« Attention me voilà ». C’est par ces trois mots, détournés de sa chanson « Sylvia », que pendant des années, Mathieu Boogaerts annonçait son arrivée. A-t-il envoyé ce message à Londres pour la prévenir, lorsqu’il y a posé ses bagages il y a 5 ans, après avoir déjà testé la vie à Nairobi et à Bruxelles ? Une question qu’on a (bizarrement) choisi de ne pas lui poser, lorsqu’on l’a rencontré dans les locaux de son label Tôt ou Tard. On a en revanche parlé de son nouvel album, le bien nommé « En anglais », qui sort le 26 février, on en a appris un peu plus sur la charte du chansonnier et on a même eu un bref aperçu, excusez du peu, de l’échelle de Boogaerts.
On a écouté le nouveau disque de Mathieu Boogaerts sans trop savoir à quoi s’attendre. Dans nos petites têtes, curiosité et perplexité se tiraient la bourre. Connaissant le bonhomme, on voulait avoir confiance, il allait pas nous trahir, il allait pas essayer de sonner comme eux, les autres, qu’on aime bien aussi mais qui sont pas lui. Mais quand même, on restait un peu dubitatifs. Et puis on a écouté, et bye-bye nos petits doutes. Jouer à être un Anglais, Mathieu Boogaerts ? Absofuckin’lutely not. Cet album, c’est lui. Le Français qu’il est, avec son cerveau et son cœur de Français, mais simplement, ailleurs.
La capitale albionne a toujours envoyé du fantasme, voire du complexe, aux musiciens. Pourtant, quand Mathieu Boogaerts décide de s’y installer en famille, c’est pas pour Londres. Aussi belle soit-elle, c’est pas pour elle. Plutôt, nous dit-il, « parce que j’ai vraiment le goût de l’aventure, plus on voyage plus on réalise qu’il y a mille réalités différentes. Il y a toujours cette frustration de n’être que dans une réalité. Londres, c’est tout près mais c’est une autre planète. Y a pas une journée où j’essaye pas de comprendre pourquoi en France on est comme ça et pourquoi là-bas ils sont comme ça. J’ai des explications, des hypothèses, genre la rupture avec Rome au 16ème siècle, cette émancipation, le fait que les Anglais ont gagné beaucoup de guerres et qu’on en a perdu beaucoup, le fait que ce soit une île… mais les différences sont hallucinantes, c’est pas du tout la même façon de se regarder, de s’aborder, de rire. »
Une expat’ de curieux, juste pour voir du pays donc. Mais au bout d’un moment, Mathieu commence à sentir comme un petit caillou dans sa chaussure. « J’écris des chansons parce que j’ai un besoin viscéral de formuler des sentiments. Et dans un environnement complètement exotique où personne me connaît et personne me comprend, ni ma langue ni le français que je suis, je me suis vite senti frustré : quel sens ont mes chansons ici, quel sens moi j’ai, quelle légitimité ? Et j’ai dit allez, j’écris en anglais, comme ça ça va créer un pont, si je chante ma chanson au voisin il va comprendre. » Avec, bonus non négligeable, le côté « exercice de style » qu’il a toujours aimé. « Avoir un cadre, une contrainte, c’était assez stimulant. »
On lui demande évidemment de nous en dire un peu plus sur son processus créatif. « Je ne décide jamais d’écrire une chanson, c’est d’abord la forme qui vient, une phrase qui m’évoque un sentiment, et après je déroule. Je me suis conditionné à ce que les mots qui sortent de ma bouche soient en anglais et pas en français, et ce sont ces premières phrases qui sont sorties (toutes les chansons que j’écris, en général la première idée qui me vient c’est la première phrase de la chanson). Après le process était le même que lorsque j’écris en français. La règle numéro 1 de ce postulat était que je vive ces chansons. Donc là c’est un postulat un peu étrange parce que ce n’est pas ma langue maternelle. Il fallait pourtant que ça le devienne, donc je me suis refusé à chercher des mots dans le dictionnaire car il fallait que ce soit un anglais que j’avais plus ou moins digéré. »
On le dit souvent de la langue anglaise : elle sonne. Et c’est vrai que c’est chouette, l’anglais, ça roule sous la langue, ça bebopalula, ça oneagain, ça nanananaheyjude. Mathieu Boogaerts n’a pas attendu de chanter dans sa LV1 pour faire sonner ses mots. Pour lui, c’est même la base. « Ça m’intéresse vraiment en tant que chansonnier, le son, la musicalité des mots. » Forcément, un nouveau champ des possibles s’est ouvert à lui, une boîte de Pandore de swing, d’ondes sensuelles et d’exotiques syllabes. « D’un coup j’ai des mots différents, plus courts, ils ont pas non plus la même signification, par exemple love et amour c’est pas exactement la même chose, ça fait pas vibrer exactement la même corde. C’est excitant, c’est comme si t’étais un peintre et d’un coup t’avais d’autres couleurs. »
Mais attention, Mathieu Boogaerts y tient, il ne chantera pas n’importe quoi pourvu que ça groove. « Il est hors de question de chanter un truc qui sonne bien mais qui ne réponde pas au propos de la chanson. Quand je me mets à chanter, je suis investi de ce que je vais raconter, donc si ça ne vibre pas, je ne peux pas le faire. C’est 50-50, y’a pas plus d’importance au sens qu’au son. Il faut que ça sonne. Une chanson par définition ça doit sonner, ça doit chanter. C’est l’article 1 du chansonnier. Après, t’as des ayatollahs du son, je fais un peu partie de ceux-là. Mais il faut toujours que ça sonne d’une certaine manière. Et puis c’est l’interprétation que moi je fais de ces mots, pas forcément la même qu’un anglais natif. »
La vraie différence entre ce disque et les précédents, pour nos oreilles, c’est donc cet anglais. Pas un gars rouquin qui boit des bières, non, la langue. Suivez un peu. Un anglais sans faux accent, un anglais boogaertsien, un anglais for me formidable. Ça comptait pour lui, d’être authentique, de pas jouer. Ça comptait beaucoup. Mais il nous explique malgré tout que ces chansons, avec la meilleure volonté du monde, elles ne sont pas tout à fait comme les autres. « La différence n’est pas en terme de langage artistique, je me dis pas « avant je faisais du bleu, là j’ai fait du vert », c’est que mine de rien même si j’ai voulu vivre pleinement ces chansons je les vis pas exactement comme les chansons françaises, que je le veuille ou non je suis Français. S’il y avait un compteur qui pouvait évaluer à quel point je ressens les chansons, sur les albums précédents je suis à 9,2 et là je suis au maximum à 7,8. »
Les mordu·e·s de Boogaerts retrouveront dans ce disque ce qui les a fait l’aimer tant, sa douceur, sa poésie, son humour. Et, surtout, un mot qui a été prononcé le plus de fois au cours de notre discussion, des sentiments. Le nerf de la guerre pour Mathieu. C’est ce qu’il veut transmettre. Dans ce style qui n’appartient qu’à lui, sans chichis, pur, presque naïf. « J’aspire à la simplicité, article 2 du chansonnier. Idéalement, quelqu’un écoute la chanson et dit « mais oui, j’aurais du y penser ! ». Ça c’est des heures de travail, c’est ce que je recherche. » Parvenir à l’évidence, envoyer de la simplicité, on s’en doute bien que c’est ni évident ni simple. Quand on dit à Mathieu Boogaerts qu’il nous donne de la clarté, un plaisir facile, immédiat, il le prend plutôt comme un compliment. Quand on lui dit que la petite chanson toute simple par excellence c’est « Yesterday », il sourit et on sait qu’on s’est compris. « J’aime bien le côté court, concis, digeste. C’est un vrai souci, la chanson est compliquée au départ, elle passe dans l’entonnoir et après y a plus rien qui dépasse. »
Ouvrir son cœur mais sans donner de leçon. Ne le cherchez pas au rayon « chanteurs engagés », c’est pas son truc. « Je suis très curieux, les phénomènes de société m’intéressent beaucoup, je me sens concerné par les aléas du monde par contre je ne prétends pas détenir une vérité. Quand j’écris une chanson le postulat c’est d’exprimer les sentiments que m’inspire telle situation. C’est pas politique, c’est pas engagé. Par exemple, le réchauffement climatique, c’est un truc qui m’empêche de dormir mais je vais pas écrire : « il faut arrêter de conduire des voitures », je vais dire : « oh je regrette le temps passé où je ne me souciais pas de la température ». Mes chansons, c’est des sentiments. Je peux exprimer ma rage, ma peine, mon regret, mon désir mais pas mon avis. »
Alors c’est vrai qu’ils sont hyper forts, les Anglais. Mais des songmakers qui l’air de rien vous touchent au cœur, vous font danser (avec la jambe, parce que c’est gai), s’incrustent dans vos vies pour toujours, on en a aussi nous. Par exemple, we have Mathieu Boogaerts.
Photo en une : Mathieu Boogaerts © Noémie Reijnen
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