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La musique électronique française ne lâchera pas

Depuis trop longtemps, les artistes et les labels qui font les musiques électroniques en France souffrent du peu de représentation à tous les niveaux : médiatique, économique, symbolique. Si l’on fait abstraction des quelques têtes d’affiche éblouissantes (qui même elles se prennent en pleine tronche la crise du Covid), on tombe sur une multitude de professionnel·les et musicien·nes complètement invisibles aux yeux des institutions, moqué·es par leurs banquiers, qui galèrent toujours à joindre les deux bouts. Face au mépris affiché publiquement par le gouvernement, les activistes se fédèrent. L’une des initiatives soulevant le plus d’espoir actuellement s’appelle Underscope et compte bien structurer la scène.

Ah que le monde est grand à la clarté des lampes ! Depuis que l’être humain a compris que son corps était plus léger de nuit, qu’il s’exprimait avec une honnêteté nouvelle, et que sa vue gagnait en précision ce qu’elle perdait en étendue, il danse. Il danse. Qu’il vienne de Jordanie ou de Pologne, de Bolivie ou du Rwanda, il danse. Différemment. Selon l’endroit et l’époque. Il ne danse pas comme ses parents ; ses enfants danseront autrement. Lorsqu’une danse naît, c’est une puissance de vie qui éclot. Mais à toute éclosion d’une puissance naît une contre-puissance: une puissance plus ancienne qui n’a plus la même grille de lecture. Cette contre-puissance peut essayer de comprendre et accompagner la nouvelle puissance. Ou la nier. Ainsi en est-il de chaque danse, de chaque musique, et des communautés qui les portent, parfois à bout de bras. Ainsi en est-il des traditions et cultures de nuit : elles connaissent souvent le courroux des décideurs du jour, anciennes puissances s’accrochant à leur rocher, les yeux fermés, les oreilles bouchées.

Où placer les musiques électroniques dans l’histoire des puissances écloses ? Cri du cœur devenu culture business ? C’est tout ? Mais attendez donc, cela voudrait aussi dire que, comme tout industrie, culturelle certes, mais industrie tout de même, il y a les privilégiés et les laissés pour compte. Que rien ne ruisselle réellement. Ainsi en est-il du secteur français des musiques électroniques qui dans son écrasante majorité crève en silence. Les dj et producteur·trices, abasourdi·e·s, observent leurs homologues du secteur, du marchand d’art au directeur d’abbaye royale, récupérer deniers en tous genres et capital symbolique.

Dans sa lettre à la ministre de la Culture, Laurent Garnier évoque ironiquement le fait que la musique électronique puisse appartenir au spectacle mort. Pourtant, s’interroge-t-il, « quand je suis sur scène, derrière des platines, tel un comédien, un musicien ou un danseur, j’ai l’impression de livrer, moi aussi, des prestations vivantes. » Ce qu’a l’air de nous signifier l’artiste français, c’est qu’il semble y avoir culture et Culture. Patrimoine et musiques électroniques. Pourtant, faute d’avoir été un tant soi peu bénéfique au bien être de la société ces dernières décennies, la social-démocratie a montré par le passé des signes d’intérêt pour l’atoll libre des fêtes techno – coucou Jack Lang. Mais nous sommes en 2020, et crise sanitaire rime avec coupes budgétaires, et on fait le tri entre essentiel et non essentiel. A l’heure où sont écrites ces lignes, le Sénat a refusé d’accorder au secteur des musiques électroniques un fonds de soutien de 20 millions d’euros proposé par Technopol et la Chambre syndicale des lieux Musicaux, Festifs et nocturnes (CSLMF). Pas si étonnant.

Mais si l’État continue de hiérarchiser les cultures, cela n’empêche pas la culture de s’organiser, se structurer, se serrer les coudes et même s’institutionnaliser, sans peur de perdre un iota de son ambition artistique, à la façon d’un Warp ou d’un XL Recordings. C’est le pari de Brice Coudert, passé programmateur de Concrete, Weather et Dehors Brut, ainsi que ses acolytes. En attaquant sur tous les fronts, entre édition, distribution et médiatisation des artistes et labels, ils ont bien l’intention de rendre à la scène électronique française tout ce qu’elle leur a apporté. On a échangé avec Brice sur ce chantier nommé Underscope qu’il mène furieusement, le nez creux, aidé d’institutionnels, et rassemblant des structures jusqu’ici trop isolées.

L’idée de base ? Jouer groupé. Fini l’isolement.

Suivez les aventures d’Underscope dès ce vendredi 20 novembre avec l’événement carte blanche au collectif LGBTQI+ Parkingstone.

Brice Coudert 20201107 Underscope, Gaîté Lyrique (c) Guillaume Blot

INTERVIEW : BRICE COUDERT

Si on grossit le trait, tu étais programmateur, te voici désormais dans une société mêlant distribution-édition-communication. Cette reconversion apparaît comme originale dans un secteur où beaucoup de programmateurs·trices semblent démuni·e·s face à la crise actuelle. Peux-tu raconter la genèse et les inspirations du projet ?

Concrete a été mon outil pendant 8 ans pour mettre en avant des artistes à travers mes line-ups mais j’ai toujours eu en tête de vouloir étendre mon champ d’action à la production musicale des artistes. Déjà en 2015, mon ami et bras droit Renaud Expressillon (décédé depuis), qui avait dans le passé géré toute la gestion du catalogue des Spiral Tribe, essayait de me faire comprendre avec insistance l’importance des éditions et du streaming (alors que j’étais encore à fond dans le vinyle à l’époque). C’est peu après son décès, et suite à une discussion avec Quentin Courel (Comic Sans / Les Chineurs) lors de laquelle nous essayions de chercher des solutions pour mieux mettre en avant la scène française, que je me suis lancé dans la conception du projet Underscope. J’ai ensuite présenté mon projet à David Bossan (qui gérait pour nous les éditions Concrete), et qui via sa société District6 gère les œuvres d’artistes comme Moby, Mind Against ou Kas:st. Il a tout de suite été séduit par le projet et m’a permis d’ajouter une offre vraiment solide sur la partie droits d’auteurs. Olivier Pellerin, connu pour ses études avec la Sacem et sur le streaming, m’a également pas mal conseillé pendant tout le process. De mon coté, j’ai réfléchi à ce projet en tant que consommateur de musique, mais également en tant que label manager de petit label. C’est pourquoi il a ces deux facettes : un côté média curateur à destination du public, et un autre, complètement imbriqué dans le premier, mais destiné à apporter un vrai service aux labels de musiques électroniques. J’aimerais placer en tout cas un grand hommage à Renaud, qui a définitivement été le détonateur de cette nouvelle aventure que je lui dédie! (RIP)

« Je viens d’un milieu banlieusard beaucoup plus hip hop, dans lequel personne n’a jamais cherché à essayer de rester en dehors du système. La tendance étant plutôt d’essayer d’y entrer par la porte de derrière », Brice Coudert

On entend souvent que le milieu de la musique électronique française n’est pas suffisamment coordonné ou intégré dans les réseaux institutionnels, en tout cas moins que ses homologues étrangers – ou que les autres styles musicaux. Peux-tu préciser ?

Je pense que notre musique a tellement été stigmatisée et peu prise au sérieux par les institutions, que cela a créé un rejet de la scène, qui a finit par définir le DIY comme la norme pour la musique underground. A l’origine je suis quelqu’un de totalement extérieur à la scène underground électronique. Je viens d’un milieu banlieusard beaucoup plus hip hop, dans lequel personne n’a jamais cherché à essayer de rester en dehors du système. La tendance étant plutôt d’essayer d’y entrer par la porte de derrière ! Ah ah ! Du coup, j’ai un regard un peu différent sur tout ça, et je pense qu’il ne faut pas s’empêcher d’aller chercher des moyens, quitte à ce que soit en s’institutionnalisant ou en bossant avec des multinationales. De toute façon, on paie déjà tous nos impôts et on a tous notre argent dans des banques… Je ne trouve pas logique de se mettre soi-même des bâtons dans les roues en s’interdisant de bosser avec la Sacem ou Spotify. Chose justement que les Anglais par exemple, ont toujours fait. Des labels comme XL Recordings ou Warp, on ne fait pas plus pro. Mais ça ne les empêche pas de toujours être très pertinents artistiquement. C’est ce vers quoi on veut tendre avec Underscope.

Dans un marché porté par le live, ton triptyque distribution-édition-médiatisation te semble-t-il un modèle viable qui pourrait pallier à l’absence de scène, ou est-il plutôt une réaction d’urgence visant la pure et simple survie de l’écosystème des musiques électroniques ?

On n’en est pas encore là, mais quoi qu’il en soit, si on arrive dans un premier temps à faire gagner un peu plus de visibilité et d’argent aux labels et artistes, ça sera déjà ça. Même si c’est que quelques centaines d’euros et quelques milliers de streams par mois, ça sera ça de gagné. Et je crois fermement que d’ici quelques années, notre projet se sera assez développé pour permettre à nos labels de bien mieux gagner leur vie. Ça prendra du temps, mais on fera en sorte de rétablir au maximum la balance des revenus events/production musicale.

A quel point la Sacem est-elle engagée dans le projet mené par Underscope ? Manque-t-il à votre activité la participation d’autres sociétés ou structures pour être plus forts ?

La Sacem a immédiatement compris la force du projet lorsque nous le lui avons présenté en janvier dernier, et nous a directement proposé de nous aider financièrement pour bien lancer la machine. Et je les remercie vraiment pour ça. Il est bon de voir que certaines institutions sont capables de capter l’intérêt culturel de notre scène. Tous les moyens que l’on nous donnera seront utilisés dans le développement de labels et artistes français. Notre système fonctionne déjà, mais il est clair qu’avec plus d’aides, on serait capable d’être encore plus efficace et surtout, encore plus rapidement. Malheureusement le profil de notre structure, plutôt nouveau, ne répond pas vraiment à la plupart des critères des principales aides publiques, car construit sur un modèle un peu trop contemporain. Mais si certaines personnes bien placées nous lisent : oui, on a besoin de moyens pour mieux faire rayonner la culture française et aider les artistes et labels à mieux gagner leur vie.

« Si demain on trouve une manière intelligente d’aller sur TikTok ou sur Fortnite comme Travis Scott, on ira » Brice Coudert

Toi qui viens de la musique live, quel est ton sentiment sur les événements streamés, et notamment ceux que tu organises à la Gaîté Lyrique ? Quelles sont les pistes pour garder l’humain et l’émotion au centre d’un projet numérique ?

L’idée est que quoi qu’il se passe il faut s’adapter pour continuer de fournir de la culture aux gens. On n’a pas le droit danser ? Faisons des événements assis. On a pas le droit de se réunir ? Faisons des événements en streaming. Et même si le côté social disparaît et que c’est vraiment chiant, il reste toujours un intérêt artistique. Et perso ça me fait très plaisir de me dire que je fais kiffer des gens confinés chez eux, en leur proposant des performances intéressantes, et qui vont les sortir un peu du Covid, de Trump et cie… J’ai la chance de bosser avec la Gaîté Lyrique, une des salles les plus incroyables techniquement en Europe. Ce qui nous permet de proposer des performances A/V en utilisant l’incroyable système d’écrans en 360° de la salle principale et bosser avec des équipes hyper compétentes. De Ouai Stephane à Simo Cell & Abdullah Miniawy, de Flore à tout l’event ParkingStone (qui se tiendra se vendredi 20 novembre – event), je trouve vraiment que la qualité des performances qu’on propose justifie que le public se pose un moment pour mater ça sur un écran, comme on regarderait un bon film.

Vous travaillez notamment sur le réseau social Twitch pour vos événements. Avez-vous déjà des retombées sur une audience plus élargie ou plus jeune que celle à laquelle vous étiez habitués (par rapport à Facebook notamment) ? Aussi, ces derniers mois ont apporté leur lot de nouvelles collaborations, notamment dans le monde du jeu vidéo. Explorez-vous d’autres pistes ?

Nous faisons des essais oui. La principale caractéristique d’Underscope, est que ce sera un projet mouvant qui s’adaptera à tous les nouveaux outils qui lui permettront de partager sa musique, et de manière la plus large possible. On étudie donc toutes les possibilités. Et si par exemple demain on trouve une manière intelligente d’aller sur TikTok ou sur Fortnite comme Travis Scott, on ira.

Il existe, et plus encore depuis le début de la crise, des syndicats des musiques actuelles, des réunions interministérielles ont lieu, des tribunes et lettres ouvertes sont écrites. Or, on a l’impression que face à la surdité des pouvoirs publics vis-à-vis de la culture (surtout de la nuit et de la musique électronique), dans un secteur qui détient pourtant les outils techniques de communication, peu d’actions de grande envergure sont réalisées pour alerter, ou dépassent le seul milieu professionnel. Peut-on déplorer un activisme en demi-teinte – qui pourrait pourtant compléter votre action ?

Je pense qu’idéalement, il aurait fallu qu’on soit déjà tous fédérés et organisés avant la crise Covid. Là il y a des tentatives, mais en vrai, ça arrive un peu trop tard je pense. Les messages auraient dû être passés de manière forte et collégiale dès le début de la crise. Mais j’espère vraiment que l’on sortira de tout ça un peu plus soudés et organisés. De notre côté Underscope a également vocation à fédérer artistes et labels, et donc pourquoi pas porter une voix commune s’il le faut dans le futur. Au bout de deux mois, nous sommes déjà une cinquantaine de labels, soit plusieurs centaines d’artistes. Avec un spectre géographique hyper large, de Rennes à Toulouse, en passant par Saint-Étienne ou Nice. Ça fait déjà un panel bien représentatif de la scène française avec des gens de tous horizons.

Suivez les aventures d’Underscope dès ce vendredi 20 novembre avec l’événement carte blanche au collectif LGBTQI+ Parkingstone.

Crédits photo en une : Flore et son vj WSK, Gaîté Lyrique (01/11/20) © Gaîté Lyrique

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