On croit avoir tout vu, tout entendu, et puis un jour, sans qu’on ait eu le temps de s’y préparer, ça arrive. D’un coup. Comme ça. Imprévisible comme le colis en retard qu’on n’attendait plus : un nouvel artiste vient perturber notre répertoire musical, lui redonner vie. Remède contre l’ennui, pommade pour les orties, entre autodérision et rythmes old-school, découvrez l’univers du rappeur Old Man Saxon qui ne mâche pas son flow.
Costard ringard, tons pastel, et lunettes d’intello. A-t-on affaire à un rappeur ou à un vendeur de matelas sorti d’un film des années 70 ? Difficile de savoir avant de prendre le temps d’apprécier l’univers artistique, visuel et musical d’Old Man Saxon qui représente le mélange parfait entre le rap « conscient » de Kery James et l’exubérance d’Alaclair Ensemble. Pourtant, on a beau chercher, creuser, taper, il est quasi-impossible de trouver un article portant son nom en français. Le rappeur originaire de Denver et actuellement basé à Los Angeles ne semble pas encore avoir traversé les remparts intangibles de la francophonie. Or, depuis la sortie de son clip « The Perils » en 2016, il est certain que ses mots et son vécu pourraient en inspirer plus d’un·e.
Avant de se mettre au rap à temps plein, Old Man Saxon, alias Saxon Kincy – de son vrai nom – a expérimenté plusieurs trajectoires. Après avoir obtenu un diplôme en « études ethniques » dans le Colorado, il déménage à Los Angeles pour travailler en tant que testeur de jeux-vidéos. En interview avec le site The Preaheater, il explique : « Ça semble amusant mais en fait c’était nul. C’était épouvantable. Je ne joue plus aux jeux-vidéos depuis (rires). » Aujourd’hui, il navigue entre son métier de rappeur et de professeur de musique à l’université où il enseigne… le rap justement. La majeure partie de son travail semble être d’inciter ses élèves à parler de ce qu’ils connaissent, au lieu d’imiter des stars, de faire croire qu’ils sont pleins aux as, et qu’ils sortent avec des top modèles. « Qui ça intéresse de savoir que tu passes ton temps à déboucher des bouteilles ? Tout le monde se fiche de savoir ça. »
Mes ex-professeurs de lycée n’approuveraient surement pas mais j’estime que les commentaires YouTube devraient être étudiés comme des sources dignes d’intérêt, surtout lorsque l’un d’eux a été épinglé par l’artiste lui-même. Dans le cas du clip « Sunday Saxon », un prénommé Calvin Wong nous révèle que cette vidéo mène une réflexion sur le thème de la négligence parentale. La tortue, animal lent et patient, vient combler le manque d’attention que ressent le jeune garçon délaissé par sa mère. Comme le souligne une autre commentatrice (et après quelques recherches Wikipédia), la tortue peut aussi être perçue comme une référence à l’histoire et la culture des peuples iroquoiens, pour qui elle est un animal sacré, à l’origine de la création de la Terre. Profondeur quand tu nous tiens.
Père de deux filles, Old Man Saxon poursuit son chemin au fil des albums et grandit en notoriété, notamment depuis son passage à l’émission Rythm + Flow, sur Netflix (équivalent de La Nouvelle Star, version rap). Sa façon de mettre en scène son quotidien n’est pas sans rappeler la transparence du rappeur anglais Loyle Carner, qui a tout de même tourné tout un clip dans une cuisine… en train de cuisiner des pancakes. Rappeurs papa, rappeurs proches des gens, rappeurs qui cuisinent… Le rap n’a jamais été aussi éclectique, à nous de choisir les artistes dont les valeurs sonnent aussi bien que leur musique.
En plus de talents d’acteur et d’un flow fluide, Saxon n’hésite pas à se livrer, et à raconter une réalité qui n’est pas forcément belle à voir. « The Perils » (clip à regarder en début d’article) relate notamment les 13 mois pendant lesquels il a choisi de dormir dans sa voiture car les loyers de L.A étaient trop chers, et qu’il ne voulait pas embarrasser ses amis et sa famille. Toujours chez The Preaheater, il explique : « Ce moment a changé ma vie. J’ai réalisé que je n’avais pas besoin de grand chose pour survivre. Seulement de quelques t-shirts, de sous-vêtements, de pantalons et d’un oreiller. Après avoir compris comment me frayer un chemin à travers ce monde, il était plus facile pour moi de garder mon argent pour ce qui est vraiment important, comme la musique et la nourriture. »
Sans le mettre particulièrement en valeur, ses mots mettent le doigt sur la problématique du mal-logement dans cette ville mythique de la côte ouest dont un article des Echos nous informe que le nombre de sans domicile fixe a bondi de 12 % dans le comté en 2018. Nous voilà bien loin l’image trépidante des palmiers, de la plage et des buildings qui ne font que camoufler l’envers du décor. Le rap a longtemps été un moyen d’exprimer une autre version des faits et, en se livrant comme il le fait, Saxon permet à cet art de résonner, tout en y ajoutant sa touche personnelle. Preuve qu’on n’a pas besoin d’être sexy ou de parler de sujets légers pour mettre tout le monde d’accord. Bon ok, peut-être pas tout le monde, mais vous comprenez l’idée.
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