Derrière le nom de Powerdove se cache Annie Lewandowski – ancienne de The Curtains – accompagnée souvent de John Dietrich (Deerhoof) et de Thomas Bonvalet, improvisateur et génial inventeur de sons et d’instruments (L’ocelle Mare, Cheval de Frise, Arlt). Autant de bonnes raisons de chroniquer leur nouveau disque, Machination.
Pour ce nouvel album la formation est resserrée autour du duo Lewandoski / Bonvalet. La première écrit, compose et interprète, quand le deuxième intervient et complète après coup. Ces huit morceaux ont été imaginés et composés par Annie Lewandoski au cours d’une navigation de dix semaines sur la mer Egée. A travers ses chansons, on partage son intimité, ses questionnements, ses doutes. Si de l’ensemble se dégage une certaine douceur, comme l’effet d’une caresse, elle est parfois de papier de verre. Et si l’on navigue en eau calme, le risque de bascule, de bourrasques, rôde toujours.
Les morceaux présents dans Machination semblent répondre à un même principe de composition : un thème, un riff, une boucle posée dès les premières secondes de façon assez rudimentaires et qui se module plus ou moins puis le chant, lent, grave, calme, et les interventions intenses, précises, chamaniques et minutieuses de Bonvalet qui opèrent comme confirmation ou trouble, comme surgissement ou accompagnement du ton du morceau. Avec ces sons sidérants et si difficilement sourçables, identifiables, Bonvalet entre autant en dialogues qu’en perturbations, en surgissements qu’en dérèglements avec les compositions. Des interventions comme des bourrasques d’émotions, mais sans que jamais le morceau ne bifurque pour autant.
Lorsque ces sons jaillissent, comme de la mer peut surgir un danger, ce sont autant de richesses dans l’expression de la complexité de nos vies émotionnelles. Des compositions à l’os, des émotions sédimentées dans des chansons perturbées : des gisements.
C’est ainsi que le disque s’ouvre avec « Machination », une boucle très organique, incarnée, entre fantasme et émotion ; et se poursuit par le plus clair et mélodieux « Frost Broken Willow » , à l’air tournoyant : sorte de ritournelle, de valse de travers, un peu lunaire qui, certes, s’arrête avant de basculer mais se fait de plus en plus bourdonnante.
Complexité émotionnelle, doute, nous l’avons dit. La navigation ralentie, s’apaise avec « Red Stain ». On est en eaux calmes, quelques aplats de notes, accords en boucle, percussions lointaines, frottements, puis ce banjo qui surgit : la navigation n’est jamais bien calme. Rien n’est jamais bien calme d’ailleurs et, émotionnellement, tout est souvent saturé : « i wish your questions » , « i can’t remember ». Le tic-tac métronomique de « Someone Else », c’est le temps qui passe et sous-tend cette simple ligne mélodique, et toujours ces sons qui interviennent, sans trop perturber l’ensemble : ce calme inquiet encore, cette douceur un peu troublée. Il s’agit toujours de garder le cap et de bien tenir la barre.
Puis les morceaux suivants opèrent un lent glissement : boucle de basse, « Bells and Glass », bref riff de guitare sur « Coursing River », cliquetis, percussions, surgissantes saturations. C’est plus grinçant, bien moins stable, ça se dérègle au fur et à mesure mais reste droit malgré tout. Avec « Public Oblivion » le registre change à nouveau entre minimalisme répétitif et rythme technoïde : ça grossit, ça s’épaissit. Enfin, le disque se clôt avec « Menace of Breath » par un retour au calme mais avec cette ombre qui rôde, et menace de détruire le difficile équilibre de l’édifice intérieur.
Ici ce n’est pas le calme avant la tempête. Trop facile. Bien davantage un calme perturbé, inéluctablement. Le tout est de bien tenir son cap émotionnel et de s’y tenir. Pour ceux qui aiment Powerdove attendez-vous donc à un disque moins grincant, stridant, tordu et distordu, pour ceux qui n’aiment pas Powervode pour ces mêmes raisons je vous invite à tenter de nouveau : ce serait dommage de passer à côté. Et enfin pour ceux qui ne connaissent pas ce groupe, sans doute les plus nombreux, ce nouvel opus est le plus accessible et la meilleure porte d’entrée dans cet univers étrange.
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