MENU
En lecture PARTAGER L'ARTICLE

Le Confort Moderne a 30 ans : les souvenirs d’Etienne Jaumet, Rubin Steiner et Eric Pifeteau

Poitiers, 1985. Là-haut, route du Pont-Neuf, le Confort Moderne ouvre ses portes et devient l’une des premières SMAC de France. Trente ans plus tard, ce lieu est toujours animé par une équipe élevée au DIY. Débrouillardise, malice et avant-gardisme : voilà ce qui caractérise ce lieu qui a toujours pris plaisir à sortir des sentiers battus. Pour rendre hommage à cette belle histoire, nous avons fait appel à trois briscards qui connaissent bien ces murs : Etienne Jaumet, Eric Pifeteau et Rubin Steiner. Voici leurs témoignages.

Etienne Jaumet (Zombie Zombie, The Married Monk et environ 20.000 projets sur terre)

Etienne-Jaumet_Zombie-Zombie_13-oct-2012_ photo Yvain Michaud

Etienne Jaumet de Zombie-Zombie (2012) / Yvain Michaud

Poitiers a toujours été une ville très importante pour moi. Mes grands-parents, mes parents, mes cousins s’y sont rencontrés et y ont vécu. J’ai découvert le Confort Moderne parce que mon oncle au début des années 80 y allait. C’est lui qui m’a émancipé à la bonne musique en me faisant découvrir The Cure notamment…

Bref, à cette époque, Poitiers représentait la grande ville à la pointe de la culture. C’est là que l’on m’y a acheté mon premier saxo (un Jupiter). Bien des années plus tard, quand j’ai finalement pu jouer dans cette salle (en solo ou avec Zombie Zombie) et que ma famille est venue, ce fut une grande étape. Je me suis dit que j’étais arrivé à quelque chose dans ma carrière musicale et certainement aussi aux yeux de mes proches. Tellement de bons groupes sont venus jouer dans cette salle…

J’ai dû y jouer en définitive un peu dans tous les recoins : entrée, la grande salle (raccourcie ou pas), dehors… Je m’y sens bien : je retrouve à chaque fois avec plaisir l’équipe du lieu, mais aussi l’excellent disquaire Transat basé dans la cour, avant de jeter un œil à la Fanzinothèque… Je me souviens de cette fois-là où je suis venu mixer (une des premières fois) dans le bar  : c’était dingue, tout le monde s’éclatait, il y en a même un qui a tenté de se reproduire avec la sono ! J’y ai toujours de la famille et de très bons amis : je reviendrai bientôt, j’en suis sûr même si rien n’est encore prévu. C’est une belle histoire qui s’est écrite entre moi et le Confort Moderne…

Eric Pifeteau (French Cowboy)

french cowboy workshop

French Cowboy workshop / DR

Le Confort Moderne ? Ah oui ça me dit quelque chose ce nom. Une petite recherche Google et hop, tout me revient… Enfin presque.

« Quoi? premier passage des Little Rabbits au Confort c’est le 10 Mars 1994 ? » Attends, j’avais 25 ans, j’en ai grillé des cartouches depuis ce jour-là. Mais ça me revient c’était avec The Married Monk, on tournait ensemble à l’époque, on s’marrait bien et on suçait pas que des glaçons. Ce jour-là il faisait froid et le cuistot, malgré ses airs cool et bienveillants, servait un couscous vraiment dégueulasse. On savait pas trop quoi en penser de cette salle, nous on était jeunes et une bande de 10 mecs de 25 ans sur la route ne s’occupe guère des gens qui les entourent. Ce qu’on savait pas c’est que notre tourneur visait un poste de programmateur au Confort Moderne et en début de soirée nous avons reçu un fax (ben oui, on est en 1994) comme quoi on devait se tenir à carreau et qu’il fallait tout déchirer sur scène. Tout ça pour que Lauphi puisse rappeler le lendemain pour s’entendre dire qu’il était super de leur envoyer des groupes aussi cool. Le concert était fat et la salle pleine, une ambiance de dingues et une after qu’on soupçonnait pas. Y’avait notre pote François qui ne rate jamais l’occase pour organiser une petite fête chez lui.

Après y’en a eu d’autres, je vois qu’on a encore fait deux concerts avec les Rabbits, un avec Katerine (Rrrooooh, je raconterai rien sur celui-ci), a priori quatre fois avec French Cowboy dont un mémorable avec Mardi Gras Brass Band en 2008. En plus le restaurant s’était amélioré.

“J’étais au lycée et je chantais dans un groupe qui s’appelait Salad Day, nom chipé à un morceau de Minor Threat.”

img-big3

Expo Kamikaze 2089 / DR

Un truc que je peux pas oublier, c’est la rencontre avec Bertrand Lacombe et Sophie Dejode pour l’exposition Kamikaze 2089 en octobre 2004. Yann nous a programmé pour le vernissage de l’expo. Putain de vernissage, putain d’expo collective où les artistes faisait la police pendant que des commissaires influents de l’art contemporain se tapaient la bourre autour d’un circuit, à l’intérieur de l’entrepôt. Nous avons fait un Ad Nauseam, projet qui consiste à jouer 2 heures à fond, la même phrase musicale… jusqu’à la nausée. Le chaos, un mélange de mélodies, de noise, de moteur deux temps dans un nuage de gaz d’échappement. Une fois de plus, after très cool dans une maison qui possédait un skateboard bowl jusqu’au moment ou notre manager voulut s’initier au skate aux alentours de 4 heures du mat. L’image est encore douloureuse, je le revois en position sur le bord du bol puis au fond la cheville tordue à 90°.

Le temps passant, l’équipe du Confort se dit qu’il faut y aller doucement avec nous et nous a proposé, en janvier 2014, de travailler avec un groupe d’élèves d’un collège de Poitiers. C’était super, une relation particulière avec ces ados pleins d’énergie, même si sur les images qui ont été tournées le soir de la restitution public, je nous vois diriger ces kids avec Fédérico sur les reprises de « Diamonds » de Rihanna et « Payphone » de Maroon 5… Si on m’avait dit qu’un jour…

Merci Le Confort.

Fred Landier (Rubin Steiner)

Rubin Steiner @ Tours de fête

Rubin Steiner @ Tours de fête / DR

Le Confort Moderne, avant tout, c’est le meilleur nom de salle du monde. Ensuite, c’est effectivement un lieu dans lequel j’ai des souvenirs fracassants, et dont je partage le premier avec des milliers de gens – une légende locale qui se raconte de fesse à oreille depuis le jour où un accueillant canapé en béton armé parfaitement peint a été installé dans le bar.

canape en beton en 1989

Canapé en béton (1989) / DR

Ma première humiliation au Confort Moderne donc, sachant qu’il y en a eu une deuxième, lors du concert de Fugazi, mes idoles d’alors, en 1992 probablement. J’étais au lycée et je chantais dans un groupe qui s’appelait Salad Day, nom chipé à un morceau de Minor Threat. Donc, sachez, si vous y étiez, que c’est moi le gros relou qui a gueulé « Salad Day ! » entre chaque morceau du concert de Fugazi, jusqu’à ce que Ian MacKaye, énervé, ne lâche un définitif « We are not a band that plays Salad Day » (ou un autre truc vexant du genre).

kamikaze 2089_POLICE

Expo Kamikaze 2089 / DR

Bien entendu, à la sortie, la fascinante punkette qui était alors disquaire à la FNAC de Tours m’attrape et me dit « Putain, t’as entendu le connard qu’arrêtait pas de gueuler »Salad Day ! » pendant le concert ? Quel blaireau, merde ! ». Une situation aussi confortable qu’une entorse du coccyx sur le canapé en béton, avec élan. D’ailleurs j’ai été puni une deuxième fois par le dieu du straight punk ce soir là : avec mon pote, on a attendu toute la nuit notre train de 6h du matin, assis sur nos skates sous le porche d’un hôtel près de la gare de Poitiers. Et là, un van immatriculé en Hollande se gare devant nous…

« Imagine que c’est les Fugazi » (sourire complice)

« Putain !! C’est les Fugazi » (bouche bée)

img-big6

“J’étais au lycée et je chantais dans un groupe qui s’appelait Salad Day, nom chipé à un morceau de Minor Threat.”

Crédit photo Fugazi : Amanda Fotes pour Self-titled Mag (2014)

Après nous avoir gentiment enjambés pour rentrer dans le hall de l’hôtel, nous offrant au passage une vue imprenable du groupe, Guy Piccioto s’est retourné et nous a dit une phrase en anglais. Une phrase. En anglais. Putain. Pendant une dizaine de secondes, mon cerveau a fait un 100m haies en sautant par dessus des lacunes de plus en plus hautes jusqu’à déclarer forfait et lâcher des sauts d’adrénaline paralysantes dans ma langue. Seule la lettre « E » arrivait à sortir de ma bouche qui semblait poser pour un peintre spécialisé en portrait de culs de poules. L’Américain, sans rire de notre niveau d’anglais aussi joyeux que ses chansons, et dans un sourire interrogatif de la dernière chance, nous a lancé un presque triste « Ok so… Good night guys ». Sans plus d’effort de prononciation et qu’on a, malgré tout, cette fois parfaitement compris.

On a aussi compris à ce moment-là qu’il venait peut-être de nous inviter dans sa chambre, et on aurait ri toute la nuit, on aurait refait le monde et on serait parti avec eux pour faire le tour du monde, on serait devenu les roadies de Fugazi, on aurait habité en Amérique. On a surtout fait comme si il ne s’était rien passé. Comme deux cons qui viennent de passer à côté de leur vie à cause d’un dramatique problème d’apprentissage des langues étrangères dans les écoles françaises.

Mais mes vrais bons souvenirs au Confort, après le concert magistral de Jimi Tenor du début des années 2000, c’est le boulot formidable des programmateurs, avec qui j’ai eu le grand bonheur de travailler en tant que musicien et en tant que programmateur (c’est une longue histoire, je vous passe les détails) : Philippe, Cyril et Lauphi. Des vrais pirates qui ont réussi a faire de ce lieu ce qu’il est aujourd’hui, avec une passion réelle, un militantisme et une intégrité dont certains, ailleurs en France, feraient bien de s’inspirer (mais ça c’est encore une autre histoire, et je vous passe encore les détails).

Merci de nous avoir bien nourri durant toutes ces années, ô belle cantine de l’esprit.

Photo en une : Dominique Bordier (Nouvelle-République de Poitiers)

Partager cet article
0 commentaire

0 commentaire

Soyez le premier à commenter cet article
Chargement...
Votre commentaire est en cours de modération
Merci
Une erreur est survenue lors de l'envoi de votre commentaire
Sourdoreille : la playlist ultime
Toutes les playlists

0:00
0:00
REVENIR
EN HAUT