Un décor blanc immaculé sur lequel quelques lettres taguées en rose fluo jaillissent. On lit « Sonic Poems », « poème sonores » ou « soniques ». Tout est question de mélange, de contraste et de vitesse donc : bienvenue dans le premier album de Lewis OfMan, hydre pop matinée d’électronique. À moins que cela ne soit l’inverse, tant les lignes se touchent et s’entrecroisent. Après des tubes en pagaille et trois années de fabrication, le producteur et musicien est prêt à être compris. On a échangé avec lui au téléphone entre deux concerts complets.
« C’est comme un relâchement total. Je me dis ‘c’est bon, on s’est enfin compris.’ »
On sent un soulagement poindre depuis le haut-parleur de notre téléphone, d’où la voix de Lewis OfMan sort. C’est qu’après de longues années de composition, recherches, productions et tâtonnement, sortir un disque est un aboutissement. « Dans cet album il y a tout ce que j’aime, tout ce que je veux montrer. J’ai pu me sentir en décalage entre ce que les gens pensent de ma musique, et ce que moi j’en pense. Une fois l’album sorti, tu te sens bien, complet. »
Interview : Lewis Ofman
Tu parles de décalage, tu as eu le sentiment que, par le passé, ta musique n’a pas été totalement comprise ?
J’ai sorti des chansons très pop – un morceau comme « Je Pense à Toi », c’est de la pop française. Sauf que je ne le pensais pas comme ça, j’étais plus dans une optique de musiques électroniques sur lesquelles je chante. On a pu me mettre dans cette case-là. Quand tu vois les artistes similaires dans Spotify qui sont « lié.e.s » à ma musique, ce n’est pas du tout moi ce que je pense. J’ai commencé l’album il y a trois ans. Je sortais quand même des sons qui avaient ce côté plus « sympa » et « pop », tout en sachant qu’il y aurait des choses différentes dans l’album. Je ne savais pas si les gens allaient comprendre. Récemment, j’ai fait un concert bien énervé à Barcelone et des gars d’un festival étaient là et m’ont dit « on devait te mettre sur la petite scène à la cool mais là, on va te passer sur la grande ».
Tu as continué à sortir des EPs et des titres pendant la création de l’album, comment tu as géré cette presque schizophrénie musicale ?
Quand j’ai commencé l’album il y a trois ans, je pensais que c’était le bon, que c’était ce que je voulais. Je commençais à découvrir des choses, j’étais encore novice mais il y avait de belles chansons. Avec le Covid, il fallait que je sorte des choses et que je montre le travail que j’avais fait. C’était des titres comme « Siesta Freestyle » ou même « Attitude ». Je travaillais pour d’autres choses à ce moment-là et je me disais que le format album était mieux pour montrer ces nouvelles chansons. Parce que dans un album, on peut aller plus loin. J’ai aussi eu la chance d’avoir un label qui me disait d’attendre, sans me presser.
J’imagine que tu as pu expérimenter, chercher des nouveaux sons et nouvelles sonorités. Tu as composé seul ?
J’ai été aidé par un producteur à la fin du marathon et au début du sprint. Cela faisait deux ans et demi que j’étais sur le projet, je me suis retrouvé à Londres avec Tim Goldsworthy – co-créateur de DFA et producteur de LCD Soundsystem, The Rapture, et plein d’autres groupes très cool. Il avait plein de machines dans son studio, plein de samples de drums qu’il laissait tourner sur son laptop et moi aux synthés. En une journée, on a dû faire une quinzaine de maquettes. Il y a eu une connexion : il m’a apporté l’esthétique que je cherchais, avec une maturité sur les productions.
Tu demandes des retours et des avis à des proches autour de toi, pas seulement au label ?
Oui les proches sont toujours des gens à qui je demande des choses, surtout dans ma façon de faire. Très souvent, ma chanson est instrumentale et j’y rajoute des voix par-dessus. J’ai la tête dans le guidon, je ne me rends pas compte si je mets trop ou pas assez, des voix. Je demande autour de moi si c’est bien, si l’on entend bien. C’est important.
Vers qui tu te tournes pour ces voix justement ? À des proches, des rencontres ?
C’est vraiment des ami.e.s – de près ou de loin d’ailleurs, des gens de j’ai rencontré.e.s. Dans « Such A Good Day » par exemple, il y a des gens à qui je n’ai parlé que très rapidement mais je savais qu’ils avaient une bonne voix. Les gens se prêtent toujours bien au jeu, c’est assez drôle. Ils m’envoient leurs enregistrements sur dictaphone et sont toujours surpris par le résultat. Ce sont des gens qui m’inspirent, qui apportent une touche à la chanson.
Comment la pochette du disque a-t-elle été pensée, créée ?
Pendant tout l’été dernier, je cherchais une pochette. Personne n’avait vraiment d’idées, j’en avais une mais très floue et peu de gens comprenaient ce que je voulais dire. J’ai rencontré un photographe avec qui ça n’a pas fonctionné… Je me suis dit « bon, ça commence à me saouler, personne ne comprend ce que je veux faire… Je vais le faire tout seul. » Quelle est mon idée ? C’est une toile dans un hangar, avec écrit « Sonic Poems » à la bombe dessus. Je mets ça avec un talon ou un boombox à côté, et voilà. Il y a eu cette journée où je suis allé acheter trois grandes toiles dans un magasin à côté de chez moi. J’ai bougé toutes mes affaires dans un coin de mon appartement qui est vraiment tout petit, on dirait une boite à chaussures. J’ai tout mis dans un coin de la boite à chaussures, j’ai mis des bâches, mes toiles et j’y vais. Je dessine un premier « Sonic Poems », j’en n’avais jamais vraiment fait avant, à part au lycée où j’avais vaguement taggé « OfMan » dans des endroits, rien de très glorieux. Le « F » était un « 7 » (rires)… J’avais perdu le coup de main ; le premier était trop grand, le second est pas ouf et le troisième pas dingue non plus. Je me dis « merde, en trois secondes, trois toiles ont été grillées. » Ça coute cher en plus ! Allez, je me rachète trois toiles, je suis sur un truc. J’en refais trois, et finalement, il y en a une qui a été très bien. Je n’ai pas dormi chez moi pendant quelques jours à cause de l’odeur de la peinture. J’ai contacté un ami artiste et un photographe qui me comprend à tous les coups, alors que les autres restaient sceptiques. La photo a mis tout le monde d’accord. Dans les chansons que j’ai sorties avant ce disque, il y a toujours un petit quelque chose dont je ne suis pas très content. Cet album, c’est moi qui me dit « enfin, je fais la musique que j’adore vraiment » et cette pochette est la première fois où j’insiste pour y poser mon esthétique.
Tu avais fait d’autres essais de couleurs ?
Je l’ai fait en noir puis en bleu, et en rose fluo – j’ai un peu une obsession avec le rose fluo, j’en ai partout. J’ai toujours eu un truc avec ça, je sais pas. C’est une couleur qui évoque un sentiment de sensibilité. Le mêler sur une toile qui reste un symbole de la créativité, c’est tout un contraste de précision face à des choses très brutes. L’album a été pensé comme ça : on mélange des samples de batteries de façon un peu brutale à des mélodies précises et avec beaucoup de sentiments. Ça donne quelque chose de très spontané ce mélange, à l’image de la pochette. J’y ai mis plein de choses. Et l’album est assez long d’ailleurs, ce qui est rare aujourd’hui. Il y a tellement de règles commerciales qui invoquent des formats courts. Avec les algorithmes sur les plateformes d’écoutes, on trouve plein de chansons random d’albums inconnus qui deviennent très populaires. Si tu balances 16 tracks comme sur Sonic Poems, les gens ont moins la possibilité de se lasser. Une chanson peut faire son chemin toute seule. On est plus libre en un sens : je peux faire des titres de 7 minutes, de 5 minutes… on s’en fiche.
Ça ne te dérange pas qu’on puisse piocher dans ton album, sans l’écouter de A à Z ?
Non, c’est limite mieux. Il y a des titres qui sont très différents à la fin plutôt qu’au début, c’est un album qui peut s’écouter en aléatoire. Je me dis souvent que mon album est comme un bouquet de fleurs, il y en a des différentes et tu peux choisir celle qui te convient. Chaque chanson a un mood.
Lewis OfMan présentera son disque le 31 mars à la Gaîté Lyrique (complet), le 5 mai à la Cigale et le 21 avril au Printemps de Bourges.
Photo en une : Lewis OfMan © écoute chérie
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