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Les mots de Superbravo

Il est des artistes que l’on suit avec une fidélité maniaque. Au sein du trio Superbravo qu’elle partage avec Julie Gasnier et Michel Peteau, la chanteuse Armelle Pioline est, pour moi, de celles-là : une voix, un chant, des compos et des guitares aussi, comment dire… Entretien.

Si vous connaissiez Holden sans doute comprendrez-vous ce que je tente de dire. A la fin de l’aventure de son précédent groupe (en 2013 après l’album Sidération) j’ai attendu, puis j’ai entendu, un premier extrait sous le nom de SuperBravo, puis plus rien… Enfin, en 2016 : un premier album, en trio, avec Julie Gasnier et Michel Peteau qui, tout de même (!), a fait la première partie de Miles Davis avec son groupe Cheval Fou. Oui, j’ai les oreilles qui trainent.

SuperBravo, ce n’est pas seulement le nom d’un vieux clavier, aujourd’hui peu prisé (celui d’Armelle qui date de 1976 « grésille salement, le pauvre vieux ») c’est aussi un supergroupe, au sens précis du terme, dans la mesure où Julie Gasnier opère dans le groupe Lalafactory et Michel Péteau a d’autres projets musicaux.

Julie Gasnier définit, avec un brin d’humour hein, ce projet musical comme « supergroupe dont la justesse fulgurante est l’incarnation d’une utopie, une étoile filante. » Espérons qu’elle ne file pas trop vite tout de même cette étoile et que l’utopie perdure et se perfectionne encore.

Au moment de cet entretien il y quelques semaines lors du premier déconfinement, SuperBravo était « en tournée ». Un Tarnais passionné de musique a organisé un concert chez lui. Avant le concert je prends le temps de discuter un peu avec Armelle des raisons du succès d’Holden au Chili (le documentaire qui vient de sortir, de longues années après, en est le témoignage). Je papote ensuite avec Michel et Julie de la tournée qui se présentait bien et qui fut… perturbée (euphémisme). L’entretien ne s’est pas fait à la fin du concert : surement pas l’envie, de part et d’autre, de jouer le rôle habituel : moi le relou, eux qui ont envie de faire autre chose et qui répondent rapidement à mes questions. Les questions furent donc envoyées et les réponses furent écrites. Nous les laissons telles quelles. Recherche, importance du collectif, rôle accordé à chacun (musicien comme producteur), importance du tracklisting, do it yourself : il est question de tout ça dans cet entretien à la lumière duquel les contours de cette « utopie » se font plus précis. De justesse il est aussi question… dans leurs réponses.

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SuperBravo © Muriel Thibault

SUPERBRAVO : L’ENTRETIEN

Beaucoup de textes sont construits comme des adresses (« tu ») et le disque dans son écriture, ses textes, oscille entre intime et état du monde. Qui est ce « tu » à qui vous vous adressez ? Vous-mêmes ? Nous ? Un souvenir ? Une émotion ?

Armelle : Sans doute un peu à tous ; c’est ainsi que fonctionne l’écriture. C’est vrai que presque tous nos textes sont adressés, de façon plus ou moins ambiguë. Parfois, c’est le titre qui sert de révélateur. Je pense à « Chanteur » ou à « Sentinelle », mais souvent, l’adresse reste ouverte à toute sorte de lecture, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Julie : Oui je suis d’accord, c’est dans cette interaction entre intime et état du monde que tente de s’articuler une voix qui interpelle plus qu’elle ne dit. La question de l’altérité est centrale et c’est souvent la deuxième personne la plus à même de la signifier.

Dans la chanson « Ici-Bas » on entend ceci « assez de larmes assez d’amertume ». On voit là un refus de la posture cynique, l’idée qu’il vaut mieux attendre « que tout se calme » avant « qu’on ne rallume » le tableau noir. Peut-on lire dans ces vers l’idée sous-jacente que les moments que nous traversons, collectivement, sont de bien mauvais conseillers et peuvent conduire politiquement à préférer le pire ?

Armelle : Oui, c’est exactement ça. Le flot de verbes et d’images qui entoure, qui encombre, qui pollue tout évènement sur les réseaux sociaux, quel que soit son degré de gravité, son niveau d’intimité, de complexité, n’aide pas à réfléchir, et me fait totalement flipper. Je regrette l’époque où on pouvait commenter la quatrième de couv’ de Libé pendant toute une journée avec les copains. Le tableau noir dont il est question dans ce titre, c’est bien sûr la toile, mais aussi la solitude, la folie, la psychanalyse. Tout est bon à explorer, si on en sort, et si possible, un peu grandi. Quant à la posture cynique, effectivement, très peu pour moi. D’ailleurs, tu noteras que l’histoire se termine dans les bras d’un bel homo sapiens.

A propos d’état du monde, et d’inquiétude, le texte introductif se dégage : « Il n’y a plus foule ». Sur le premier on peut y entendre « Sûr qu’on aurait pu, qu’on aurait dû sentir le vent tourner de l’œil / On a eu tort de faire le mort / Sûr qu’on aurait pu, qu’on aurait voulu agir avant / Adieu la terre ». Des vers comme frappés d’un regret, d’une impuissance mais sur une rythmique lancinante, accrocheuse, presque dansante. Pourquoi avoir choisi d’ouvrir l’album avec ce titre ? Pourquoi cette musique sur ce texte ?

Julie : Pour moi ce texte est un mouvement, le dernier peut être, dont nous serions à la fois les acteurs et les témoins ; c’est de l’ordre du transitif, plutôt que du subjonctif.

Armelle : Pour répondre à ta question sur le tracklist, de mémoire, il nous a collectivement semblé naturel d’ouvrir et de fermer avec ces deux titres. « Il n’y a plus foule » en ouverture, parce qu’il commence par un appel, et que chacun peut se sentir concerné par cette projection apocalyptique ; le fait qu’on l’aie rendue gaie contre vents et marées, je trouve que c’est une vision qui a de la gueule pour un « dernier mouvement ». On est parti d’un sample – une contrebasse piquée à un vieux titre de Jeanne Moreau – un métronome acoustique, qui claque et qui fait filer droit, un clavier qui fait un peu penser à du Matt Bianco (à qui je ne pense pourtant jamais), et puis on a eu cette idée de chœurs un peu 50’s, légers, vaporeux, à la Andrews Sisters. Katel, qui a produit le disque, est repartie de notre petite tambouille, et a fait ce magnifique travail, notamment sur les batteries et les percus.

Pour le morceau « Rickenbacker » qui vient clore le disque, je note ce mouvement allant du désemparement, de la culpabilité d’être en vie à un retour à la vie, grâce à l’art, à la musique, à la scène :  « Je m’en voulais d’être là en vie en joie / hurlent les sirènes pitoyables rengaines / Elle jouait sur Rickenbacker et mon cœur en douceur s’est remis à battre / Et ma peur s’en est allée dans ses jolis doigts ». D’où ma question : quelles œuvres, quels artistes ont sur vous cette puissance à consoler, à redonner goût ?

Armelle : Ce morceau est le plus ancien de l’album, il est rattaché au massacre du Bataclan, qui a laissé, je crois, des traces profondes en nous tous, musiciens – Parisiens qui plus est. On n’en a pas mené large pendant un bout de temps. Je me souviens précisément du premier concert que j’ai vu, quelques semaines après ce méga choc collectif, j’étais hyper tendue, hyper émue, et j’ai vécu chaque seconde de musique, de spectacle, de lumière, comme un délicieux retour à la vie. J’ai heureusement, depuis toujours, des œuvres fétiches, qui m’enchantent à tous les coups, selon le degré de blues, de mélancolie. Je vais taper vers des bouquins amis, comme L’Usage du monde de Nicolas Bouvier, pour citer le plus écorné de tous, ou vers la musique avec Syd Barrett, Billie Holiday, Jonathan Richman qui, tous, à leur manière, savent brillamment me consoler. Ça peut aussi être n’importe quel film de John Cassavetes. De façon générale, les œuvres qui me remettent d’aplomb sont celles d’artistes imbriqués dans leur création, qui racontent humblement leurs troubles et leurs questionnements avec la plus grande sincérité possible.

En prolongement du morceau « Chanteur » (« Tes mots me rendent meilleurs ») : quels mots vous rendent meilleurs ? Et prononcés par qui ?

Julie : Les paroles de « Chanteur » sont en résonance avec ce qui vient d’être évoqué par Armelle. Elles tentent dans une langue presque primitive, de saisir la porosité entre la vie et la mort, la réalité insoutenable et la nécessité de transcender celle-ci par la voix des artistes. J’étais frappée d’entendre que les voix salvatrices, dissidentes et politiques dans l’espace public étaient éminemment portées par des femmes, et aussi que seules les voix masculines m’amenaient une sorte d’espoir de résilience et rendaient le paysage plus respirable. Des voix qui prenaient source dans leur capacité sensibles d’être dans la vie et face au monde. A ce moment précis : Katerine, David Lafore, Eddy Crampes, Bertrand Belin… C’est une sorte d’hommage.

Vos deux styles d’écriture sont très différents, le tien, Julie, plus bref, qui joue de cassure et de vers dynamiques, ou le tien, Armelle, tout aussi poétique bien que plus narratif. Partez- vous de la musique pour composer vos textes ?

Armelle : Globalement, que ce soit Julie ou moi, nous proposons les titres au stade « chantables », « transmissibles » disons, avec paroles et musique. Et puis, bien sûr, selon l’appropriation qui en est faite par chacun, les titres se transforment plus ou moins, et viennent s’imbiber du son de notre groupe.

Julie : Il s’agit effectivement plus d’une mise en commun que d’un travail d’écriture ou de composition collectif. L’identité des morceaux amenés par chacune se trouvant  en amont, la force collective réside dans le fait de pouvoir les porter ensemble en diffractant les rôles ce qui nous permet de défendre une parole et une singularité qui n’est pas univoque mais unifiée par notre son.

Pourrions-nous dire que vos compositions sont à la fois limpides et sophistiqués : êtes-vous d’accord avec ce point et pourriez-vous dire que c’est peut-être là l’idéal de la pop que vous recherchez (comme Holden a pu le faire) et peut-être de la pop en général, d’ailleurs ?

Armelle : Oui, l’idéal pop est toujours dans ma ligne de mire, les Beach Boys, les Beatles, les Kinks, les Byrds m’ont laissés des marques indélébiles. Quels joyaux ! Je sais au fond de moi que des fragments d’eux, que leur esprit, imbibent notre répertoire. La chanson pop me semble assez universelle et intemporelle pour mériter qu’on s’y attèle Pour ma part, je ne m’en lasse pas.

J’ai l’impression que les guitares, lancinantes parfois, et les riffs sont ce qui viennent en dernier, ce qui donne une certaine suspension aux compos. Contrairement à des groupes qui partent d’un gimmick, d’un riff pour composer, là, le riff semble s’ajouter une fois que la direction, la structure et la textures sont trouvés. Suis-je dans l’erreur ?

Armelle : Oui et non. Les guitares de Michel sont larges, éclectiques, inspirées. Elles sont à la fois le socle – quand elles prennent la place d’une basse -, et le décorum, quand elles viennent jouer avec nous, les chanteuses, pour nous soutenir ou nous bousculer. Mais tu as raison, notre mode de création dans SuperBravo ne nous incite pas spécialement à partir d’un riff de guitare.

Julie : Avec l’exception du morceau « Ici- bas » où nous avons chacune écrit sur un instrumental très guitaristique de Michel, ce qui lui confère cette énergie toute particulière et importante dans l’équilibre du disque.

Quel rôle a joué Katel sur ce disque ? Je crois qu’elle vous a beaucoup accompagnés au quotidien…

Julie : Nous avons enregistré avec Katel un 45 tours dans une session courte d’une semaine où s’est éprouvé le processus qu’elle nous a proposé de garder pour la suite de l’album. La dynamique de l’écriture de celui-ci est liée en grande partie au fait que son enregistrement a été étalé sur plusieurs mois avec des séances d’une semaine chaque fois. Ces rendez-vous réguliers nous ont mis dans une sorte d’urgence et de spontanéité tant dans la nécessité de fournir de nouveaux morceaux que dans l’accueil de ceux-ci par Katel qui les découvrait avec une fraicheur renouvelée. Son talent a été de donner une pleine place à chacun, tout en réalisant la cohérence de l’ensemble avec l’apport de ses programmations et rythmiques sur la plupart des compositions.

Dans sa première version, SuperBravo était un projet solo d’Armelle. Lorsque vous devenez un trio les compositions comme la production s’orientent vers plus de minimalisme. Est-ce Julie qui a apporté cela ? De même les guitares électriques viennent de Michel ?

Armelle : C’est vrai que quand le trio SuperBravo est né et que nous avons « pacté » tous les trois, le postulat était de nous passer de bassiste et de batteur, de nous débrouiller avec ce que nous savions faire, de chercher un équilibre sonore qui nous plaise, aussi bien sur disque que sur scène, de nous amuser de cette contrainte. Cette idée nous plaisait bien, et c’est dans ce sens que l’on a creusé pour l’écriture de nos deux albums.

Le collectif est je crois important pour vous, tout le monde joue de tous les instruments, Julie s’occupe des pochettes et de certains clips…

Armelle : On a effectivement des rôles moins figés que dans la plupart de groupes, par désir autant que par nécessité. On tâche de s’autogérer dans les domaines où on se sent capable de se hasarder. S’il y a approbation collective, alors, tout le monde travaille sur l’idée qui a germé. Julie a conçu le graphisme du nouvel album. Ses dessins habillent et habitent la pochette du disque, et le clip de « Il n’y a plus foule » est composé d’une multitude de portraits qu’elle a dessinés. C’est beau comme tout. Notre nouveau clip « Sentinelle » est aussi une production maison. De même avec le label Fraca semble former un collectif, Katel vous produit, Robi réalise un clip, etcetera.

Julie : L’amitié, la confiance, l’implication et l’engagement de ces trois artistes pour faire vivre au-delà de leurs propres productions des projets comme le nôtre est une chance inestimable.

Photo en une : SuperBravo © Muriel Thibault

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