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Les années 80 de Rubin Steiner – Ma madeleine de Proust

Les madeleines de Proust. Ces petits actes, odeurs, mélodies et sensations qui, brutalement, font resurgir de notre mémoire de lointains souvenirs, souvent chargés d’émotion. Dans cette série d’articles, nous proposons à quelques uns des artistes que nous aimons de rassembler ces morceaux qui constituent leurs madeleines de Proust et de nous raconter le souvenir qui y reste étroitement lié. Dans ce nouvel épisode, on ouvre les guillemets à Rubin Steiner, dont l’exploration musicale n’a d’égale que sa bienveillance à nous la partager. L’artiste n’avait à vrai dire pas de madeleine particulière. Il revient donc pour nous dans ses années 80, sa première boum, sa découverte du punk et des premières amitiés inoubliables.

Je n’ai pas de madeleine de Proust. En revanche, je remarque très régulièrement que les tubes de 1984, 1985 et 1986 me procurent un doux réconfort – des morceaux que j’entends au hasard de la vie : je n’écoute jamais radio Nostalgie. Ce sont tout simplement les premiers vrais souvenirs de musique qui m’ont marqué. Pas une madeleine donc (ou alors un paquet format familial).

Je suis né en 1974, j’étais en sixième en 1985/1986. Durant cette année scolaire, j’ai découvert pas mal de choses, dont la radio. Il y en avait une que mes parents écoutaient et qui diffusait tous les tubes du moment. On l’écoutait dans la voiture en allant au collège et en rentrant le soir (à peu près une heure par jour, au moins 20 chansons).

Autant dire que j’étais incollable. Mon rêve était de les écouter en boum, mais personne ne m’invitait aux boums. Il y en avait pourtant pratiquement toutes les semaines (le mercredi après-midi, ou le samedi), mais jamais je n’étais convié. Une grosse frustration. Se faire inviter à une boum, ce n’est pas quelque chose qu’on demande. Et puis en toute fin d’année, miracle : une copine de quatrième fêtait son anniversaire et, peut-être parce que j’étais là au bon moment, m’a donné un petit carton d’invitation fait à la main. J’allais enfin découvrir ce mystère que j’avais fantasmé pendant des mois, vivre ces quelques heures dans le garage de ses parents, décoré pour l’occasion, avec des spots de couleurs, un tourne-disque, des assiettes en carton remplies de bonbons et de gâteaux, des chaises sur les côtés, de l’obscurité, et cette fille dont j’étais secrètement amoureux.

Il y avait les professionnels des boums, ceux qui avaient des 45 tours (certains se faisaient inviter uniquement pour ça). Moi je n’avais aucun disque, mais tous les morceaux qui ont été joués pendant cette boum resteront à jamais dans ma mémoire. J’avais un walkman et un poste à cassette dans ma chambre : je pouvais dorénavant enregistrer les morceaux qui passaient à la radio.

Sur mes cassettes, il y avait Break Machine, West Street Mob, Ollie & Jerry, OMD, Eurythmics, The Cure, Simple Minds, Madonna, Grand Master Flash, Bangels, Bronski Beat, Indochine, Fine Young Cannibals, Commodores, Billy Ocean, Katrina & The Waves, Cock Robin, James Brown, Stevie Wonder, Duran Duran, Simply Red, Queen, Erasure, Alphaville, A-Ha, Kate Bush, Tears For Fears, Pet Shop Boys, Falco, Diana Ross, Kool & The Gang, Cyndi Lauper, Tina Turner, Prince, Kim Wilde, Sade, Culture Club, Wham, INXS, Harold Faltermeyer, Elton John, Bananarama, Rock Steady Crew, Gloria Estefan, Divine, Talk Talk, Dead Or Alive, Billy Ocean, Al Corley, Roxy Music, Shakatac, Pat Benatar, Nik Kershaw, Moonray, Baltimora, Queen, Chris de Burgh, Laura Branigan, Communards, Mel & Kim, Pretenders, Genesis, Depeche Mode, Nu Shooz, New Order, OFF, Cameo, Desireless, Rita Mitsouko, etc etc.

L’été suivant, je suis retourné à une boum. C’était nul. J’étais déjà blasé. En cinquième, un nouveau est arrivé. Il s’appelait Nicolas et c’est devenu mon meilleur pote. Il était punk. Il avait les cheveux en l’air, une boucle d’oreille, des rangers, des fringues déchirées et les ongles noirs. Il était tout petit et il sentait le marqueur. Il faisait des BD et dessinait à longueur de temps des trucs étranges sur ses cahiers. Il écrivait BXN partout.

– Ça veut dire quoi BXN Nicolas ?
– Ça veut dire Bérurier Noir.
– C’est quoi ?
– C’est un groupe, tiens, je te file une cassette, c’est leur disque Concerto Pour Détraqués. Sur la face B je t’ai mis Ludwig Von 88.

Nicolas n’a jamais commenté le fait que j’aimais Madonna, INXS, les Communards et A-Ha. Je suis devenu fan des Béruriers Noirs et de Ludwig.

L’année suivante, en quatrième, je n’ai écouté que Music For The Masses de Depeche Mode. Je peux pleurer en le réécoutant aujourd’hui.

En troisième, un autre ami, Fred Ferand, plus vieux celui-là, me faisait des cassettes avec Black Flag, les Beastie Boys et Minor Threat. Cette même année, j’avais rapporté d’un voyage à Londres la cassette du premier album de De La Soul et achetais par hasard Sister de Sonic Youth pensant que c’était des punks vu que ça sortait chez SST, le label de Black Flag : une révélation.

Mes madeleines de Proust s’arrêtent à mon entrée en seconde, lorsque mes nouveaux camarades m’ont fait découvrir les Inrockuptibles, les Pixies et la pop anglaise. J’aimais bien. Mais c’était pas pareil : ce n’était plus la première fois que je me faisait transpercer par la musique.

Photo en une : Rubin Steiner © Suzanne Landier

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1 commentaire

1 commentaire

Malika 01.02.2021

Ma madeleine a le même goût que la tienne.
Merci pour ces saveurs..

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