Journal de bord d’un artiste précaire infiltré au Printemps de Bourges.
Lee Harvey Asphalte est un poète urbain aux confins du slam, du hip hop et de l’electro. Le lyonnais, marqué par des monstres tels que Gil Scott-Heron et Saul Williams, était l’une des présélections Découvertes 2011 de Rhône-Alpes. Non retenu dans la sélection finale, il s’est tout de même rendu sur place pour défendre son projet auprès de nombreux pros présents sur le festival. Petit journal de bord…
A midi, le jour se lève sur le festival et apparaissent les premiers cordons rouges à la terrasse de l’Espace Pro, qui de loin ressemble bizarrement à une savane jet-laggée, avec ses carnassiers et ses herbivores.
Pour preuve, certaines espèces se déplacent en meute, quadrillant le terrain et observant leur proie avant de fondre dessus, le sourire aux babines et le dossier de presse en bandoulière. D’autres ont besoin de marquer leur territoire, et comment ne pas être pris de vertige devant les palissades où s’étendent les mêmes affiches à l’infini. Etranges d’ailleurs ces mêmes logos martelés partout dans la ville, ces mêmes regards pénétrants et omniprésents d’artistes démultipliés. Viennent ensuite certains animaux plus pacifiques se contentent de boire des coups entre eux en se racontant leurs murges respectives de l’édition précédente. Et enfin, de loin en loin, on aperçoit les V.I.P. pachydermisés en mode wi-fi, qui se contentent d’observer placidement derrière leurs Ray-ban en écaille.
Là je comprends subitement que les Musiques Actuelles composent un écosystème à part entière, un écosystème nomade qui transhume de festivals en festivals. Et que, l’objectif à atteindre est de trouver ma place dans la savane. Simple wanabe-Rastignac, armé de quelques stickers et de l’arrogance de mes baskets blanches, j’affute ma caméléonite en guettant une liane. En voici une tendue par Yaya AKA mon chargé de prod AKA mon booker AKA mon pote à la compote.
Le soleil se couche sur la rivière, et tous les animaux quelque soit leur place au sein de la chaîne alimentaire se retrouvent au point d’eau, et effectivement comme dans les documentaires animaliers pour insomniaques, lions et gazelles s’abreuvent côte-à-côte lors des pots des antennes. Soudain Yaya renifle un gibier, la piste est encore fraîche et donc je lustre mes quelques plumes, j’aiguise mes modestes griffes et d’une démarche féline je m’engage dans la danse.
Conseils pour artiste plus à couvert que découvert :
« Prendre Le Danube Bleu remixé par N.E.R.D. en soundtrack imaginaire et par–dessus valser entre les discussions. Tournoyer gracieusement afin de repérer les pros intéressants. S’annoncer à eux par un entrechat nonchalant, puis l’air dégagé, d’un geste élégant, glisser son disque dans la conversation. Manier la carte de visite comme un shuriken. Cultiver le doute artistique ET l’assurance humaine. Saluer son public et poursuivre la chorégraphie jusqu’à épuisement. »
Et ainsi la nuit s’abat onctueusement sur la savane tandis que les pourparlers se font plus ardus au fur et à mesure que les infrabasses débordent du Phénix. Les ballets se font plus disloqués alors que la bière inonde les gosiers autant que le gazon synthétique. A ce stade une évidence me frappe : blindé face à d’hypothétiques requins ou grands fauves, je découvre que la plupart des personnes présentes sont avant tout des activistes, et plus que de business, les discussions s’articulent autour de coups de cœur, de confirmations de talent, de déceptions,…bref ça parle musique !
Prêt à montrer les crocs, c’est pourtant grâce au soutien, à l’enthousiasme des assos, des personnes qui croient en leur métier que je parviens, l’œil pétillant de Heineken, à aborder tourneurs et programmateurs. A chacun je remets une partie de mon avenir sous la forme d’un disque de 12 cm de diamètre. Paradoxalement, la structure sensée m’aider est invisible, probablement plus intéressée par la canopée que par l’introduction de nouvelles espèces en sous-bois.
Puis la besace vide de disque mais l’estomac rempli de houblon, je repars dans la nuit anonyme tandis qu’au loin résonnent encore les bruits de la savane.
Lee Harvey Asphalte
« Simple wanabe-Rastignac » de talent tu débordes et envoûtes, nul doute tu tailleras ta place, t’as la grâce !
de la chenille en développement au papillon VIP, on apprend à voler sans antennes…
Chacun Son Tour remercie chaleureusement Bizarre!, Fowatile, Arnaud BonPublic, la MJC ô Totem et Woodstower !!!