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LA Priest sait qu’il ne sait rien

De ses débuts adolescents avec Late Of The Pier à sa métamorphose mystique aux côtés de Connan Mockasin sur le projet Soft Hair, en passant par un passionnant album solo en tant que LA Priest, cela fait quinze ans que Sam Eastgate nous enivre d’idées folles et psychédéliques. Alors qu’il s’apprête – enfin ! – à sortir son deuxième album Gene, nous avons pu établir le contact avec lui via son téléphone fixe pour décortiquer ce nouveau disque avec lui.

Il aura donc fallu quatre ans à LA Priest pour donner vie à ce deuxième album solo. De quoi attiser notre envie d’entendre enfin le successeur d’Inji paru en 2015 et qui n’a depuis jamais quitté nos playlists. Sorte de pop hallucinée reconnaissable entre mille, le son de LA Priest  séduisait surtout par une parfaite harmonie entre l’expérimental et le familier.

Sur Gene, il semble avoir choisi de pencher encore un peu plus vers l’expérimentation. De quoi menacer cet équilibre ? Et bien, pas vraiment. « J’ai beaucoup expérimenté au début des sessions d’enregistrement, j’en avais besoin. Mais vers la fin du processus je suis revenu à des chansons plus lumineuses. Parfois ça fait du bien d’enregistrer un morceau simple, qui tient simplement sur un riff de guitare et une voix. » 

Ces morceaux lumineux, bien qu’enregistrés en dernier, servent d’introduction à l’album. Plus proches de ce à quoi il nous avait habitué, ils nous plongent instantanément dans le bain coloré de LA Priest. Ce n’est d’ailleurs pas anodin que « What Moves », qui rappelle d’emblée ses morceaux « Lady’s In Trouble With The Law »  ou « Oino », ait été choisi comme premier extrait de l’album. Pourtant, même s’ils nous semblent familier, ces premiers titres nous tirent peu à peu vers des sonorités nouvelles. « Je voulais m’éloigner un peu de ce que j’avais fait par le passé. Pendant la tournée qui a suivi Inji je me suis rendu compte que mes meilleurs moyens d’expression étaient la guitare et la voix. J’avais envie que la guitare reprenne une place importante dans ma musique. Je l’avais un peu délaissée depuis Late Of The Pier, où elle était omniprésente. J’ai alors étudié toutes les possibilités qu’offre cet instrument. On peut absolument tout faire avec. »

Cette proéminence volontaire de la guitare s’illustre le mieux au centre du disque lorsque les pop songs laissent apparaître « Open My Eyes » et « Sudden Thing », belles ballades mélancoliques. Ces deux titres amorcent subtilement une transition vers des territoires plus sombres, qui terminera de s’opérer avec « Monochrome ». Véritable point de bascule vers l’inconnu, le morceau s’ouvre sur une pluie battante parsemée d’éclairs lointains bientôt surplombés d’un synthétiseur au son saturé si cher à Sam. À partir de là, l’album prend une tournure plus étrange et instinctive. « Les morceaux de cet album sont très proches des démos et des premiers enregistrements. Pour « Black Smoke » et « Ain’t no love affair », par exemple, j’ai gardé la première version quasiment intégralement. Je voulais capturer la spontanéité de mes premières sessions. C’est aussi pour ça que les morceaux paraissent plus aventureux. »

Après nous avoir d’abord tenu par la main le temps de quelques morceaux, LA Priest nous lâche donc peu à peu dans le grand bain. Il ne faut pas avoir peur de s’immerger dans Gene comme dans un océan inconnu, ceux qui tenteront de lutter contre le courant se noieront sûrement, mais il suffit de se laisser porter pour ne pas couler. Au milieu des nombreuses plages instrumentales où Eastgate divague librement, il n’oublie jamais de distiller par-ci par-là quelques mots pour ne jamais perdre le contact avec l’auditeur : « En quelque sorte on peut dire que je compose les instrumentaux pour me faire plaisir et je chante pour les autres. » Et cette voix, bien qu’omniprésente sur Gene, n’est pas une évidence pour lui. « Si ça ne tenait qu’à moi, je pense que je ne chanterais pas autant. Si tu écoutes bien, sur Inji je ne chantais pas tant que ça. Je n’aime pas tellement entendre ma propre voix, mais ma famille et mes amis m’ont encouragé à chanter, et ils avaient raison. » 

Enfin, pour accompagner sa voix et sa guitare, Sam a aussi construit sa propre boîte à rythmes. Elle donnera même son nom à l’album : Gene. « Quand je composais Inji, j’avais beaucoup de mal à trouver mon son. Je samplais des choses et j’utilisais des boîtes à rythmes classiques, mais ça ne me ressemblait pas assez. Je voulais quelque chose à la frontière entre une machine et une vraie batterie. Sur Gene, je peux tout modifier et régler le timing de chaque beat indépendamment des autres, ça rend la machine plus humaine. » Et lorsque, par conscience journalistique, on lui demande d’où vient le nom de Gene, il ne nous déçoit pas : « J’ai rêvé de [l’acteur et réalisateur] Gene Wilder, il était couché dans un lit d’hôpital, et ses bras avaient été amputés. Je l’aidais, et il me remerciait en me disant que je pouvais remplacer ses bras manquants. Quand je me suis réveillé, j’avais un morceau en tête, qui est devenu « Gene washes with new arms » sur Inji. Quelques temps plus tard, un ami m’a convaincu de construire ma propre boîte à rythmes et de l’appeler Gene parce que c’était son morceau préféré. Le Gene original est quelque part chez mes parents maintenant, mais depuis j’ai une dizaine de Gene : il y a Grandpa Gene, Micro Gene, Mini Gene, etc. Il y a toute une famille. » 

À l’écouter parler, et chanter, on décèle une vraie innocence, une sincérité qui se retrouvent dans la naïveté de ses productions. Sam est libre et sa musique aussi. « Je n’ai pas l’impression d’avoir appris grand chose en quinze ans. À chaque fois que je compose je me rend compte que je ne sais pas ce que je fais. Dès que je pense maîtriser mon sujet, quelque chose me saute à la figure pour me montrer que je me trompe. » Cette conscience presque socratique semble le forcer à toujours chercher plus loin que le bout de son nez. « Je n’arrive jamais à reproduire ce que j’ai fait par le passé. Je n’ai aucune formule, quand j’essaie de reproduire quelque chose qui avait marché, ça n’aboutit qu’à une pâle copie. Ça m’oblige à tenter des choses. »  

Désormais, impatient de voir ses morceaux s’enfuir de leur cage, Sam continue de travailler, d’explorer. « J’ai hâte que ces morceaux sortent, que le public se les approprie, y mette ses idées, ses interprétations, ses émotions. Je ne suis pas le seul à dire ça, mais une fois que les morceaux sont sortis ils appartiennent à tout le monde et plus seulement à celui qui les a composés. Donc une fois que les morceaux ne m’appartiennent plus, je peux passer à autre chose. Je commence à travailler sur des choses totalement différentes en ce moment. » On espère simplement ne pas attendre quatre autres années avant d’entendre la suite. 

Son album Gene sortira le 5 juin prochain sur Domino.

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glo 22.06.2020

Bel article !

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