Au pays de l’indie-pop, Sondre Lerche est un cas à part : Norvégien obsédé par la MPB, la musique populaire brésilienne ; songwriter jonglant avec les accords enrichis, diminués et augmentés ; explorateur stylistique et performer toujours captivant.
A ses débuts, prodige précoce de 19 ans, il en imposait déjà, ses chansons rayonnantes sous le bras, quelque part entre Burt Bacharach et les Beatles. Le succès lui a permis d’aller vivre aux États-Unis et de s’aventurer dans des styles parfois radicalement différents : jazzman sur le délicieux album Duper Session, néo rockeur sur Phantom Punch, punchy folkeux sur Sondre Lerche, pop star ambivalente sur Pleasure.
Avec Patience, son nouvel album au nom en parfaite symbiose avec notre drôle d’époque, Sondre Lerche est comme souvent là où on ne l’attend pas. Il se réinvente en Crooner West Coast cool, sorte de Sinatra miniature et radieux, sublimant ses suaves mélodies sur des arrangements electro, jazzy et luxuriants. Loin des dissonances de ses derniers efforts. Au sommet de son art, il livre quelques petits chefs d’œuvre, comme la sublime « Why Would I Let You Go », « I Love You Because It’s True », « Patience » ou « Are We Alone Now ».
Un moment idéal donc, pour rencontrer cet infatigable chasseur de mélodies et en savoir plus sur cet album qui s’impose d’emblée comme l’un de ses tous meilleurs.
Interview : Sondre Lerche
Comment te sens-tu en sortant un disque dans le contexte actuel ?
Sondre Lerche : Patience sort le 5 juin. Bien sûr, à un moment, je me suis dit que la pandémie allait ruiner sa sortie. Très vite pourtant, j’ai réalisé que cet album était finalement un disque parfait pour cette époque. Rien que son nom : Patience ! Je me sentais aussi dans une super dynamique : nouveau manager, nouveaux collaborateurs… J’ai donc décidé d’embrasser la situation et de ne rien changer. C’est aussi important que certaines choses ne soient pas affectées par cette crise. Les gens ont plus que jamais besoin de musique.
Comment vois-tu Patience dans ta discographie ?
Pour moi, Patience est un album qui réunit tout ce que j’ai pu toucher auparavant. Les gens entendront des éléments de Faces Down, de Two Way Monologue, de Duper Sessions… Je pense que quel que soit l’album que tu aimes dans ma discographie, l’album te rejoint à mi-chemin. Tout se recoupe sur Patience.
Une fois encore, cet album est très différent du précédent. Comment as-tu trouvé cette nouvelle direction pour Patience ?
Je ne réfléchis pas vraiment en ces termes : en général, tout se dessine naturellement quand je travaille sur un album. Pour Patience, j’ai écrit en réalité la plupart des chansons alors que j’étais encore en train de finir Pleasure (NDLR : son album précédent, sorti en 2017). Mais c’était d’emblée très clair pour moi qu’elles s’inscrivaient dans quelque chose de totalement différent. C’est presque l’opposé de Pleasure, qui était centré sur l’expression physique, la prise de risques. Avec Patience, c’est une direction beaucoup plus méditative, avec un horizon plus large. Je voulais moins de changements brusques dans les morceaux. Tout mon corps avait besoin d’une musique apaisante, qui aide à se sentir en sécurité.
« Why Would I Let You Go » est un sommet de l’album. D’où vient cet ovni ?
« Why would I Let You Go » est une chanson très profonde et personnelle. Elle révèle toute mon âme. Si bien que la première fois que je l’ai jouée en public, je me suis mis à pleurer. Après l’avoir finie, je me suis dit : « si jamais c’était la meilleure chanson que j’écris de toute ma carrière, ce serait déjà pas mal ! » (rires). Cette chanson était tellement importante pour moi que j’avais peur de l’enregistrer, de ne pas réussir à capturer ce que j’avais en tête. Je voulais créer un espace musical tendre, chaleureux avec beaucoup d’émotion. Au final, Matias (Tellez, co-producteur de l’album) et moi avons construit un arrangement assez ample, mais qui conserve aussi un certain minimalisme. The Pavillon of Dreams d’Harrold Bud, un compositeur de musique contemporaine des années 70, m’a notamment aidé pour trouver ce juste équilibre.
Quelles étaient tes autres inspirations musicales pour Patience ?
Ce qui a eu le plus d’influence en créant cet album a été mon goût pour l’ambient et la musique abstraite. J’étais aussi vraiment à fond dans la musique expérimentale japonaise, en particulier Haruomi Hosono et sa B.O. de Shoplifters. J’ai appris à apprécier l’espace dans la musique plutôt que de chercher à la remplir de changements malins, d’arrangements savants… Cela m’a aussi poussé vers des chansons circulaires, basées sur des boucles, avec une progression prévisible. Patience, c’est vraiment la combinaison de ma sensibilité pop avec ces éléments d’ambient mélodique et cette volonté d’ajouter de l’espace.
Tu as commencé très tôt ta carrière, à 19 ans. Quelle est la chose la plus importante que tu aies apprise au cours de toutes ces années ?
Je crois que j’ai appris à me relaxer un peu, à être moins tendu et à me faire plus confiance. Plus jeune, j’étais très concentré sur ma musique mais j’avais peur de perdre ma capacité à composer. Les gens me disaient : tu es si jeune, si talentueux. Mais moi, j’avais peur de perdre ce qui me rendait spécial. Peur de ne rien sortir d’aussi bon que mes premiers albums. Avec le temps on comprend qu’on écrit de bonnes chansons et des mauvaises. Et on essaie d’être assez intelligent pour ne publier que les bonnes.
A ce point de ta carrière, qu’est-ce qui est le plus difficile ? Rester inspiré ?
Je ne pense pas vraiment en termes d’inspiration, plutôt en termes d’opportunités créatives. Et honnêtement, je me sens plus libre et créatif que jamais. Non, la vraie difficulté pour moi, c’est l’impossibilité pour un artiste avec mon niveau de succès de tourner avec un groupe, de monter des shows qui rendent justice aux arrangements. Dans cette industrie, il n’y a plus de classe moyenne. Les grands noms accaparent les grandes scènes et, pour les autres, ce sont les petits clubs. C’est une vraie frustration de ne pas pouvoir communiquer avec tes fans de la façon dont tu le souhaiterais. Ceci dit, je fais ce métier depuis mes 17 ans et je me sens avant tout extrêmement chanceux de pouvoir l’exercer encore aujourd’hui.
Que penses-tu de cette tendance à tourner seul avec des machines pour accompagnement ?
J’aime que les règles du rock soient challengées ! La plupart des groupes traditionnels ne m’intéressent pas. En ce qui me concerne, je suis excité par le fait d’écouter de la musique que je ne comprends pas. Je suis lassé du songwriting qui est trop proche de ce que je sais faire ou qui utilise des suites d’accords déjà entendues 1000 fois. Je cherche de la musique hors de ma sphère.
Qu’est-ce qui t’intéresse par exemple dans la musique actuelle ?
Si tu veux savoir ce qui me fait vibrer, j’ai créé une playlist sur Spotify, Sondre’s Infinite Playlist, sur laquelle je partage tout ce que j’aime. La musique actuelle est à la fois meilleure et pire que jamais. Il faut juste creuser un peu plus profond. D’une façon générale, ce qui me fait de l’effet, ce sont les suites d’accords : les mouvements harmoniques peuvent ouvrir un monde pour moi. C’est pour cette raison que j’en reviens toujours à la musique brésilienne des années 60 et 70. Elle combine tout ce que j’aime. C’est parfois cheesy, mais de façon fabuleuse, ou psychédélique de façon magistrale.
Crédits photo en une : Sondre Lerche par Jen Steele
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