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Koriass : « Au Québec, nos jurons sont souvent basés sur des mots religieux »

Depuis plusieurs mois, la scène rap francophone connaît une exposition sans précédent. Bien au-delà des frontières de l’hexagone, certains artistes apportent des albums qui différent de ce que l’on avait pu entendre jusqu’à présent. Si la scène belge est souvent mise en avant, la scène québécoise est loin d’être en reste. Alors on est allé à la rencontre d’un de ses porte-étendards, Koriass, lors de sa venue à Paris pour son concert à La Boule Noire.

Pour commencer, est-ce que tu as conscience, qu’ une majorité de ton public est obligée d’aller sur Rap Genius pour comprendre tes textes ? 

Oui, j’imagine, c’est ce qui fait la différence entre un rap français et le rap de chez nous. Les expressions ne sont pas les mêmes, le franglais est très utilisé. Chez nous, il y a beaucoup d’anglicismes et de références québécoises. Et c’est sûr que lorsqu’on est pas habitué, aller sur Rap Genius ça permet de savoir de quoi je cause.

Au-delà de l’amour qui est le thème majeur de l’album, on retrouve aussi beaucoup de thèmes sociaux liés à la drogue dans « Blacklights », aux réseaux sociaux et leurs dérives sur « Nulle part » et à la mort sur plusieurs titres comme « Drive » ou « Tôt ou tard ». C’est aussi ça les aléas de l’amour pour toi ?

Oui, l’amour est un thème qu’on peut explorer sur plusieurs aspects. Pas seulement relationnel et romantique, mais aussi l’amour de soi. La recherche d’approbation constante est le thème principal de l’album. C’est d’ailleurs la recherche de beaucoup d’artistes. Avec ça vient la recherche de la pérennité, d’être légendaire, qui est quelque chose de très superficiel quand on y pense. « Tôt ou tard » parle de la peur de la mort, « Drive » parle du fait que parfois je frôle la mort sur la route. Donc j’essaie d’aller dans des zones dark en moi.

D’ailleurs, sur une récente publication Facebook, tu parles justement des problèmes que peuvent apporter les réseaux sociaux…

Oui, mais je ne m’exclus pas du problème car moi-même je suis en exposition constante sur les réseaux sociaux, parfois pour mon travail, mais parfois pour me dire que je suis bon et beau. (rires) En parler, c’est faire une observation, pour pas que ça devienne trop nocif.

© Teddy Morellec / La Clef

Plusieurs fois dans l’album, il y a des interludes qui se nomment « Hâte Suprême » de 15 à 30 secondes, où les paroles sont assez dures, mais qui au fond s’inscrivent bien dans les sous-entendus du reste de l’album… Que racontent-elles ?

Effectivement, quand je te dis que le thème de l’album c’est le narcissisme, c’est ça. J’ai demandé à Gilbert Sicotte, qui est un grand comédien de chez nous, de faire ça. C’est une grande influence pour moi. J’aime bien ces rappeurs américains qui vont aller chercher des comédiens comme Kanye avait pris Chris Rock. Je voulais une voix intérieure, une voix de conscience, une voix paternelle, ça peut même être considéré comme une version de moi vieux, qui vient me parler, qui permet de casser un peu le personnage que je suis. Quand je suis super vantard et super arrogant, tu as l’impression qu’il vient et dit : « Regarde ce que tu es devenu, espèce de gros con. »

Il y a quelques références, à Drake, notamment sur « Leader » où tu lâches : « We Started from the bottom« . Sur « Zombies », tu fais des références à Schoolboy Q et Kanye West. C’est un passage obligé le rap US pour un rappeur québécois ?

Les ¾ du rap que j’écoute, c’est du rap américain. Je sais que c’est populaire de dire que : « C’était mieux avant », mais je suis pas d’accord, je trouve que le rap évolue vraiment bien. Autant musicalement que dans la qualité générale des rappeurs. C’est peut-être parce qu’on est tout le temps dedans, mais dans quelques années, on se rendra compte qu’il y a des grands albums qui se font en ce moment. Puis les projets qui sortent sont extrêmement inspirants pour moi. Je pioche donc beaucoup dans tout cela. Naturellement, y’a des choses qui me viennent quand j’écoute Kanye ou Kendrick. Au-delà de ça, j’aime voir les entrevues des artistes, leurs réflexions, je sais que des fois, c’est pas une bonne idée d’over-intellectualiser les trucs, mais j’aime entendre les artistes parler de leurs projets en détails.

© Teddy Morellec / La Clef

Dans l’album, tu marques régulièrement l’opposition entre une scène un peu vieillissante du rap (ceux dont on parle plus haut) et une nouvelle scène. C’est pour ça que tu as fais le choix de Kaytranada dans un de tes feat ?

Ouais mais Kaytra – j’aime bien me vanter de cela – je l’ai découvert quand il avait 800 likes sur sa page Facebook. Je lui avais envoyé un message et il m’avait répondu : « Oh shit Koriass, tu sais qui je suis. » Maintenant, c’est une superstar, qui tourne avec Madonna et qui chill avec Rick Rubin. Moi quand je l’écoutais, j’étais là : « Whoa, ce mec là il va blow-up » et si tu regardes sur mon clip « Saint-Eustache » – c’est mon sidekick dans la vidéo – il était venu chiller avec moi dans le clip. C’est vraiment drôle parce que quand je l’ai invité pour le clip, il m’a envoyé un texto en me disant : « C’est possible que ma mère t’appelle, parce qu’elle veut savoir ce que je m’en vais faire » parce qu’elle était inquiète. C’est vraiment fou.

Depuis peu en France, le public rap s’intéresse de plus en plus à un rap francophone et pas seulement issu de la France. On a une scène belge en pleine explosion médiatique, mais aussi québécoise, avec toi et Dead Obies par exemple. Comment tu expliques ça ?

J’ai l’impression qu’il y a une ouverture d’esprit, qu’il y avait moins avant. La France est très ouverte à l’avant garde de la musique. Ce qu’on fait au Québec, c’est pas mal là-dessus, dans le beatmaking, et dans la façon de construire les rimes entre français et anglais. C’est unique et j’ai l’impression que la génération actuelle en France s’intéresse plus à ça.

Enfin, ça fait quoi d’avoir réussi à placer le mot « décalisser » sur un titre de rap ?

C’est marrant que tu en parles parce que des fois en concert, ici, j’explique mes expressions, j’explique ce que ça veut dire. « Décalisser », ça veut dire « foutre le camp ». C’est fou, parce que nos jurons sont souvent basés sur des mots religieux, le calice, le tabernacle, l’Ostie. On a prit ces mots-là qui sont des noms et on en a fait des verbes, comme « décalisser » qui veut dire « s’en aller ». Quand tu vois la sémantique des mots québécois, tu te rends compte que c’est très intéressant, la façon dont on a construit tout cela. Mais bon faut y vivre car c’est quelque chose de complexe.

Crédit photo : Teddy Morellec / La Clef et Drowster

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