant de vitalité. Son ton est toujours aussi ardent que d’habitude mais le brasier de lyrics est plus apaisé qu’à l’usuel. La musique, elle, suit le virage électronique déjà engagé dans le dernier album de Psykick mais hausse encore d’un ton : percussions analogiques, cloches, bruits industriels. Tepr qu’on connaît dans une veine house, répétitive et acidulée, s’adapte à l’univers de Arm tout en lui prodiguant un visage inconnu jusqu’à ce jour. Ici un beat hip-hop hardcore à l’américaine (« Tu Sais »), des basses technoïdes (« L’opposé ») ou encore un choeur grégorien numérique mi-spirituel, mi-épique (« Psaumes »). Un pari assez fou où Arm aussi sort de sa zone de confort en laissant une plus grande place à la musique au lieu de lui dédier des interludes. Les deux compères tentent mêmes des effets sur la voix, vocoder millimétré, écho, reverb, sans en faire des tonnes. Incarnation très ponctuelle d’un PNL qu’on ne verra jamais : poète, modeste et profond (« La nuit »).

On ne sait pas si c’est Arm qui rend Tepr plus sombre et taciturne ou si c’est ce dernier qui rend plus « pop » et lumineux Arm ; mais on s’en fout pas mal. Le fait est que les deux musiciens restent eux-mêmes, mais en différent. Le rappeur devient prêcheur et scande non pas un hymne à la vie post-mortem et à l’au-delà, mais à la vie des mortels et à l’en-dedans : « Fiston cours sur le ciel / Ne t’arrête pas / Traites la vie comme une reine / On ne la ramène pas. » (« La nuit »)

Les seuls sermons de Arm sont envers ceux qui se détournent de la vie et s’enferment dans des cycles mortifères. Musicalement cela peut aussi se traduire par une critique envers nous auditeurs qui avons tendance à écouter toujours les mêmes choses. Hum, désolé, traduisons cela par quelqu’un qui a du feu dans ses psaumes :

« Rallumez-Les »

Verset 8

Ne balance pas trop du mauvais côté,
les anges brassent là où tant de gars veulent aboyer fort,
Repense ça

Verset 23

Doublez-les, n’écoutez pas ceux qui ne doutent jamais
Avance tes pas, les gens t’redoutent pareil
Ils veulent les mêmes choses, toujours les mêmes choses
Ils veulent les mêmes trophées, courir les mêmes proses
Les mêmes ficelles qu’on tisse vite, vu qu’on sait faire
Tromper son monde pour ne pas trop les perdre

Cet opus rénove les sonorités du rap du prophète éphémère à l’heure 2016. Comme beaucoup d’autres certes, mais contrairement à eux leur parti pris est résolument tourné vers le futur et le fictif et non vers une ambition commerciale gangsta rap. Il est clair que ces deux-là ont fait éclaté chacun à leur manière, codes et convenances depuis longtemps, et laisseent ici s’exprimer une liberté qui, ne cherchant pas à plaire, séduit d’autant plus : « J’rappe pour personne / J’ai les codes de tout le monde » (« Psaumes »), « On est des éclaireurs comme d’hab (…) Laisse les croire qu’ils nous ont devancé » (« Totem »).

L’album Psaume et ses huit pistes s’avère être un hymne à la vie insoumise et turbulente. Les deux compères coopèrent et inventent une véritable petite planète rap qui touche à la spiritualité, la poésie et à la techno, comme une dimension alternative où l’on va se coucher quand le soleil se lève. Un projet bien atypique qui vivra sur scène au mois de juin mais probablement pas beaucoup plus. Chacun a déjà hâte de retourner terminer son prochain album perso. Arm élabore actuellement un opus en solo, isolé de sa famille habituelle et Tepr peaufine son prochain album, déjà 10 ans depuis le dernier (malgré un EP en 2015). Je peux vous dire qu’on a hâte.

Le 2 juin au Nouveau Casino de Paris
Le 3 juin à L’Ubu à Rennes

Crédit photo : Gildas Raffenel
Partager cet article
0 commentaire

0 commentaire

Soyez le premier à commenter cet article
Chargement...
Votre commentaire est en cours de modération
Merci
Une erreur est survenue lors de l'envoi de votre commentaire
Sourdoreille : la playlist ultime
Toutes les playlists

0:00
0:00
REVENIR
EN HAUT