A quoi bon faire de la musique si tout est « une copie d’une copie d’une topline ? » On garde cette vaste question pour une autre fois et on se recentre sur le challenge du jour : raconter en étant professionnelle – mais pas trop – notre rencontre quasi-impromptue avec l’auteur, compositeur et interprète Moussa. On l’avait découvert avec son album « Cabrioli » il y a maintenant trois ans, son ton décontracté et ses prods bien senties ont évolué depuis, dans une quête d’authenticité dont le cap n’est pas toujours facile à tenir.
À la fin de son set, Moussa prend le temps de regarder le public l’applaudir dans la salle enfin démasquée du Temps Machine, à Tours. Ce public, ce n’est pas « son » public, et c’est pour lui un exercice de se frotter à celles et ceux qui sont d’abord venus voir le groupe Odezenne dont il anime la première partie.
Quelques heures avant le concert, on apprend que Moussa est partant pour l’interview. Quelques minutes avant son entrée sur scène, on nous confirme qu’il accepte qu’on soit trois à le rencontrer, et on peut profiter du set pour se demander comment il va réagir à la question du… bol de céréales. Oui, parce que dans le clip de sa chanson « Premier » l’artiste danse avec un bol rempli de céréales sans en faire tomber un seul et on aimerait comprendre comment il y parvient. On veut savoir ça… et 2, 3 autres trucs.
Il accepte donc qu’on le rencontre juste après sa première partie. Quand le directeur du Temps Machine nous conduit dans les backstages, on se sent comme l’inspecteur Gadget en pleine enquête. Après quelques brèves présentations, la discussion démarre.
Alors oui : danser avec un bol de céréales dans les mains, ce n’est pas facile. Moussa nous explique « qu’il était rempli au tiers donc il fallait utiliser la force centrifuge à son meilleur » tout en nous mimant l’action afin qu’on puisse peut-être un jour la reproduire chez nous. Dans ce clip, c’est une des premières fois qu’on voit Moussa aussi actif, mouvant, et on a l’impression de le (re)découvrir. « C’est vrai qu’avant, j’avais beaucoup une image de mec halluciné et du coup très statique, c’était un peu ça mon personnage, au final. Au début je ne savais pas quoi faire, et y’a rien de plus simple que de dire ‘ben bouge pas, mets toi de dos et aie l’air mystérieux‘. »
Moussa nous raconte qu’il a pris des cours de danse contemporaine. Une amie l’emmène un jour dans un cours où il ne comprend pas la moitié des mots que dit la prof. « C’était le 3e cours sur une choré que toutes les élèves connaissaient… c’était un grand moment. Mais j’ai suivi des cours et je suis chaud pour en prendre plus. J’aime trop la danse. » Selon lui la danse est un moyen de dessiner des choses qu’il n’y a pas dans le son, relier un kick à un snare ou deux accords entre eux. « C’est une façon de faire comprendre que c’est là-dessus que j’ai envie de mettre l’accent. Le groove est là : s’il y a un clap ici, ce n’est pas pour rien. » On a tendance à oublier le lien intrinsèque entre musique et danse lorsque l’on assiste uniquement à des concerts assis et que l’on perd l’habitude de se laisser aller.
Mais avant que l’on ait pu danser aux concerts de Moussa, il a d’abord fallu qu’il compose des mélodies. « Je rêve souvent de musiques mais, dans les rêves, c’est trop dur d’entendre une mélodie et de se dire ‘attends je me réveille et je note.’ Ce qui me revient souvent, c’est le souvenir d’avoir entendu un truc incroyable. Mais je suis tellement détendu que je peux entendre le meilleur refrain et passer complètement à côté. » C’est pourtant dans l’inconscient que l’on peut avoir accès à des espaces moins parasités par ce qui nous entoure et nous empêche d’être submergés par la création. « J’essaie de faire des rêves lucides pour travailler sur des sons. Ce serait génial de pouvoir me réveiller de mon rêve et de dire ‘ok je convoque Mozart, untel et untel, on va travailler sur tel morceau aujourd’hui… Quelles sont vos idées ?‘ »
Moussa nous conseille de nous pencher sur le poème « Le joueur généreux » de Baudelaire. « Ça parle de quelqu’un qui rencontre le diable. Il y a cette phrase qui le décrit : « il avait une tranquillité dans la drôlerie. » Je trouve ça incroyable parce que moi je trouve que j’ai une forme d’hystérie dans le rire, et ça me fait kiffer d’imaginer quelqu’un de tranquillement et extrêmement drôle. Ça me provoque quelque chose. » La première fois qu’il s’essaie à l’écriture, il est dans une maison avec des rappeurs de L’Animalerie et sa première phrase naît de longues discussions avec l’un d’entre eux, Nadir. S’il n’est pas très fier de ses premiers essais, il prend alors le parti de poser des mots sur ses musiques sans toujours chercher à analyser ce qui lui vient spontanément.
Lorsqu’on lui demande ce qu’il veut dire par « J’veux m’éloigner du sol sans m’éloigner du ciel », il a du mal à nous éclairer. « Franchement je sais pas, ça se chantait bien, je ne l’ai même pas « écrit ». On était chez mon pote Merwan, on a fait l’instru, je me suis mis devant le micro, j’ai commencé à faire des mots bizarres qui n’existent pas, des mots de la langue de la topline, un mélange d’arabe et de français, je crois, et j’ai commencé à chanter ça. »
On relève quand même une certaine fascination pour le ciel, un thème qui revient souvent dans ses morceaux. « Je parle beaucoup du ciel. A un moment, c’était une obsession. Par exemple dans la chanson « Magic Berber » je dis : « Pourquoi l’art ? Parce que le ciel. » C’était maladif, je me disais que je faisais de la musique pour le ciel, quand je voyais les nuages, les ciels et les crépuscules… Ce mot peut aussi être une interjection « ciel ! » Je ne sais pas si ça vient d’un désir de voler mais, en tout cas, j’essaie de me laisser porter par le flux de la source. » On plaisante un petit peu sur le fait que les journalistes reformulent ce qu’il dit pour en faire des phrases littéraires… alors qu’il vient juste de sortir – très naturellement – une phrase littéraire. Cette formulation, il l’assume complètement. Selon Moussa, l’art est un flux auquel on peut toutes et tous accéder : « Ce flux, c’est l’amour, je crois. L’amour comme force universelle. Bon, je dis ça aujourd’hui mais je change d’avis tous les jours. »
L’inconstance semble être une notion qui le travaille tant il ne cherche pas à trouver un équilibre entre la solitude des moments de création et l’euphorie des concerts. « C’est justement le fait de ne pas avoir d’équilibre qui me rend productif, bizarrement. C’est le stress de devoir préparer des concerts, de faire des premières parties avec un public qui n’est pas le mien qui fait que quand je rentre chez moi, j’ai envie de faire du son, d’apprendre des chansons, d’en écrire des nouvelles. Je ne pense pas que je serais comme ça si j’étais juste tout seul chez moi. J’fumerais et je me dirais « putain quelle angoisse, je fais une carrière dans la musique. » Le seul truc que j’ai compris, c’est que tu ne peux pas contrôler comment ça va venir, tu peux pas t’organiser, organiser l’art. »
Pourtant il doit bien y avoir des choses à faire pour faciliter l’inspiration, aller marcher, faire pousser des plantes ou adopter un chinchilla ? « Créer le chaos. Le plus de chaos possible parce que rien n’est ce que tu crois. La bonne parole c’est pas ce que tu crois, la bonne musique c’est pas ce que tu crois, parfois c’est un truc que t’aimes pas et après tu te mets à bien l’aimer, tu peux pas contrôler, tu peux que te fier à tes émotions, et quand tu ressens que ça butte et que c’est trop bon, c’est que c’est bon. C’est pas qu’il n’y a rien a comprendre mais si tu choisis d’essayer de tout comprendre, tu te mets à faire un autre métier. Et le cœur est plus intelligent que le mental. »
S’écouter et écouter ses émotions, c’est tout un art de vivre. Au lieu de se demander à quoi sert l’art ou à quoi on sert, peut-être qu’il vaut mieux simplement se laisser porter par le flux.
Écouter Moussa. Suivre Moussa.
Propos recueillis par Céline Fabre, Océane Baudewyn et Samuel Khermouche.
Photo en une : Moussa © Leila Macaire
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