Premier volet de notre trilogie consacrée à l’artivisme par Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi, les auteurs du livre Artivisme : art, action politique et résistance culturelle. Et la première leçon se veut en lien direct avec Sourdoreille : la musique.
« Si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution », disait l’anarchiste Emma Goldman. A sa suite, des générations d’activistes vont puiser dans la fête, la musique et la danse les ferments d’une transformation radicale de la vie quotidienne. La musique, révolutionnaire ? Sans doute, répondent les artivistes…
Interrogé sur les fondements théoriques de ses activités, l’un des membres du collectif anti-consumériste anglais My Dads Strip Club répondait d’une boutade : « Je n’avais jamais entendu parler de Debord et des situationnistes. Ils jouent quoi comme musique ? »
Le bon mot est révélateur. Pour qui veut tracer la généalogie des formes contemporaines de résistance culturelle, les avant-gardes artistiques (Dada, futurisme, Fluxus…), les écrits de Debord ou De Certeau, les tentatives de révolutionner la vie quotidienne conduites dans les années 1960 par les Situationnistes, Provo ou les Yippies, s’offrent certes comme les racines les plus évidentes. Toutefois, cet héritage « savant » n’explique pas à lui seul la genèse de l’artivisme : l’origine de cet « art de faire » est aussi à chercher du côté des cultures populaires, au premier rang desquelles la musique.
En ouverture de Do it !, ouvrage phare de la contre-culture, le yippie Jerry Rubin voit ainsi dans le rock l’un des fondements de l’activisme culturel américain : « la Nouvelle gauche, écrit-il, est sortie du pelvis ondulant d’Elvis. » Dans l’Amérique proprette de la fin des années 1950, le déchaînement pulsionnel à l’œuvre dans la musique d’Elvis Presley s’offre comme l’alternative la plus féconde au modèle de réussite promu par Eisenhower. « La musique, écrit encore Rubin, libérait toutes les inhibitions. » Pour qui veut vivre la Révolution plutôt que de disserter sans fin sur les moyens de la rendre possible, elle fait advenir, ici et maintenant, un autre monde fait de plaisir et de joie.
Pour Greil Marcus, cet élan révolutionnaire est aussi au fondement du punk, autre source d’inspiration fondamentale pour l’artivisme : « Ce qui reste irréductible dans cette musique, écrit-il dans Lipstick traces, provient du désir de changer le monde (…). Ce désir commence avec le besoin urgent de vivre non pas comme objet mais comme sujet de l’histoire – de vivre comme si quelque chose dépendait réellement de notre propre action. »
Pour les punks, « changer le monde » commence en effet avec cette consigne simple : Do-it-yourself (littéralement « fais-le toi-même »). A la société des prothèses (de l’escalier mécanique qui vous transporte sans effort à la nourriture sous vide), il oppose l’autonomie et la créativité bricoleuse. Contre la technique, contre la spécialisation et le consumérisme, il dit : « Voici un accord, en voici un autre, formez votre groupe.»
Quinze ans plus tard, la volonté de se réapproprier les moyens de production et de « faire soi-même », le refus de dépendre du système et des loisirs aliénants qu’il propose, donnaient lieu à ces utopies en acte : les rave parties. Celles-ci offrent l’exemple le plus évident de ce qu’Hakim Bay entend par TAZ (zone d’autonomie temporaire), à savoir une insurrection provisoire et festive contre l’ordre régnant. Outre que leur interdiction a politisé toute une génération dont le mot d’ordre était « having fun », leur forme même a servi de modèle à nombre de mouvements contestataires anglais tels que Reclaim the streets. De fait, les rave ont révélé le potentiel insurrectionnel de la fête, et montré, comme le souligne Hakim Bey, que celle-ci n’était pas « une parodie de la lutte radicale, mais une nouvelle manifestation de celle-ci, en accord avec une époque qui offre la télé et les téléphones comme moyens de « tendre la main et de toucher » d’autres êtres humains, comme moyens d’être là. »
Pour en savoir plus :
Conférences « Artiviste, que fais-tu? ». Tous les vendredi (jusqu’au 01er avril) à la Sorbonne
Présentation du livre « Artivisme : art, action politique et résistance culturelle«
Manque juste les meilleurs comme Keny Arkana…Une selection d’artivist music ici : http://pear.ly/PA1b