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Positive Education 2019 : notre carnet de liaison

Depuis son édition 0 en 2015, le Positive Education Festival s’est taillé une place unique dans la cour hexagonale des événements de musiques électroniques. Pour en apprendre plus sur son statut de tête d’ampoule et sa vision de l’éducation positive, on est allé faire un tour du côté de Saint Étienne lors de la dernière édition qui se tenait du 7 au 11 novembre dernier.

OBSERVATION #1 – LE FOREZ LÉ LA

Matière : Géographie

Motif ou commentaire : « Faire éclore un festival depuis une ville non identifiée comme une zone de « musiques de pointe » est quelque chose de compliqué » déclarait sur Dure Vie l’un des fondateurs du Positive Education Festival (PEF pour les intimes) avant l’événement de cette année. Après quatre éditions cependant, certains sites spécialisés vont jusqu’à gratifier le PEF de meilleur festival techno de France et une partie de la communauté électronique française ne se surprend même plus à booker des billets de trains et un Airbnb pour Saint-Étienne en plein mois de Novembre. On parle de la treizième commune la plus peuplée du pays (1), et à priori pas la plus sexy dans l’imaginaire collectif.

OBSERVATION #2 – COMPAS DANS L’OREILLE ET COJONES

Matière : Direction artistique

Motif ou commentaire : La grande part du génie et de l’attractivité du PEF tient dans sa programmation. Un kaléidoscope authentique et rafraîchissant d’artistes et de sous genres de dance music souvent sous représentés en France.

Bien qu’un peu moins présentes lors des dernières éditions du festival, les musiques breakées font partie de l’ADN du collectif Positive Education depuis un bail et faisaient leur retour en force cette année avec une scène 2 à la programmation digne d’un festival anglais. Pour l’avoir bien squatté, je retiendrai les leçons des papas Demdike Stare (représenté par un seul membre du duo) et dBridge ; des sub-bass et des sirènes de Kahn, encapuchonné, aux côtés de Pinch enchaînant rapidement grime, dubstep et dancehall devant une foule de bass heads aux gunfingers tendus (bienheureusement passé sous les radars de la police). Joie également de voir le Cairote Zuli – l’un des rares artistes vivants au Moyen-Orient qui arrivent à se faire booker en Europe en échappant au kitsh orientaliste que les promoteurs occidentaux ont l’habitude de mettre en avant (aller plus loin) – présenter son live abrasif et futuriste pour l’une des premières fois en France.

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Florian Simonot

Toujours du côté des racines UK, notons le plaisir – assez rare pour être souligné – d’entamer un after avec quelques beats garage comme le « Love Inna Basement » de DJ Bogdan aka Objekt joué par Helione le dimanche matin. J’ai peut-être pris ma claque du week-end en after justement, au moment ou Lil Ronin fermait celui du samedi. Je me revois me délecter de cette curieuse, lente et psychédélique découverte dans une odeur de poppers ambiante, au milieu d’un paysage de danseurs explorant l’espace en étirant leurs membres pour esquisser de longs pas de danse. Cette track jouée pendant la scène stimulera peut-être votre imagination.

S’il y avait un bémol à chercher dans la prog, ce serait celui du défaut de ses qualités : on a tendance à se retrouver dans des dilemmes cornéliens à choisir entre tel ou tel artiste, un peu comme lorsqu’on a trop d’onglets ouverts sur son navigateur internet pendant une session « dig » et qu’on sait qu’on va finir par passer à côté de quelques pépites. J’étais par exemple déchiré de quitter mon équipe en découvrant avec elle la vibe lancinante du Beesmunt Sound System, mais j’ai préféré écouter mon cœur en allant toquer chez Batu et Bambounou (un set que j’ai d’ailleurs trouvé assez haché, sans grande symbiose entre les deux djs, malgré quelques phases furieuses).

Légère frustration de ne pas avoir assisté aux « offs » du jeudi soir – gratuit et en plein air en début de soirée puis payant dans plusieurs salles de la ville toute la nuit – qui mettait à l’honneur des collectifs locaux comme Poto Feu, Les Bugnes ou Illégale Imposture. Dur d’assurer le marathon.

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Florian Simonot

OBSERVATION #3 – BON FRUIT VIENT DE BONNE SEMENCE

Matière : Pédagogie / Sciences de l’éducation

Motif ou commentaire : Si le PEF a pris l’habitude de mettre les petits plats dans les grands en déroulant chaque année un line-up XXL et ultra-pointu pour sa ville, le pari ne sort pas de nulle part.

Déjà, il s’inscrit dans la lignée d’un taff d’éducation de longue haleine. J’ai grandi et passé la plus grande partie de ma vie à une quarantaine de kilomètres de Saint-Etienne dans un bled de Nord Ardèche et je n’avais auparavant pas vraiment de raisons d’associer la route départementale 1082 du col du Grand Bois qui part de chez moi en direction de Sainté à autre chose qu’aux rendez-vous médicaux ou aux match des Verts. Puis j’ai appris à tendre l’oreille vers Saint-Etienne grâce aux programmations bien couillues que propose le crew Positive Education à travers ses soirées régulières. Je sais que si je me chauffe je peux aller écouter, par exemple, des guests comme Gigsta et Iueke un samedi soir au F2 pour une entrée moins chère qu’une partie de bowling. A mon image et celle de mes potes, le public devient toujours plus connaisseur et prend plaisir à suivre le collectif dans son délire. Depuis sa création en 2012, il distille ses enseignements avec goût et offre un nouvel élan à la vie nocturne stéphanoise.

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Au fil des ans, Positive Education a même (re)donné une identité ainsi qu’un certain rayonnement à la scène dance de Sainté : j’ai déjà vu passer un terme comme « patte stéphanoise » sur le groupe Facebook des Chineurs de Techno en référence à des tracks de slow trance / EBM libidineuse façon Düsselfdorf. Une identité forgée au fil des années à travers les couleurs musicales des line-ups des soirées qu’organisent le collectif (à Sainté depuis ses débuts et dans d’autres villes depuis plus récemment), des éditions précédentes du festival ; des sets des deux fondateurs Antoine Hernandez et Charles di Falco aka Les Fils de Jacob qui s’exportent derrière les platines de plus en plus de clubs de France et d’Europe ; et celles des sets et des productions de la plus jeune génération de rejetons stéphanois qu’ils entraînent dans leur sillon comme Jacques Satre, A Strange Wedding, Basic ou Helione (les deux derniers cités étant nourris à des esthétiques penchants plus vers la UK bass et ses évolutions, une autre myriade de styles également défendu par le collectif depuis ses débuts comme évoqué plus haut). Autant d’artistes locaux qui s’expriment toute l’année au milieu des pointures qui les inspirent lors des soirées du crew à et hors Sainté, sur le label stéphanois Worst Records, et bien sûr, pendant le PEF.

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Florian Simonot

OBSERVATION #4 – CLASSE ET MALADRESSE

Matière : Histoire / Scénographie

Motif ou commentaire : Loin des parcs expos aseptisés, le cadre du PEF a une âme véritable. Il prend place dans une ancienne manufacture d’armes (où l’on fabriquait les fameux FAMAS – Fusils d’Assauts de la Manufacture d’Armes de St Étienne) désormais reconverti en Cité du Design.

L’ambiance post-industrielle est palpable entre (et dans) chacune des trois scènes. Particulièrement dans la 1, la plus grande d’entre elles. Un cadre qui fonctionnait très bien avec des musiques rapides comme la matrice electro d’Helena Hauff par exemple, mais moins adapté à d’autres performances. Je ne suis par exemple pas arrivé à m’abandonner corps et âme dans la profondeur de la deep techno de Valentino Mora – pourtant l’un des artistes que j’avais le plus hâte d’écouter – dans cet hangar à l’allure gigantesque. La dimension meta-physique de la musique aurait été peut-être mieux adaptée à l’ambiance plus intime et chaleureuse de la salle 3 plutôt que dans cette warehouse où la scène surélevée était éloignée à trois mètres des danseurs. A contrario, j’aurai bien aimé pouvoir observer les musiciens et instruments de l’ensemble percussionniste African Head Charge sur une estrade alors qu’il jouait de plain pieds sur la scène 3 (je n’ai pas eu la force de me frayer un chemin à travers la foule plus compact que jamais), ce qui aurait été justifié par rapport à de « simples » platinistes qui surplombaient la foule dans d’autre salles alors qu’il n’y a rien de particulier à observer. Dans la série des petites erreurs d’organisation pas très méchantes, on peut ajouter la cohue et le temps d’attente au cashless et aux bars le premier soir. Carton jaune par contre pour nous avoir fait poireauter une heure et demi dehors, dans le froid et l’incompréhension, à 5h du mat lors de cette même première soirée (puis deux fois moins longtemps le lendemain) avant d’ouvrir les portes de la salle de l’after.

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Florian Simonot

OBSERVATION #5 – FAMILLE, PASSION, PERDITION

Matière : Santé et cohésion

Motif ou commentaire : Quiconque a assisté au PEF pourra témoigner qu’une atmosphère familiale est palpable et que le festival transpire la passion. Beaucoup d’artistes invités sont des habitués du PEF et restent jusqu’à la fin en tant que danseurs pour faire la teuf. C’est la première fois que je vois, dans un festival de cette taille, les organisateurs courir dans tous les sens (et avec la banane) du début de l’événement jusqu’à le clôturer derrière les platines de 10h30 à 12h le lundi matin. Je n’y étais pas mais je sais qu’il y a été joué un remix de « La Macarena ».

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De ce que j’ai pu observer pendant le festival, il règne une certaine forme de liberté et d’autogestion, et la sécu est globalement chill et bienveillante. Une dimension incarnée par Mehdi – videur iconique du PEF avec son sourire et sa veste de mono de ski – que je revois par exemple demander « ça va mon grand ? » à un gars trop défoncé qui errait et parlait tout seul en fin de matinée. Comme toujours, la frontière entre espace de décompression et destruction de soi est mince et une atmosphère de démence peut planer au-dessus de l’ambiance bon enfant. En lisant récemment Giono qui décrivait déjà, en 1938, une génération « d’hommes entraînés vers les 10% de bonheurs extraordinaires promis par la technique industrielle portant le poids des 90% de malheurs nouveaux […]qui ne se nourrit plus que d’excitants » , je me suis revu reprendre mon souffle pendant l’after dans la cour de l’ancienne manufacture en observant les membres de la faune qui m’entouraient, qui « n’avaient plus de corps naturels mais seulement une fragile charpente de nerfs excités par la morphine des bonheurs industriel ». (2) Je me demande parfois si ces âmes en peine qui tentent d’échapper illusoirement à un monde d’aliénation ne sont pas de plus en plus nombreuses et si ce phénomène n’explique pas la croissance de l’industrie de la fuite, de la popularité des événements techno et participe donc aussi à la réussite d’événements auparavant de niche comme le PEF. Mais je préfère finir ce papier sur l’image plus positive du public qui, une fois la musique coupée à la fin du premier after, ne voulait pas de s’arrêter de jouer des percussions avec ses mains sur le bar pour faire durer cet instant de communion et de liberté primitive.

Crédits photos : Florian Simonot

(1) Selon les derniers chiffres de l’INSEE
(2) Jean Giono, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, 1938

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