Co-programmateur (avec Alex Stevens) du Dour Festival qui nous retourne les tripes tous les ans, Mathieu Fonsny est venu boire quelques verres au Café du Nord, pas loin de la Gare du même nom à Paris. Pour lui changer les idées, on a fait une « interview de dernière minute » parce qu’on sait que toutes les merdes arrivent au dernier moment en festival. Homme d’action, il a su trouver des solutions à une annulation de Snoop Dogg, une pénurie de snack, une intempérie, son licenciement, une coupure budgétaire de moitié, une jambe brisée, au passage de Dieu et d’un serial killer sur le site, et d’une soudaine envie charnelle.
Dernière minute : Snoop Dogg annule. Tu le remplaces par qui ?
Mathieu Fonsny : Même si on adore des gros artistes hip-hop de cette année, comme Kendrick Lamar, Earl Sweatshirt ou A$AP Rocky, on s’est dit : ‘tout le monde va se battre pour ceux-là, et si on faisait Snoop ?’ En le faisant, on n’a rien à perdre, on se dit ‘au mieux on a gagné Snoop et on est super content, au pire, on a essayé et c’est pas grave’. Même chose pour Nas l’an dernier, qui faisait très peu de dates, et à qui moins de monde pensait. On savait que ça allait être super à Dour. Quand Tyler, The Creator a annulé, on l’a remplacé par Coely qui est la rappeuse belge qui défonce tout en ce moment. Une sorte de Selah Sue, en plus énervée. Donc, pour revenir à ta question, peut-être que j’appellerai La Smala, le groupe de rap belge, et qui ramènerait aussi L’Or du Commun pour qu’ils fassent un show entre crews. On enfoncerait le clou du hip-hop belge, dans lequel on croit beaucoup.
Dernière minute : restriction budgétaire de moitié. Quels artistes gardes-tu en priorité ?
MF : Je préfère garder l’esprit du festival. Peu importe les artistes que je choisirais, je ne voudrais pas le dénaturer. L’affiche du festival est importante, bien sûr, mais c’est surtout tout ce qu’il y a à côté. On n’est pas dans une logique de nous battre pour les dinosaures qui vendent des tickets et de mener un combat qui chez nous est déjà perdu. On n’a pas Stromae, on n’a pas Christine & The Queens, c’est pas du tout qu’on n’aime pas, mais on ne veut pas la locomotive qui tire les wagons. Parce que l’année où tu ne l’a pas, le public ne vient plus. Par contre, on va très loin dans le délire de certaines niches.
Dernière minute : Dour te licencie. Tu es chanceux, tu es très recherché : tous les festivals te veulent en programmateur. Où signes-tu ?
MF : D’abord, je viens quand même à Dour en tant que campeur. Ma mère m’a rappelé il n’y a pas longtemps qu’elle m’avait conduit à Dour en 1996. J’avais 14 ans. Elle m’a avoué qu’elle avait eu très très peur. Je n’ai pas dû rater beaucoup d’éditions depuis. Avant d’être son programmateur, je suis un mec de la communauté de Dour. J’y ai vécu mille trucs. Pour te répondre, je me reconnais bien dans un festival comme Sónar. Après, c’est pas très compliqué, fatalement quand tu mets quelques groupes qui m’attirent dans la ville la plus sexy d’Europe, il en faut peu pour me décider. Je trouve que leur modèle est bien fait, surtout le Sónar de jour. Tu peux voir Plastikman dehors sur une grande plaine une bière à la main. A l’intérieur, t’as un Lab sur les nouvelles technologies, t’avais James Murphy et les 2manydjs dans un tout petit espace. J’aime aussi beaucoup les Nuits Sonores. Cette année, je n’y suis allé que deux soirées et je râle de ne pas y être resté plus longtemps. Il y a un esprit très douresque. Peut-être un truc plus exotique sinon, je suis allé à Tomorrowland Brésil, j’avoue que j’ai adoré, même si c’est à l’opposé de ce qu’on fait. Les gens étaient fous, l’endroit aussi.
Dernière minute : tu te brises la jambes. Quel groupe te mordrais-tu le plus les doigts de louper ?
MF : Je suis assez content d’avoir Skepta cette année. Pour mille raisons. On a 270 groupes et, fatalement, on essaie plein de trucs. Dès qu’on en réussit un, tout le monde est ravi, comme pour Flume ou TNGHT qu’on a eu avant tout le monde. Skepta et le grime, on le soutient depuis longtemps comme pour le dubstep à l’époque où on avait très tôt fait Digital Mystikz, Skream, Benga. Là, on sent que c’est son année, c’est super ce qui se passe autour du grime en Angleterre, ça devient une musique pop, ce qui pour le hip-hop en Angleterre n’est pas facile. Et sinon je râlerai de rater Lauryn Hill.
Dernière minute : un mage hyper puissant de passage en Belgique te propose de voler un groupe à un festival concurrent. Lequel ?
MF : Je suis méga content de toute notre affiche. SI je devais vraiment en piquer un, je prendrais Jamie XX à Pukkelpop. D’abord, le mec m’a surpris avec son nouvel album. Selon moi un des meilleurs de cette année. Ensuite, on lui avait proposé d’être le curateur d’une scène, ce qu’il a accepté. On a monté une scène ensemble, qui est celle avec Dixon, George Fitzgerald et Julio Bashmore. Est arrivé son album et il ne pressentait pas ce qui allait s’y passer autour. Une grande tournée s’est montée autour et vu le succès de ce dernier, il a changé ses plans. Du coup, il a décidé de ne plus le faire. Ce que l’on comprend tout à fait, c’est logique. On s’est retrouvés avec une scène qu’on a faite ensemble, mais sans lui. Je t’avoue que je suis un peu triste de ça. Et enfin, parce que je l’ai rencontré aux Nuits Sonores, et je pensais que c’était un connard d’Anglais, un peu hooligan alors qu’en fait pas du tout. C’était un vrai bon mec de la fête, il est resté avec les bénévoles du festival après son set. Super bon esprit. Mais c’est pas grave, on l’aura l’année prochaine.
Dernière minute : pas le temps de te poser que Dieu te chope et veut te punir pour tes mauvaises actions. Il te propose, pour t’absoudre de tes péchés, de choisir entre plusieurs pénuries différentes : de bière, de vin, de PQ, de snacks ou de bouchons d’oreille. Quel est ton choix ?
Crédit photo : Mathieu Drouet
MF : Avant toute chose, la bière tu ne peux pas y toucher, on est Belges. Le vin, très honnêtement, on n’en à rien à foutre. Les bouchons d’oreille, on peut s’éloigner un peu de la scène même si c’est important. Le PQ, ma foi, on est à Dour. J’enlèverais les snacks parce que ça pousserait les vendeurs de Dour à être un tout petit peu plus orignaux sur ce qu’ils proposent. Je trouve que niveau bouffe, on est un peu à la traîne. On est à une époque où tout le monde veut être Top Chef et nous on garde une tradition de frites. Et les Belges en ont marre des frites.
Dernière minute : il pleut des trombes d’eau comme jamais, pile le week-end où il y a une énorme crise de bottes en Belgique. Par chance tu as une idée lumineuse :
MF : J’ai remarqué que les éditions où il pleut, où il y a de la boue, sont bien meilleures que les éditions où il fait soleil. Pourquoi ? En Belgique, à l’inverse de tout le monde, quand chez nous il pleut, là où tout le monde s’abrite et le festival est fini, chez nous ça commence. Si tu étais à Dour en ambiance de pluie, tout le monde se fout dans la boue. Les bottes servent plutôt à faire levier pour lancer de la boue sur quelqu’un que d’être mises aux pieds. Les gens sont plus fous. Je déconne, mais c’est vrai, quelque part, quand il fait chaud, les gens sont fatigués.
Dernière minute : ton équipe au camping t’appelle et te supplie de faire jouer un groupe en acoustique dans le camping parce qu’ils s’ennuient à mourir. Quel groupe tu leur ramènerais ?
MF : Je pense que je prendrais La Smala (photo). Depuis deux ans, il y a une nouvelle scène de rap belge qui est en train de percer. Je pense à L’Or du Commun, Exodarap, Sanzio et La Smala qui est un peu plus important que les autres. Cette année, on ouvre la Grande Scène le mercredi avec Jungle, SBTRKT et 2manydjs pour clôturer. Et La Smala au milieu de tout ça. J’ai croisé le mec la semaine passée, il m’a dit ‘Mais, vous êtes fous ? Nous, on joue soit pour des initiés de rap belge, qui sont tous nos potes, les 200 mêmes qu’on voit tous les samedis, ou alors dans des festivals généralistes d’été à 14-15h et on est la caution urbaine. Là, vous nous mettes sur la Grande Scène, à 20h, devant 25.000 personnes, le jour où aucune autre scène n’est ouverte. C’est le jour de notre vie, je ne peux pas te le dire autrement’. En fait, on croit juste qu’il y a une nouvelle scène hip-hop belge qui se fait, qu’ils en sont les leaders et que donc on va les pousser à fond. En Belgique, on a trois communautés, la Germanophone qui n’est pas très grande, les Wallons et les Flamands. En Flandre, ils ont un système qui est extrêmement précis, c’est à dire que quand ils ont décidé de soutenir un groupe, tout le monde suit, les radios, les labels, les réseaux de salles, les festivals. C’est ce qu’il s’est passé pour Oscar & The Wolf, Selah Sue et Arsenal. Ils se réunissent quelques fois par an et ils décident de pousser ces groupes. En Wallonie, on manque de cohésion à ce niveau-là. On ne se parle pas. Je me dis qu’ on a la chance d’être une vitrine devant 40.000 personnes par jour, alors si on a un rôle à jouer, c’est celui-là.
Dernière minute : ton équipe de sécu t’appelle. Elle a repéré puis laissé filé un serial killer super violent connu dans le monde entier. Quelques heures avant, tu as accidentellement récupéré le téléphone de Sylvester Stallone. Tu as tout son répertoire avec que des mecs super puissants. Qui appelles-tu pour choper le type avant qu’il ne tue des festivaliers ?
MF : Je suis sûr qu’il a le numéro de l’assassin de Notorious BIG ou celui de Tupac. Je l’appelle, comme ça il va liguer tous les types du hip-hop qui sont sur le site. Ils vont choper le mec, l’accrocher à un arbre, le badigeonner de miel et l’apiculteur du coin va lâcher ses abeilles. En plus, on saura qui est le type qui a pété une ou deux belles carrières.
Dernière minute : tu dois changer le nom du festival de Dour. Quel est son nouveau nom ?
L’intégralité de ce fait divers étonnant ici
MF : Peut-être Doureuuuh. Quand je te disais le truc de communauté, je me suis rendu compte que bien plus qu’être une petite ville de la frontière belge, le festival a créé quelque chose. Ce cri de guerre, c’est pas du tout une volonté de notre part. Je me demande quand va apparaître le blason, type équipe de foot ou quand on va avoir un drapeau. Je me dis que peu importe le nom de la ville où on est, ce sont les gens qui s’y retrouvent qui forment le truc. C’est wallon, flammand, c’est universel, c’est ‘Doureuuuh’, le cri de notre communauté.
Dernière minute : tu regardes Alex Stevens, le co-programmateur, travailler et tu as une soudaine envie de lui déclarer ta flamme. Tu ne sais pas ce qui t’arrive. C’est un peu gênant mais c’est plus fort que toi. Comment tu t’y prends ?
MF : Je dors plus avec lui qu’avec ma propre meuf et j’aurais pu le faire plein de fois en étant dans des états pas possibles. D’abord, je me dirais que je suis vraiment con de ne pas l’avoir fait avant parce que sans même parler j’aurais pu l’attraper. Je crois que je lui déclarerais comme ça très spontanément et que lui se foutrait de ma gueule. Il ne le comprendrait pas. Le mieux, c’est de l’attraper et de ne pas discuter. Avec Alex, il faut agir.
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