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Michael Rault, sleeping beauty (soul)

Déjà trois albums pour Michael Rault. Pour son dernier ouvrage, le Canadien laisse la maison de la soul, Daptone Records, s’occuper de l’enregistrement, honorant son obsession du son des seventies. C’est au Pitchfork Festival qu’il a su faire démonstration de son attirail avec verve : jeu de guitare technique, harmonies vocales et batterie sourde. Nous l’avons choppé au vol, à la fin de son concert, pour discuter de son parcours. Un sourire dans la voix, ce multi-instrumentiste de talent s’est avéré aussi bavard qu’honnête, évoquant ses rêves et ses attentes sans aucune réserve. Rencontre avec une belle âme.

Que voulais-tu faire lorsque tu étais plus jeune ? 

Je voulais devenir un joueur de hockey quand j’étais tout gamin, puis écrivain. À 12 ans, j’ai commencé à joué de la guitare et je me suis rendu compte que c’était ce que je voulais faire de ma vie. 

Comment as-tu découvert la guitare ?

Mon père m’a montré comment jouer le début de « Brown Eyed Girl » de Van Morrison et j’ai compris que je pouvais y arriver. J’étais mauvais. Jusque-là, jouer de la guitare me semblait impossible, c’était la première fois que j’y parvenais. Ça m’a donné envie de continuer. 

Tu viens d’une famille de musiciens, comment trouves-tu ta place ? Y avait-il des attentes placées en toi ?

À vrai dire, c’est plutôt moi qui me mets la pression. Je n’arrive jamais à m’impressionner tellement je mets la barre haute. La pression et les attentes ne viennent pas de l’extérieur. Les gens autour de moi sont souvent très positifs et encourageants. 

Tu as des moments de doutes. Ça affecte ta musique ? 

C’est une bonne question… Ça ne doit pas être très bon pour la musique de douter autant mais j’essaye de faire de mon mieux. Parfois je me sens perdu dans le processus, avec la terrible impression que ça n’a pas de sens. Je ne sais pas vraiment en quoi ça affecte ma musique mais c’est assez difficile à gérer. J’ai de la chance de travailler avec des gens comme Wayne Gordon qui sont d’un soutien incomparable. Ce sont eux qui m’aident à avancer et ne pas trop me stopper quand je me pose trop de questions. Peut-être que c’est ce qui me fait écrire des chansons aussi tristes. Qui sait ?

Ce doit être difficile de sortir quelque chose et d’accepter qu’il ne sera plus possible de le changer…

Après avoir passé de nombreuses heures – voire années – sur quelque chose, c’est difficile de le voir de manière claire et de prendre du recul. Au moment où c’est terminé, je ne peux voir que ce qui me déplaît dedans, parce que je suis dans la recherche des erreurs et des défauts. Ça a beau être génial pour tous les autres (et même peut-être pour moi après trois bières), je ne me sentirais jamais satisfait. Heureusement que le label m’a poussé à sortir mes albums une fois qu’ils ont déterminé qu’ils étaient bien sinon j’y serais encore. Je ne fume pas souvent de cannabis, mais pour le dernier jour de travail sur cet album j’ai fumé et j’ai eu peur en entendant le résultat dans cet état. Ça sonnait si mauvais… Faire des albums, c’est ça aussi, faire avec les crises de paniques récurrentes. (rires) 

Quand tu écoutes ce que tu as sorti aujourd’hui, tu te sens comment ? 

Je n’écoute pas souvent ce que j’ai fait. J’ai écrit les parties de basse et de batterie, les paroles, pas mal des autres parties musicales et j’ai joué tous les instruments excepté la basse et la batterie… Bref, il y a tellement de « moi » dans cet album et j’ai passé tellement de temps dessus, à faire des arrangements élaborés notamment, que je n’ai plus vraiment envie d’y retourner. Parfois ça m’arrive et, quand c’est sur du bon matériel, j’apprécie beaucoup l’expérience mais c’est très bizarre de s’entendre. D’autres gens l’aiment, c’est le plus important.

Quand tu chantes, ça t’arrive d’être détaché des paroles ?

Parfois chanter en live une chanson la ramène à la vie. Mon groupe de tournée est différent de celui de studio, je me déleste de parties musicales qui sont déléguées au sein du groupe. Ça me fait plus apprécier le moment. C’est excitant, tout le monde essaie des choses, il y a beaucoup d’interactions. Tout ça me fait me sentir plus connecté aux chansons et me donne l’impression de les redécouvrir. Je retrouve ce que je voulais dire à l’époque où je les avait écrites. 

Comment passer de l’autoproduction au travail avec toute une équipe ? 

C’est assez rare dans ma carrière d’avoir tout fait seul. Cela dit, intégrer Daptone s’avère être une expérience qui me fait grandir. Les gens qui m’entourent sont la crème de la crème… Ça m’a rajouté de la pression dans le sens où je devais faire quelque chose d’aussi bon que ce qu’ils attendent. Ça m’a forcé à penser à faire quelque chose de plus intemporel, qui aurait une valeur dans le temps.  

Comment se passe une journée dans la maison de la soul ?

Le début de notre collaboration s’est passé avec Mikey Post et Benny Trokan à la basse et à la batterie. On jouait les chansons à trois. Il y a eu pas mal de répétitions. Quand tu enregistres en numérique, tu prends une partie qui sonne bien, tu la copies-colles pour l’ajouter à une autre. Là ça n’a rien à voir, il faut enregistrer en une prise. Il y a peu de possibilités de couper et coller deux prises différentes, ça requiert une précision chirurgicale et il faut recoller les pistes ensemble avec un rasoir et de la vraie colle. Wayne sait très bien le faire mais c’est beaucoup de pression. Tu as ces deux morceaux que tu aimes et s’il coupe mal, tu perds les deux. Ça ne lui ai jamais arrivé mais il ne fallait pas qu’il ait à le faire trop souvent. Le reste du temps, j’étais avec Wayne Gordon, à réarranger, doubler les voix, etcetera. On y a passé beaucoup de temps. On avait tous les deux une idée en tête très précise : celle de faire de cet album un album parfait, comme ceux des années 70. 

Ça sonne très 70’… 

Je veux bien évidemment sonner moderne mais travailler avec Daptone était un choix et je savais qu’il y aurait cet aspect oldie.

Qu’est ce que tu aimes le plus dans les années 70 ?

Je n’ai jamais eu envie de faire un album des années 70 mais c’est une évidence : j’aime les sons de batterie sourds (un peu comme quand on tape sur une valise en cuir). J’ai été élevé par un joueur de guitare, du coup, j’ai un faible pour le jeu de guitare très technique et puis j’apprécie aussi les harmonies vocales. Tout ça, c’est très représentatif du son des années 70. Je me verrais bien m’en détacher à un moment donné. Enfin, peu importe ce que j’envisage, les harmonies vocales et le jeu de guitare technique ne me quitteront jamais.

Il y a une théorie selon laquelle le son est affecté par la géographie. Qu’est-ce que tu en penses, ça te concerne?

J’ai grandi à Alberta. C’est un endroit intéressant : une petite ville nordique très isolée. La grande ville la plus proche est Calgary, qui est à 3 heures de voiture. Vancouver est à 12h… Parfois il fait aussi froid que sur mars, ça va jusqu’à -50 degrés et l’hiver ça peut durer jusqu’à 6 mois. Ces éléments ont évidemment une influence sur moi. C’est un endroit extrême pour grandir. Beaucoup de gens de mon groupe et d’amis d’enfance venant de la région sont devenus connus en tant que musiciens, comme Mac DeMarco et Homeshake. Avant ça, c’était très rare, j’imagine que ça a à voir avec internet. J’ai été influencé par ces deux-là, ils ont modernisé mon approche de la guitare. 

Comment écris-tu tes paroles ? 

C’est un flow. Si j’ai trouvé quelque chose à la guitare je vais chanter des mots par dessus et la mélodie en découlera assez naturellement. Je n’édite pas beaucoup, j’essaie de laisser le subconscient faire son oeuvre. 

michael

Michael Rault / Pitchfork Festival 2018 © Chayma Mehenna

Peux-tu me parler de ton approche de la nuit et du sommeil ? 

C’est presque un album à thème. Je refuse d’appeler ça un album concept mais effectivement, j’ai commencé par écrire « Sleep With Me », une chanson qui parle du fait de s’endormir aux côtés de quelqu’un, de rêver et de se lever près de la même personne. Je m’intéressais à l’idée de transferts de conscience, qui peut être aussi appliquée aux drogues psychédéliques que je prenais régulièrement au moment où j’écrivais cette chanson. Comme quand tu te rends compte que tu étais au même endroit mais que tu n’as rien réalisé de ce qu’il se passait autour de toi. C’est revenu dans pas mal de mes chansons sans le vouloir, plusieurs d’entre elles avaient les mots « dormir », « sommeil », « nuit » qui revenaient. Du coup, je me suis dit qu’il fallait que les chansons que j’y ajoute aient cette continuité. 

As-tu un rêve récurrent ?

C’est un rêve qui revient depuis que je suis enfant, ça se passe à chaque fois soit chez moi, soit dans la cabane familiale, au bord du lac. C’est une sorcière qui se trouve dans une chambre inexistante en réalité. Je suis inexplicablement attirée vers elle et je n’arrive pas à réagir et m’enfuir. Lors du dernier rêve de ce type que j’ai fait, je me suis volontairement dirigé vers elle et elle m’a repoussé, j’ai dû ramper au sol et m’accrocher au tapis pour pouvoir m’approcher de ses pieds. Je n’ai jamais eu ce rêve après ça. Peut-être que j’ai accepté une énergie féminine et plus sombre de ma personnalité en confrontant cette sorcière ? Je ne sais pas trop. 

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