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Mary Lattimore : entente cordiale

Installez-vous confortablement. Fermez les yeux et imaginez un endroit calme. Imaginez le doux son d’une harpe qui se répercute sur les vagues. Ressentez le sable sous vos pieds et la chaude brise d’une après-midi d’août. Vous êtes au bon endroit. Étonnement c’est la Route du Rock qui vous offre cet instant de répit entre deux concerts de post-punk. Mary Lattimore est une incongruité évidente dans la programmation d’un festival historiquement plus rebelle. La harpiste est installée sur la plage du Bon-Secours de Saint-Malo, sa musique semble même apaiser les quelques goélands venus chiper les quatre heures des touristes. Un cadre d’exception pour une musicienne encore trop méconnue sur le vieux continent malgré sa productivité affolante (presque un album par an depuis 2012). Souvent cachée dans l’ombre d’autres artistes (entre autres Sharon Van Etten, Kurt Vile ou Kevin Morby), Mary nous éclaire enfin de tout son talent.

La harpe est un instrument très fragile, comment préparez-vous un live extérieur comme celui-là, surtout avec ce genre de météo ?

J’ai de la chance, il fait super beau maintenant, j’ai l’impression qu’il ne va plus pleuvoir, c’est parfait. La harpe sur laquelle je joue aujourd’hui est une magnifique harpe française. J’ai l’habitude des concerts extérieurs donc je pense que ça va bien se passer. J’avais un peu peur que la pluie empêche le concert, ça fait quelques jours que je suis présente sur place et j’ai l’impression que la météo est imprévisible.

Bienvenue en Bretagne. Quelle était la motivation derrière l’album collaboratif avec Paul Keena West Kensington ?

Cet album fut écrit durant le confinement, Paul et moi sommes amis depuis longtemps et il se trouve que c’était mon voisin. J’étais dans une sorte de cocon avec Paul et sa femme, on cuisinait beaucoup ensemble, on buvait beaucoup de vin ensemble, il y avait une ambiance familiale. Un jour, pour tromper l’ennui, Paul a décidé que nous allions composer ensemble. On a essayé de bricoler quelques morceaux.

Sur cet album vous délaissez la harpe au profit du synthétiseur. Est-ce un moyen de vous rapprocher de votre groupe préféré, The Cure ?

The Cure c’est vraiment mon groupe préféré, merci d’aborder la question. Peut-être, sûrement, aussi que la pandémie me rendait tellement triste que je ne pouvais pas traduire mes sentiments par la harpe. Je voulais apprendre et connaître le synthétiseur un peu plus pour éviter d’être trop émotionnelle avec ma harpe.

La harpe est-elle un instrument triste ?

Pour moi la harpe fait partie de mon cœur, je n’étais pas prête à en jouer durant le Covid. La harpe est un instrument triste mais aussi joyeux par instants, elle peut être calme, apaisante, sombre, bizarre, c’est un bouillon émotionnel.

On peut décrire votre musique comme apaisante, quand-avez vous compris le pouvoir de votre musique sur la santé mentale et est-ce un objectif dans votre composition ?

Quand je compose je n’essaie pas de détendre les gens, je veux juste me connecter à eux où qu’ils soient. Comme il n’y a pas de mots dans mes musiques, ça transcende le langage, j’ai l’impression d’avoir des conversations dénuées de verbes.

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Marry Lattimore à la Route du Rock 2022 © Titouan Massé

Quelle est pour vous la différence entre jouer pour le projet de quelqu’un d’autre et jouer vos propres musiques ?

Quand j’écris pour d’autres personnes, par exemple Sharon Van Etten, j’utilise une autre partie de mon cerveau que lorsque j’écris mes propres chansons. J’utilise principalement mes oreilles, j’écoute leurs mélodies et j’essaie de coller un maximum à leur vision. Quand j’écris mes musiques, tout est plus personnel, j’essaie de capturer des moments. Écrire pour d’autres personnes, c’est une récréation mentale pour moi, je n’ai pas à faire ce travail d’introspection qui est parfois fatiguant. C’est dur de ressentir autant de choses.

Comparée à vos autres albums, la collaboration avec Paul Sukeena semble être moins onirique, vos compositions semblent avoir les pieds sur terre. Le nom des tracks fait référence à des grandes surfaces et des villes de Pennsylvanie. Est-ce un hommage à l’Amérique rurale ?

Je ne sais pas, je pense que c’est un hommage à l’esprit de collaboration, à l’influence que les gens ont sur notre créativité. Cet album est né de conversations entre moi et Paul, ça se rapproche plus du travail que j’effectue quand je compose pour d’autres artistes.

Qu’est-ce que ce travail vous a apporté en tant qu’artiste ?

C’était le tout premier album que Paul sortait en son nom. Il fait partie de plein de groupe, il a joué pour Angel Olsen, il est assez connu à Philadelphie mais c’est la première fois que son nom est sur une pochette. J’ai dû tout lui apprendre, comment s’enregistrer soi-même, à produire et à mixer. Il utilisait Garageband car il ne savait pas du tout comment faire. J’ai pris ces enregistrements et je les ai arrangés dans nos chansons. C’était la première fois que je prenais cette responsabilité-là, j’ai pré-mixé l’album.

J’ai lu que vous aviez terriblement peur de l’éventualité d’une invasion alien, si un tel événement arrivait de votre vivant, quelle chanson de votre répertoire serait la plus à même de les calmer ?

Ma plus grande peur c’est qu’ils me forcent à jouer de la harpe (rires). Je dirais « What the living do » qui est une chanson sur mon dernier album. Je n’ai écrit que deux chansons durant le confinement et c’est l’une d’entre elles. Elle est basée sur un poème de Marie Howe qui parle de toutes les choses que les humains font même s’ils sont tristes, tragiques et bizarres. Le comportement des humains est vraiment fascinant et poétique dans un sens. Je pense que je choisirais cette musique comme offrande aux aliens. Voici ce que nous sommes.

Des concerts comme celui-ci sont des petits miracles, quand le lieu et la musique semblent être en totale adéquation. Pourtant on ne peut s’empêcher de penser qu’au-delà de cette plage, c’est la musique de Mary Lattimore qui a quelque chose d’universel. Vous pouvez ouvrir les yeux, la séance est gratuite pour cette fois.

Photo en une : © Rachael Pony Cassells

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