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Leçon d’Artivisme #2 : La révolution est d’abord culturelle

« La créativité est par essence révolutionnaire » : tel est, résumé sous la plume de Raoul Vaneigem, le message des situationnistes. Le crédo est plus largement celui de tous ceux qui font de la culture le théâtre central des opérations de transformation de la société. Les objections à cette formule surgissent immédiatement et régulièrement.

L’idée d’une lutte politique qui prenne la forme d’une lutte culturelle, qui plus est expérimentale, provoque inexorablement de la méfiance : franchement, que changent vraiment à la situation des collectifs comme le Labofii, ou les Yes Men ? Dans quelle mesure Burning Man impacte-t-il la société capitaliste moderne ? Qui peut vraiment croire que danser peut changer le monde ?

Les raisons d’une telle circonspection, voire de cette incrédulité, sont nombreuses et légitimes. L’une d’entre elles, sans doute la plus importante, est que la gauche hérite d’une culture de la lutte construite sur les lieux du travail envisagés du seul point de vue économique.

Ainsi que l’explique Steve Kurtz, membre fondateur du collectif artiviste américain Critical Art Ensemble « . (…) La grande leçon de Debord, et des Yippies est l’idée selon laquelle la culture est une variable indépendante qui a des effets en tant que telle. Ils nous ont appris que la bataille culturelle est une bataille en soi et qu’aucune lutte politique ne peut aboutir si elle n’est pas accompagnée par la production d’une contre-culture, à la fois culture de la résistance et culture résistante. Le marxisme traditionnel porte l’idée que la lutte se fait sur le plan économique. « 

« Quant à la culture, il n’y aurait pas à s’en occuper, elle suivrait. C’est dans les années soixante, que se développe au contraire l’idée qu’il faut s’occuper de la culture, que cette dernière n’est pas juste une superstructure, bref que la bataille n’est pas qu’économique. « 

Non seulement « la bataille n’est pas qu’économique » mais, plus encore, les systèmes économiques sont une culture. Le capitalisme ou le communisme sont des cultures c’est-à-dire des systèmes de valeurs. Beaucoup des pratiques artivistes peuvent être comprises comme la mise en action concrète de certaines valeurs en manière de lutte : le collectif contre l’individualisme, la joie et le plaisir contre le sacrifice, la gratuité contre le tout marchand. C’est là que se situent leur sens profond et leur efficacité potentielle.

La question de l’issue de ces luttes est plus complexe : l’Histoire est bien imprévisible et qui peut décrire exactement l’impact de telle ou telle pratique culturelle (qui est toujours une pratique politique)? 1789 aurait-t-il eu lieu sans la prolifération des cabinets de lecture tout le long du 18ème siècle ? D’une certaine manière les Lumières étaient une contre-culture, minoritaire pendant longtemps. Après tout, personne ne conteste ce que 1968 doit au Rock and Roll et à la contre-culture.

Faire de la culture un front entraîne sur le chemin d’un réinvestissement de l’imagination et de la poésie pour faire gagner ses valeurs. Les autocollants du collectif Ne Pas Plier ont ainsi réussi ces dernières années une prouesse non négligeable : redorer le blason d’idées largement écornées par la pensée dominante contemporaine : grève, utopie, lutte des classe. L’image de milliers de gens portant fièrement « JE LUTTE DES CLASSES » est extraordinaire quand cela fait 20 ans que le mot CLASSE est considéré soit comme ringard, soit comme inadéquat pour décrire la situation politique. C’est un pas important dans la réactivation d’un certain type de conflit nécessaire à tout changement.

On pourrait revenir sur l’efficacité plus prosaïque des pratiques artivistes : leur capacité à remobiliser des générations d’abstentionnistes (c’est en adhérant à la brigade des clowns activistes ou en rejoignant les fêtes des Spaces Hijackers que de nombreux jeunes anglais et se sont politisés alors qu’ils n’auraient jamais mis le pied dans une réunion syndicale), leur efficacité tactique (la police a mis du temps à apprivoiser les tactiques non violentes des blocs roses et argentés, par exemple), mais le plus important réside sans doute dans leur usage de l’imagination comme ferment révolutionnaire, car ainsi que l’écrit Vaneigem : « Dans les laboratoires de la créativité individuelle, une alchimie révolutionnaire transmute en or les métaux les plus vils de la quotidienneté. Il s’agit avant tout de dissoudre la conscience des contraintes, c’est-à-dire le sentiment d’impuissance, dans l’exercice attractif de la créativité ».

Pour en savoir plus :

Conférences « Artiviste, que fais-tu? ». Tous les vendredi (jusqu’au 01er avril) à la Sorbonne

Présentation du livre « Artivisme : art, action politique et résistance culturelle »

Leçon 1 : La musique, révolutionnaire ?

Le site officiel de l’ouvrage

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