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Etienne Jaumet : « Mon but n’est pas d’asservir les machines »

Moitié du duo Zombie Zombie, scènes en solo, live et DJ set, saxophoniste non-identifié, membre ponctuel des projets du Cabaret Contemporain et de James Holden, Etienne Jaumet est bien décidé à ne pas mourir con. Voici notre interview « fleuve » avec ce pédagogue, passionné et pont entre les domaines de l’art, qui sort un grand et nouveau voyage intérieur sous forme d’album : La Visite. Bonus en exclu : un remix d’Acid Arab de son titre « Metallik Cages ».

J’imagine que Versatile n’est pas le genre de label à stresser ses artistes pour qu’ils sortent rapidement leurs disques ?

Non, même s’il y a quand même quelque chose d’écrit à ce sujet dans le contrat. Versatile a besoin de sortir des albums de temps en temps : des maxis d’artistes qui ne sont pas signés pour avoir toujours une actualité et des albums qui sont là pour enfoncer le clou sur les artistes maison [I:Cube, Acid Arab, Joakim… / NDLR], qui sont très peu nombreux.

Deux mois pour le composer, c’est du go-fast ?

Le but était vraiment de bosser sur ce temps imparti et de faire un album spontané. Je me suis retrouvé tout seul, sans collaborateurs, alors que c’est plutôt une habitude chez moi. Je voulais me prouver que j’étais capable de composer seul. Une sorte de défi personnel. J’essayais de boucler un morceau en un après-midi : composition, enregistrement, production.

Cette démarche « spontanée » est nouvelle pour toi en comparaison avec ton premier album « Night Music » ?

Ça n’était pas très différent. L’idée pour « Night Music » était de faire un morceau de 20 minutes sur une face de vinyles et des autres petits morceaux de l’autre côté. Ce format me plaisait. A part ça, je travaillait sur la spontanéité. Mon nouvel album est selon moi plus accessible, j’y ai ajouté plus de voix, de saxo. J’ai eu de bons retours avec ces nouveautés, notamment dans mon projet Zombie Zombie. Ça m’a encouragé.

C’est la clé : voix et de saxo = musique accessible ?

C’est évident. Et les morceaux à la voix parlent toujours plus aux gens, l’identité est plus forte. Personne n’a la même voix. De plus, les morceaux sont moins longs et demandent moins d’engagement.

Ça rapproche de l’auditeur ?

Je n’ai pas à me rapprocher de l’auditeur ou à le caresser dans le sens du poil.

FINAL_COVER

Entre les titres Anatomy of the synthesizer ou La visite mais aussi la pochette, le thème principal du disque semble être le corps ? Tu t’éloignes de la transe céleste, qu’on retrouve jusque-là dans ta musique, et te rapproches de l’intime ?

On pourrait dire que c’est une vision transcendentale de l’intérieur (Rires). C’est pas dans le sens introspectif, mais plus contemplatif, extra-corporel… Je ne sais pas si c’est très clair. Je m’observe plus agir plutôt que d’essayer de puiser dans mon for intérieur la création ou l’inspiration. Je suis plus dans un processus de me surprendre moi-même.

Tu a évolué de l’infiniment grand à l’infiniment petit ?

Il y a une analogie entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, entre le cosmos et les structures atomiques.

Y a-t-il un besoin de confronter les machines et le corps ou d’humaniser les machines dans cet album ?

Les machines sont une extension. Enfin les machines… Les instruments ! Mon but n’est pas de les asservir mais qu’elles aient un rôle de médiation. Comme une baguette magique. C’est juste l’interface entre moi et le son. Evidemment, elles ont des défauts.

Tu joues de ces défauts ?

Ça n’a jamais été des obstacles, mais des moteurs. Les synthétiseurs analogiques sont des instruments très simples, avec lesquels tu fabriques toi-même les sons. C’est très difficile de reproduire deux fois la même chose mais je préfère intégrer cette donnée plutôt que de la maîtriser absolument.

Cabaret

Etienne Jaumet et les membres du Cabaret Contemporain

Un live d’Etienne Jaumet ne sera donc pas du tout le même que sur le disque ?

Même si j’essayais de le reproduire, je n’y arriverais pas.

Dans le morceau La visite, tu explores le corps humain en racontant ton aventure, un peu à la façon des séries animées comme Il était une fois la vie ?

C’est marrant parce qu’il va y avoir un clip et il y a un peu cette idée d’animation. J’ai envoyé l’instrumental à mon ami Flóp [membre du label de musique indépendant et coopératif, Les Disques Bien / NDLR] en lui disant que ce serait bien d’y ajouter une voix. Il m’a renvoyé ce texte le lendemain. Il me connaît bien et il sait bien que j’ai une démarche un peu aventureuse, que j’apprécie les voyages intérieurs, un peu bizarres, spatiaux. Le texte colle parfaitement.

Tu joues de temps en temps avec le Cabaret Contemporain ?

Je vais encore jouer avec eux ce week-end à La Haye. C’est un projet qu’on pourra refaire toute notre vie juste pour le plaisir, parce qu’il n’y aura probablement pas de disque. Si ça intéresse des gens, on le refera.

C’est la force de ce projet, d’être intemporel ?

Oui, bien sûr, d’autant qu’on joue des partitions de John Cage, qui le sont, intemporelles. Enfin, on s’en éloigne de plus en plus.

Tu tournes également comme saxophoniste de James Holden ? C’est un groupe durable ?

C’est un projet ponctuel qui peut durer très longtemps. Je ne pensais pas du tout que ça allait arriver parce que James n’avait jamais fait de live avant. Seulement des DJ sets. Depuis, il a vraiment travaillé l’instrument, le synthé modulaire, le pilotage avec un ordinateur et on a monté un véritable trio batterie-synthé-saxo. Un live qui est assez proche de ce dont j’ai l’habitude. La structure des morceaux est complètement mouvante et il y a pas mal d’improvisation. On a beaucoup de plaisir à jouer ensemble. Ce projet va continuer, selon moi, au-delà de l’album « The Inheritors » de James. Il a déjà réfléchi à des morceaux. On a inventé un langage commun, ce qui est très important.

C’est ça un véritable live électronique ?

C’est sa principale réussite. Je m’explique : beaucoup trop de DJs restent bloqués sur le logiciel Ableton Live qui donne très peu de richesse à l’expression live. Tu te contentes en général d’ouvrir et de fermer les pistes, contrôler quelques effets. En fait, il n’y a aucune prise de risques. Le seul étant que ton disque dur plante. Nous, on a déjà eu des problèmes en concert mais justement, on a surmonté ça sur scène, parce qu’on est un groupe. Les gens comprennent de plus en plus ce qu’est un concert : pas simplement des gens planqués derrière leur pomme.

jaumet holdenJames Holden & Etienne Jaumet en couv’ de Télérama Sortir, de juin 2014

Tu l’as connu comment ?

Il s’intéressait à ma musique et il est venu me voir en concert quelques fois. Il avait besoin de terminer un morceau [sur The Caterpillar’s Intervention / NDLR] et j’ai mis des saxos. Il les a tous gardés, d’ailleurs. C’est le morceau qu’on joue à la fin du concert en général. Comme ça a bien marché, il m’a demandé si je pouvais jouer sur d’autres morceaux, en live. C’est très naturel.

Vos démarches sont inversées en fait ? Il vient du DJing et se met au live. Toi, j’ai appris que tu faisais des DJ sets depuis quelques temps.

Lui, il fait ça depuis qu’il a 14 ans des Djs sets. Au bout d’un moment, il a envie de se confronter à des choses différentes. Moi je m’amuse bien à faire danser les gens. C’est pas si compliqué, du moins ce que j’en ai compris. Je ne joue que des morceaux en lesquels je crois. C’est le problème de nombreux DJs qui se préoccupent plus de leurs enchaînements que de leur musique. Comme je n’ai pas vraiment de gros talent de DJing, je me concentre uniquement sur ma musique.

La clé pour faire danser les gens, c’est le simple tempo 4/4 utilisé dans la pop, le rock, la techno… ?

Oui, ça marchera toujours et j’adore ça. Mais il y a d’autres choses à faire.


Zombie Zombie – La Danse Des Ombres (extrait de Loubia Hamra OST)

Tu as composé une BO avec Zombie Zombie, peux tu m’en dire davantage ?

On a composé pour le film Loubia Hamra de la réalisatrice Narimane Mari, qui devrait sortir en janvier 2015. C’est une production franco-algérienne. On a eu carte blanche pour la composition. Elle avait donné certaines indications, comme les moments où elle voulait mettre de la musique, suivant sa narration. Mais même avec ça, elle ajoutait des choses qu’on lui avait spontanément proposées. Il n’y a rien de mieux que de pouvoir travailler avec les images pré-montées. C’est une démarche rare, la majorité des réalisateurs se contentant d’ajouter des morceaux prééxistants sur leur BO. C’est un vrai travail de création.

De quel type de film parle-t-on ?

Un film très contemplatif. C’est l’histoire d’une bande d’enfants, pendant la Guerre d’Algérie, qui crèvent la dalle et qui décident d’aller voler de la bouffe aux soldats français, de nuit, déguisés. Ils sont complètement dans leur monde de plaisirs – même s’ils sont vraiment des misérables. Ça colle bien à notre univers, notre approche spontanée, pas enfantine mais innocente, au moins.

Vous avez prévu de le jouer en live ?

On a eu la chance de jouer la BO en direct sur le film, lors du festival FAME à la Gaîté Lyrique. Mais ça ne se refera probablement pas parce que c’est très difficile. Ça demande un calage parfait avec les images, une maîtrise, beaucoup d’entraînement.

Zombie-ZombieNeiman & Etienne Jaumet alias Zombie Zombie

J’ai vu que Zombie Zombie avait tout son week-end de booké, pendant Halloween. C’est tous les ans pareil ?

Ahah, oui, à chaque coup. On s’appelle Zombie Zombie, on en assume les conséquences. On a toujours beaucoup de propositions. Surtout à l’étranger où la fête est plus suivie. C’est sympa, les gens viennent déguisés.

On résume : BO de film, nouvel album, trois groupes, nouveau live, travail de la voix, tu gardes du temps pour toi ?

C’est super que les gens commencent à comprendre que j’aime bosser dans des projets variés. Je reçois de plus en plus de propositions, aussi bien dans les arts plastiques, l’éducatif – avec des enfants à qui j’expliquais le fonctionnement des synthés -, etc.

Il est possible de vivre de sa musique sans être une star ?

Oui, à condition de s’internationaliser. De faire une musique qui parle à d’autres pays. Il faut une ouverture sur l’extérieur. Après, si ton but c’est de draguer un maximum de nanas, forcément ça te limite à un style de musique et au format soirée. Personnellement, je prends mon plaisir à me confronter à des univers qui ne collent pas naturellement au mien. Ça m’enrichit plus qu’autre chose.

Et voici, en exclusivité, mesdames, messieurs, le remix d’Acid Arab (interview) de « Metallik Cages », extrait de ce dernier album.

Etienne Jaumet - Metallik Cages (Acid Arab remix)
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