« Si le taux d’activité des femmes n’a cessé d’augmenter depuis vingt ans : elles constituent 70% des travailleur·euse·s pauvres exerçant un emploi procurant un revenu inférieur à 964 € mensuels. » Avec ce genre de chiffres, il y a de quoi sauter au plafond. Pourtant, comme les posts insurgés sur votre profil Facebook ne suffisent pas à faire avancer le schmilblick, il a bien fallu que des pros se saisissent de la question. Focus sur MEWEM, un programme de mentorat pensé par les femmes pour les femmes de l’industrie musicale.
Rappelez, vous : nous étions en 2009, et le gouvernement Fillon 2, via sa ministre de la Culture et de la Communication Christine Albanel, présentait au Parlement la loi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet » ou « Hadopi 1 » pour les intimes. Ami·es de la novlangue (La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force), vous aviez déjà noté qu’avec un descriptif pareil, il y avait baleine sous graviers venant d’un voleur de costumes et spécialiste de l’emploi fictif. Et vous n’étiez pas les seul·es à vous être insurgé·es de ce texte à double-tranchant.
Parmi les premiers·ères concerné·es, réagissant à l’arnaque sous-jacente d’Hadopi, on compte les signataires de la tribune La création sacrifiée publiée en 2009 chez Libération. Les labels de musique indépendants Banzai Lab, Clapping Music, Ici d’Ailleurs, Jarring Effects, Martingale, Talitres, Vicious Circles – entre autres – rappelaient notamment à l’envi que leur économie n’avait en rien à voir avec celle, principalement ciblée par le texte de loi, de nos amies les majors et autres grosses machines pseudo-indépendantes.
« Sans eux [ces labels indés], les Dominique A, Yann Tiersen, Ogres de Barback, High Tone… n’auraient jamais débuté. » Qu’à cela ne tienne. Ce texte sonne la création de la Fédération nationale des labels et distributeurs indépendants (FELIN) qui veut dès lors « exposer les raisons de la crise de la filière, démonter les fausses bonnes solutions et surtout ne pas cautionner les aspects liberticides d’une loi, tels ont été, et restent les sujets phares des revendications de membres de nos réseaux. »
Onze ans plus tard, la FELIN a pris une ampleur qui fait du bien à un secteur qu’on dit parfois (accoudé sur le zinc sur un comptoir humide, les soirs de mélancolie), atrophié, dépolitisé. Que nenni. La fédération représente aujourd’hui plus de 400 labels indépendants et renouvelle les problématiques abordées avec l’évolution de notre temps. Parmi ses combats actuels, l’égalité hommes-femmes à l’emploi, et ils vont même plus loin : à la création d’entreprise.
On commence par un chiffre : en France seulement 14% des entreprises de l’industrie musicale sont créées par des femmes. Accablant, vous trouvez ? C’est pourtant l’une des nombreuses observations des différents instituts s’étant intéressé à la question, ces dernières années. A cela, la FELIN a lancé depuis un an le MEWEM, pour Mentoring Program for Women Entrepreneurs in Music Industry. Avec ce programme de mentorat, plus question de continuer à fermer les yeux sur l’injuste répartition des postes de direction. Leur but : encourager les femmes à entreprendre dans la musique. Et parce que la pente est raide pour une entrepreneuse, la FELIN a mis sur le coup les plus fines limières de l’industrie, qui deviennent les « mentores » des créatrices d’entreprises. Parmi ces coachs bien particulières, on compte notamment Stéphanie Fichard, cofondatrice du label Kill the DJ (avec Fany Corral, Chloé et Ivan Smagghe), mais aussi Geneviève Girard, fondatrice de la société de production et tourneur de spectacles Azimuth Productions ou encore Béatrice Macé, cofondatrice des Trans Musicales (avec Jean-Louis Brossard, Hervé Bordier, Jean-René Courtès), un temps présidente de la Fédurok.
Pour nous parler de ce superbe programme, on vous propose une plongée dans le MEWEM en deux articles. Dans ce premier papier, nous interrogeons Céline Lepage, déléguée générale de la FELIN, qui est notamment passée par un poste de cheffe de projet pour le label Tricatel avec Bertrand Burgalat (Chassol, Jef Barbara, Les Shades, etc) ; et nous avons également échangé avec Loren Synnaeve, chargée du programme MEWEM (après y avoir été « mentorée » en 2019), passée chez Kitsuné, Glazart / LaPlage avant de co-créer, en 2017, Baguette Publishing, une société d’édition qu’elle fonde avec deux associés, puis le festival féministe Comme Nous Brûlons aux côtés de 15 autres femmes.
Interview :
Céline Lepage et Loren Synnaeve
Pouvez-vous me raconter la genèse de votre programme, et pourquoi la FELIN a-t-elle considéré qu’il fallait le lancer ?
Seulement 10% des labels membres de la FELIN sont gérés par des femmes (!) ce chiffre est l’élément déclencheur de nos actions pour la parité dans l’industrie musicale. MEWEM est né de la rencontre entre la FELIN et ses homologues allemands du VUT. Un programme de mentorat pour les femmes de l’industrie musicale existait déjà au VUT quand nous les avons rencontrés. Nous nous sommes tout de suite reconnus dans le pragmatisme d’un tel outil pour faire bouger les lignes, à l’image des actions quotidiennes de la fédération. Avec le soutien du Ministère de la Culture nous avons organisé un transfert de savoir-faire pour adapter le programme aux entrepreneuses de la musique française. Le VUT nous a livré une boîte à outils super complète et un retour d’expérience assorti de solides conseils. MEWEM est donc le premier programme de mentorat destiné aux femmes entrepreneuses dans la musique, porté et développé par la FELIN. Il est basé sur deux piliers :
1. Des rencontres individuelles en binômes entre une entrepreneuse avec un jeune projet (mentorée) et une entrepreneuse ou manageuse chevronnée (mentore) pendant 5 mois
2. Des rencontres collectives sur des sujets liés à l’entrepreneuriat et au « savoir-être ».
Avez-vous quelques chiffres sur les inégalités à l’entreprenariat en France, entre hommes et femmes – et leur évolution ? Et dans la musique ?
Plus large que les chiffres de la FELIN, en France seulement 14% des entreprises de l’industrie musicale sont créées par des femmes (source IRMA / FELIN). De plus, les femmes produisent avec 40% de subventions en moins que les hommes (Observatoire du Ministère de la Culture). Cette année, nous avons invité Lucile Peytavin, sociologue et historienne, membre du comité d’orientation du Laboratoire de l’égalité, à ouvrir le programme MEWEM avec un point sur l’histoire de l’entrepreneuriat féminin et quelques infos intéressantes :
• si le taux d’activité des femmes n’a cessé d’augmenter depuis vingt ans : elles constituent 70% des travailleur·euse·s pauvres exerçant un emploi procurant un revenu inférieur à 964 € mensuels.
• en 2018 39% des entreprises individuelles ont été créées par des femmes.
Or, les sociétés dont les conseils d’administration sont plus féminisés affichent des résultats financiers supérieurs de 36% aux entreprises dirigées uniquement par des hommes. Ces entreprises sont aussi plus rentables (avec un taux supérieur de 116,1 %), ont une meilleure productivité (48,6 %) et créent davantage d’emplois (72,9 %). Ces chiffres sont également élevés si c’est le taux d’encadrement féminin qui est supérieur à 35%, avec +61% de croissance du chiffre d’affaires, +96% de rentabilité, +34% de productivité et +157% de création d’emplois. Des études sur la psychologie et la gestion ont prouvé que les groupes avec plus de diversité (concernant notamment le sexe) « avaient tendance à être plus innovantes et prendre de meilleures décisions ». Tous les chiffres imparables à retrouver ici.
Avec ce système de mentorat, vous voulez en finir avec la solitude dans l’entreprenariat ?
Être entrepreneur·e et réussir à créer et entretenir du lien est effectivement un challenge. A qui puis-je faire part de mes doutes ? Qui peux m’aider à prendre les bonnes décisions ? Autant de questions récurrentes à poser dans un milieu, qui plus est, majoritairement masculin. C’est en cela que le mentorat est puissant, en mettant en lien une jeune entrepreneuse et une femme plus chevronnée, il permet d’ouvrir un dialogue et de travailler sur le savoir-être. C’est plus qu’un transfert de compétences, de savoir-faire. La prise de confiance des entrepreneuses est essentielle, et cette relation privilégiée permet d’avoir un espace d’écoute bienveillant. Au-delà des liens entre binômes, MEWEM ouvre également un réseau inter-promotions avec les mentores, les mentorées, l’équipe de la FELIN, les intervenant·e·s…. Un vrai filet de soutien (expérimenté pleinement dans le contexte actuel), des échanges élargis, pour se sentir appartenir à une nouvelle communauté.
Quels sont les principaux obstacles que rencontrent les femmes lors de leur création d’entreprises dans l’industrie musicale ?
Les entrepreneuses font face à trois freins dans le développement de leur projet : l’accès au réseau, aux financements et aux modèles féminins de réussite. MEWEM coche deux cases dans l’immédiat puisqu’en plus des modèles de réussite assez évidents, c’est un nouveau réseau, inter-promotions, de femmes remarquables de l’industrie musicale qui se créé. Ce réseau est nourri de rencontres et partenariat initiées par la FELIN : des apéro-networking avec les communautés de shesaid.so, La Nouvelle Onde, Créatis, La Place Hip Hop. Des accompagnements et mises en lumière des projets mentorés sur les festivals pros (MIDEM, MaMA, etc.).
Peut-on parler de cours, comme à l’école ?
Il s’agit d’ateliers participatifs, construits sur mesure des besoins des mentorées : apprendre à pitcher avec Florence Sandis, construire son business plan avec Sylvie Nathalie, la négociation raisonnée de Céline Allain, ou encore développer son réseau avec Stéphanie Talleux. Les mentores sont aussi conviées et d’expérience, intéressées !
Votre calendrier doit être bouleversé par la crise sanitaire actuelle, pouvez-vous tenir les principaux plannings, même à distance ?
Les projets d’entreprise de nos mentorées sont fragiles et pleinement concernés par la crise actuelle. Entre événements annulés, reports de sorties, silence des partenaires … des remises en question profondes émergent déjà. Nous les accompagnons au quotidien pour appréhender au mieux l’impact sur leurs projets, identifier leurs besoins, les accompagner et répondre avec des outils adaptés. Des temps d’échanges entre participantes sont ouverts pour favoriser l’entraide et le partage d’expérience. Plusieurs ateliers sont transformés en visio-conférences afin de continuer le programme malgré tout. Les partenariats avec les convention professionnelles sont maintenues, nous réfléchissons par exemple à la meilleure exposition de leurs projets pendant le MIDEM digital édition. Plusieurs rendez-vous auront lieu au MaMA également.
Quelles sont les principales réalisation dont vous pouvez être fières depuis la création de ce programme de mentorat ?
La création même de MEWEM a de quoi nous réjouir, puisque c’est le tout premier programme de mentorat destiné aux femmes de la musique. La dimension du programme est européenne depuis ses débuts, né d’un partenariat franco-allemand soutenu par Music Moves Europe et nous ouvrons un deuxième volet ambitieux de MEWEM EUROPA en 2021 avec 6 pays partenaires, du job shadowing… de belles perspectives. Enfin, si on prend du recul sur la première promotion MEWEM, qui s’est tenue l’année dernière : 67% des mentorées se félicitent de l’évolution de leur projet d’entreprise. 57% ont passé une étape dans leur structuration (évolutions dans le statut de l’entreprise surtout) qui indique que MEWEM a rempli un objectif de professionnalisation. Le développement de leur réseau est un élément clef pour les participantes, en cela MEWEM leur a beaucoup apporté. Avec un lien direct sur leur prise de confiance dans les relations aux autres professionnel·les.
Voyez-vous déjà une évolution globale des mœurs dans l’entreprenariat dans la musique ou reste-t-il encore beaucoup de chemin à parcourir ?
Depuis #metoo il y a eu une prise de conscience globale dans le secteur culturel. Cependant, cette évolution reste lente et ne touche pas encore l’ensemble de la société, ni mêmes des acteur·trice·s concerné·e·s. L’entrepreneuriat est encore différent, car même si le·la chef·fe d’entreprise peut et doit décider d’insuffler dans sa société les valeurs qui l’animent, il·elle se heurte toujours à des obstacles qui reflètent les biais sociétaux. L’indépendance est donc toute relative, et c’est la société dans son ensemble qui doit changer profondément.
Dans une semaine, on sortira le deuxième volet de notre focus sur MEWEM, avec un entretien avec Béatrice Macé (mentore) et Daphné Honigman (mentorée).
Crédits photos de l’article : Sarah Bastin
Désolé, mais se battre contre les « inégalités à l’entreprenariat » en insistant sur « la solitude dans l’entreprenariat », ça me dérange de faire passer ça pour du progressisme grâce à une cuillière de féminisme… Ce que ces quelques femmes vont gagner dans une lutte reserver à une fraction de bourgeoisie, aucunes autres n’en verrons la couleur. Arretons de (faire) croire que le fait d’avoir une femme à la direction d’une entreprise relève du féminisme parce 1/ ça n’empêche la reproduction d’un mode de hiérarchie patriarcal et 2/la financiarisation du capital a dévalorisé des fonctions de direction depuis 40 ans. Bref, c’est au mieux de l’aliénation, au pire du cynisme.
PS : c’est l’angle de l’article que je critique plus que le Mewem.
Bonjour Tony,
Merci de ton commentaire.
– Tu as mal compris le moment sur la solitude, ça n’allait pas plus loin que « créer une entreprise est souvent un moment de solitude » et « le mentorat y pallie ».
– Oui, avoir plus de femmes à l’entreprise de leur propre projet me semble UNE DES manièreS d’empêcher la reproduction du patriarcat.
Cela ne veut pas dire que cela suffit. Et qu’il ne faut pas lutter par d’autres moyens.
– Sur le reste de ton message sur l’aliénation et le cynisme, je me permets de te laisser les méditer.
Je n’ai pas la prétention de te convaincre.
Mais je te remercie de l’avoir lu et d’avoir donné ton ressenti.
Bonne journée