« Vas-y, fais nous un scratch » ou « tu nous montres tes médailles de championnats de DJ? », voilà des phrases que vous éviterez de dire à Pone à la fin de son prochain live quand vous aurez fini votre demi de rosé Boulaouane passé en douce de votre salle de concert locale. Accueillez comme il se doit le producteur, l’amoureux des mélodies, des textures, des petits bruits, du calme. L’ex-Birdy Nam Nam s’est associé à Superpoze et Boogie Vice pour son premier album solo « Radiant » et, pour l’occasion, on l’a rencontré pour parler de ses années dans la musique électronique, de ses nouvelles lubies musicales, de l’importance des voix, de Clément Méric et, période oblige, d’actualité.
Salut Pone, où est le DJ ?
Il est là encore, mais j’avais envie de le mettre un peu de côté, assumer un truc plus de producteur et donc justement me détacher des scratchs, des championnats… Que je faisais il y a quatorze ans. J’ai d’autres qualités que ça.
Dans Sarh, avec José Reis Fontao de Stuck in the Sound, ou aujourd’hui en solo, tu es carrément sorti des rythmiques hip-hop ou d’électro maximaliste qui t’ont fait connaître ?
Ouais et encore sur certains morceaux, comme le « M.F.C. », y’a un truc un peu banger. C’est bien d’avoir fait Sarh avant cet album parce que ça y amène assez bien. Au sein de formations comme Birdy Nam Nam, on est quatre, chacun y va de son rôle, tu peux pas prendre le pas sur tout le monde. Sarh, c’est vraiment moi, Radiant, c’est la même chose. Je suis plus doux que ce que les gens imaginent.
Peut-être parce que tu as fait de nouvelles découvertes ?
Avec Superpoze, on a écouté plein de choses. Je ne connaissais pas Mount Kimbie avant de le rencontrer. Je sais pas si Superpoze avait écouté Amnesiac de Radiohead. La musique un peu mentale, les premiers trucs de trip-hop réussis comme Portishead ou Tricky ou Massive Mattack que je trouve complètement dingues, ça m’a bien marqué aussi. J’ai plein de facettes : les musiques violentes, le punk rock, le hardcore métal, des trucs comme Madball ou Hatebreed et en même temps j’adore la musique douce, je suis fan de Jeanne Moreau. Peut-être à cause de ma vie privée, de l’âge, j’avais besoin de faire un disque teinté de mélancolie.
Ce qui reste, c’est ta capacité à détraquer une apparente régularité d’un morceau électro avec des petits bruits. Tu confirmes ?
Ça, c’est le bonheur. Et en plus, j’ai travaillé avec des gens qui adorent faire ça. C’était parfait. S’il y a bien un endroit de liberté, c’est là. « Ah l’intro, elle est un peu longue », mais non elle est pas longue, tu as peut-être l’habitude que ça parte tout de suite, mais elle pourrait faire 3, voire 6 minutes, qu’est-ce qu’on s’en fout ? Je voulais que mon disque, il puisse s’écouter au casque, que tu te concentres bien. Rien n’est fait au hasard. Des fois des choses arrivent par chance, mais ça ne part pas de rien.
« A la fin d’un concert avec Orelsan, un mec de 20 ans m’a dit ‘écoute, franchement, t’es pas mauvais, il faut que tu continues mec.’ Et c’était tellement touchant. Ahah. »
Ça ne serait pas ça le secret dans un monde de surenchère de musique : se concentrer sur des détails ?
A des moments de l’album, t’as l’impression que dans le fond, ça fait « krrrrkrkr ». Tous mes beats sont des samples, rien en Midi. Y’a des ghosts sounds que tu n’entends pas mais qui sont là, des fils, des bruits de vinyles tellement légers… C’est de la branlette, mais pour nous, c’est génial. Il y a beaucoup de banques de sons de J Dilla dont les samples grattent, crissent, c’est magique. C’est comme ça que je le vois. Avant de mixer l’album, j’avais parlé d’un de mes albums référents, c’est Nightclubbing de Grace Jones, en 1981, produit par Sly et Robbie Dunbar. L’album est complètement taré. Réverbe, des sons droite, gauche, des synthés, il y en a partout. Tu fermes les yeux, c’est spatial. Tu peux pas écouter de la musique avec un ordinateur, t’entends rien. Y’a pas de son, y’a pas de finesse. T’as des mecs qui écoutent de la musique avec une oreille de casque de iPhone en te parlant, en fond musical. Des albums, je vais pas en faire quatre-vingt, autant que j’en sois fier.
Tu parlais de Superpoze. Pour qu’on comprenne bien votre histoire, c’est un producteur (toi) qui fait un album produit lui-même par un autre producteur (lui). Comment expliques-tu votre collaboration ?
Superpoze, c’est la justesse des mélodies. Il m’a aidé à sortir de ma zone de confort, de ne pas tomber dans le vieux qui essaie de faire le jeune ou dans le vieux qui comprend pas les nouveaux codes. On a aussi réussi à trouver un terrain d’entente parce que j’avais plein de maquettes et de rythmiques et lui il était tout de suite touché. Son expression, c’était « ah putain, ça, c’est trop ma zone » ou « ce beat, il est bien organique » et il m’a dit « tu es le seul vrai beatmaker que je connaisse parce que toi tu fais des beats, moi je fais juste des rythmiques. » Des fois, j’avais une idée mélodique et il me disait : « ah, ça je sais pas si c’est vraiment bien, essaie plus comme ça. » J’aurais jamais pu faire ce disque sans lui ni Boogie Vice [producteur et arrangeur qui a mixé le disque, ndlr]. J’ai vraiment compris l’importance d’un réal sur un album.
« Dans les interviews, tout le monde me demande pourquoi PNL marche autant. Parce que t’es posé ! T’as vraiment envie d’écouter du speedcore en ce moment ? »
Tu as laissé de la place à plusieurs chanteurs et une chanteuse. Les voix semblent toutes claires et douces ? Comment s’est fait le choix ?
Je reste très fan des mecs qui ont des voix aiguës. J’ai fait Sarh avec José qui a une voix exceptionnelle. Les voix sur mon disque s’en approchent. Jaw [du groupe dOP, ndlr], je l’avais découvert sur le morceau de Para One « When the night » qui est assez fascinant. Il est passé à mon studio, je lui ai fait écouter l’instru et tout de suite il me lâche quasiment la mélodie du morceau, un peu en yaourt, un peu vite fait. Et ça marche. Sage, c’était une idée de Superpoze, et ça a tapé juste. Isles, c’est un mec de 22 ans du Texas. A ce moment là, je cherchais des voix à la King Krule, à la Sampha, un truc profond, et puis j’en parle à Pedro [Winter, Busy P, ndlr] et il m’a fait écouté une seule maquette, c’était lui et il est finalement venu enregistrer à Paris. Louisahhh, à la base le morceau était très club et on l’a finalement déclubbé. Je l’aime bien parce qu’il est anglais, bien sale, j’le kiffe (rires mesquin).
Fini le Pone hardcore ?
J’ai jamais… Oui, j’ai fait des trucs avec des groupes un peu hardcore, dans l’esprit. Mais j’ai toujours eu de la douceur et des jolies choses. Je suis émotif. J’ai autant d’émotions à écouter le premier album de Rage Against The Machine que le premier album de Portishead.
C’est marrant parce que dans les commentaires YouTube de ton clip de « Physical Element », la moitié, c’est « trop bien, merci Orelsan pour la découverte ! » En fait, la nouvelle génération te découvre à peine ?
Oui, parce qu’Orel l’a partagé sur sa page. J’ai déjà fini un concert avec Orelsan où un mec de 20 ans m’a dit « écoute, jt’ai vu là et franchement t’es pas mauvais, il faut que tu continues mec », et je lui ai dit « écoute merci, ça m’encourage. » Et c’était tellement touchant. En même temps, tournant avec les Casseurs Flowteurs… J’allais pas lui dire « eh mec, ta gueule, tu sais pas qui je suis », le mec il avait quasiment vingt ans de moins que moi, c’est normal qu’il ne me connaisse pas.
Tu as des exemples d’albums qui sonnent vieillots ?
Je suis pas bien sûr qu’un album de Cypress Hill sonne hyper moderne. Quand tu prends de l’âge, tu fais vite vieux qui vient avec une casquette. DJ Shadow, j’ai plus trop écouté mais j’ai entendu un truc un peu trap, ça me faisait bizarre d’entendre ça. En bossant avec Superpoze, je savais bien qu’on allait pas faire de la trap ou des trucs à la Flume avec des voix « ouhaouha ». Ça, c’est des pièges. Cashmere Cat ou Flume, c’est des mecs qui ont imposé un truc très fort et maintenant, dès que tu entends un truc comme ça, tu te dis « ouh, ça marche pas. » C’est comme un effet qui s’appelle le sidechain, ça fait Kaytranada tout de suite. Et encore, Kaytranada, il est déjà sorti de ça. Même dans les trucs newschool, il y a déjà des pièges.
En 2014, on te voit aussi aux côtés de Rocé, Première Ligne ou la Scred Connexion, dans le cadre d’un concert un an après la mort de Clément Méric. Tu es toujours proche des antifas ?
J’ai passé 8 ans à Ménilmontant et pas mal dans un bar d’antifas, où j’ai plein de potes. Clément Méric, je le connaissais, je l’ai rencontré plusieurs fois. C’était pas un ami intime mais j’ai eu des conversations plusieurs fois avec lui et il était extrêmement impressionnant par son intelligence et malgré sa jeunesse. Il était bluffant. Je ne m’en suis jamais caché d’être proche des antifas de Paris. Je les vois moins parce que je ne vis plus à Ménilmontant. Dans l’album, il y a un morceau qui s’appelle « MFC » en référence au Ménilmontant Football Club. C’est une histoire d’ultras, de supporters, mais sans violence. Parce qu’il existe ce milieu de supporters passionnés et non-violents. Tu vas à Bauer à Saint-Ouen, t’as des fumigènes, de la ferveur, mais ils sont pas là pour tout péta et tout brûler. C’est un clip très esthétique. Dans le clip, t’as les vrais supporters du MFC qui ont été super gentils d’y participer. J’ai toujours respecté leur engagement. Quand on me demande des services type « viens chanter pour Clément », je réfléchis pas une seconde.
Comment as-tu vécu cette année d’événements tragiques et de réponses politiques ?
C’est compliqué. La droite et l’extrême droite se gavent depuis un an. Tu crois quand même pas que les socialistes, ils vont passer ? Ils vont se faire défoncer, c’est sûr et certain. Tu peux être sûr qu’on va être partis pour de la droite bien dure. Il y a de la tension partout, de tous les côtés. La violence, t’en as partout. Tous ces pauvres gens qui se sont noyés, les mecs qui les tabassent à leur arrivée en Allemagne, les keufs qui butent pour un oui et pour un nom juste parce qu’ils sont noirs, des gamins qui butent un curé de 75 piges, les gens qui viennent se recueillir à Nice et les gens qui disent « non vous, vous vous arrachez »… Et puis la médiatisation fait que n’importe quel connard qui regarde la télé, il pense qu’en mitraillant tout le monde, il va faire la une et que personne ne va l’oublier. T’as l’impression d’être dans un film où un mec a appuyé sur un bouton et tout le monde se vénère. Et tu sais que dans certains pays, ça fait dix ans qu’ils vivent ça mais puissance 10. Moi, j’ai juste envie de faire de la zik.
Il faut donner de l’amour ?
Donner de l’amour et fumer des oinjs. Dans les interviews, tout le monde me demande pourquoi PNL ça marche autant. Bah, parce que c’est cool, t’es posé. T’as vraiment envie d’écouter du speedcore en ce moment ?
Pone sera en live à la Gaîté Lyrique le 14 décembre. Son album Radiant sort le 21 octobre.
Crédits photos : Kid Santo
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