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La grande épopée de Mick Strauss

Avec bientôt trois décennies au compteur au sein du groupe Moriarty, le guitariste Arthur B. Gillette s’éclaircit désormais la voix pour chanter au devant de scène. Pour l’occasion, sous le pseudonyme Mick Strauss, il vire de bord, délire et chavire entre les grands lacs et les villes synthétiques, entre filets de voix à la Lou Reed et instrumentations à la Boy George. Sud, nord, acoustique, analogique, blues, no wave… A travers cette interview, plongez dans l’album au très équivoque nom Southern Wave.

Mais qui est cet animal chevelu, discret, au sourire en coin qui a traversé le monde, guitare à la main, plutôt calé sur un côté de la scène qu’au devant et qui gratte depuis 25 ans les mélodies qui chantent l’espoir et la défaite, le chagrin et la candeur ? Qui est-il ? Comment le nomme-t-on ? A force de voyager, le musicien français né de parents américains a collectionné autant de langages que de surnoms, qu’on lui a prêté ou qu’il a appris.

Quand, en 1995 lorsqu’il co-fonde le groupe Moriarty, aussi anachronique que, semble-t-il, venu d’ailleurs, il est ce jeune homme autodidacte qui exprime les petites musiques qui tournent dans sa tête en faisant défiler ses doigts qui s’étirent, vont et viennent le long du bois. Aux côtés de sa coéquipière Rosemary Standley, dont la voix a charmé et hanté plusieurs générations de gosses plus ou moins jeunes, il a dessiné les contours d’un idéal hobo, d’une virée beatnick, en fonçant tout droit, des déserts aux grandes plaines. A ses débuts, difficile pourtant de prévoir qu’Arthur composerait pour le théâtre, la radio et le cinéma, et même deviendrait Mick Strauss, chanteur-parleur, récupérateur de sons du réel, des hommes, des femmes, des villes et des lacs.

Quand son dernier alter-ego en date, Mick Strauss, entre dans sa vie, c’est pour mieux composer l’album Southern Wave, projet collectif, trio musical, grand-écart de plusieurs décennies, des 60’s aux 80’s, de blues, de rock et de synthétique, co-porté par ses acolytes Jennifer Hutt (violons et aux claviers) et aussi Vincent Taurelle (effets). Quand l’une pense nord, l’autre pense sud, l’une ramène l’Europe, l’autre rappelle les États-Unis, l’un voit chaud, l’autre joue froid. Et quand l’acoustique des violons tire son épingle du jeu, l’analogique des effets ramène sa fraise.

Une fois passé la première écoute de ce disque somptueux ou vous aurez fait huit fois la constatation que Mick Strauss a le même timbre de voix que Lou Reed, vous découvrirez une steppe qui s’étend sur plusieurs tableaux sonores. Vous serez happés par les bruits, voix, échos lointains ou machines chuchotantes, vous partirez à la découverte non pas d’un monde merveilleux mais fantasque où le déjà-vu côtoie la curiosité. Plus qu’un album composé en studio, il est une collection de rencontres, fugaces ou lentes, effectuées dans les zones d’aridité sociale, avec les populations amérindiennes et afro-américaines perdues dans les grands vides qui séparent les civilisations et qui couvrent une si grande partie des États-Unis, que le chanteur est revenu fouler.

Au-delà des rencontres avec les populations, familles et personnes isolées, professionnels de la culture et publics – ces rencontres qu’il affectionne tant – Mick Strauss témoigne aujourd’hui aussi de son amour pour les rencontre des différentes écritures, accents, techniques de composition et de langage. On se rend alors compte qu’on peut découvrir l’autre par son art, son écriture – parfois sans mots -, sa manière bien à lui, à elle, d’exprimer ses idées. Rencontre, donc, avec Arthur B. Gillette, aka Mick Strauss.

Arthur Bartlett Gillette

Arthur Bartlett Gillette – Mick Strauss © Léa Crespi

Comment la pratique de la musique est entrée dans ta vie ?

On m’a mis au conservatoire quand j’étais petit, cours de piano, je séchais les cours, et j’allais dans les magasins de jouets. J’ai toujours été rétif à l’enseignement. Je préfère apprendre par moi-même : j’écoutais des disques et j’essayais de reproduire. Mais je ne sais pas lire la musique et je suis même très mauvais pour lire des tablatures. Mon vrai apprentissage, ça remonte à mes 18, 19 ans : Thomas de Moriarty m’avait acheté une guitare pour que je l’accompagne à l’harmonica – qu’il est compliqué de jouer tout seul. Cette formation sur le tas m’a été bénéfique, parce que, depuis, je ne me sens pas impressionné par l’histoire de la musique. Je ne sens pas son poids au-dessus de moi.

Quelles sont les difficultés que tu as pu rencontrer, et à l’inverse les avantages que tu en as tirés ?

En France, beaucoup en chanson française, les chanteurs et chanteuses sont généralement d’excellent/es instrumentistes. Quand tu dois collaborer avec un quatuor à cordes et que tu lui demandes d’expliquer ta propre chanson, c’est un peu gênant. Il n’y a quasiment rien de pire que quelqu’un qui joue de la musique classique et qui essaie de s’encanailler, s’habiller en cuir et faire du rock. Et inversement, je me sens parfois imposteur par rapport à ces gens lettrés en musique. Quand tu rencontres des Moriba Koïta du Mali, ou des musiciens de Bollywood, tu te fais tout petit.

On t’a vu guitariste, chez Moriarty, ou encore bassiste et co-compositeur du collectif Astéréotypie. Te voilà chanteur dans un projet solo. Comment le chant s’est-il imposé à toi ?

Dans ma famille, depuis que je suis petit, tout est très musical : les chœurs à Noël, ce genre de trucs d’Américains. Après, moi, je fais de l’anti-chant. Je ne peux pas tenir des notes très longtemps. C’est plus de la harangue, du chanté-parlé, toute cette tradition dans le rock qui me va très bien. Faire des duos en rivalisant dans les notes, c’est pas pour moi. Quand on composait avec Moriarty, avec les autres garçons, on chantait toujours un peu les chœurs ou les mélodies avec Rosemary [Standley]. Parfois, on faisait le squelette de la chanson et on lui amenait. Quand tu travailles avec elle, tu te rends compte que le chemin, si tu veux vraiment chanter, est très, très distant. Son parcours est hybride, mais elle a fait le conservatoire donc elle aime bien fixer les choses. Forcément, je me faisais tout le temps engueuler.

Avec Southern Wave, tout est dans le titre. Tu développes un son du sud, qu’on pourrait penser à du blues, dans album de no wave, cold wave, post punk. Tu as voulu associer tes deux amours ?

Dans le disque, il y a des réverbes des années 60, d’autres plutôt 80, toutes très analogiques, qui contrebalancent, entre blues et no wave. On allait a contrario de mélodies plutôt soul ou blues – Southern – en y ajoutant des sons de basses, plus récentes – Wave. Le titre du disque devait être éponyme du style de musique qu’on essayait de faire. Comme beaucoup de musiciens, j’aime des choses très variées. J’ai dit au producteur qu’il fallait qu’on soit dans ces deux pôles à chaque titre. Dès qu’une chanson allait dans une direction, on la ramenait dans l’autre. En la ralentissant, en y mettant un son de boite à rythmes, certains effets de machines d’une certaine époque. Bon, c’est un fait, la voix et la façon de parler ressemblent à Lou Reed. Mais c’est pas vraiment volontaire. Et je n’écoutais pas spécialement, étant jeunes, mes parents non plus.

Est-ce que toutes ces inspirations forment une seule et même histoire culturelle et musicale ?

Mick Strauss, c’est un groupe. Il y a Jennifer Hutt, aux violons et aux claviers, qui est fan de musique synthétique, genre Boy Georges ; et aussi Vincent Taurelle, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur les effets, qui est le producteur du chanteur de rockabilly / blues Don Cavalli. Rien que les avoir tous les deux dans le groupe, ça te fait une palette de couleurs originale. Mick Strauss, c’est trouver des terrains communs à ces musiciens.

Dans ce disque, tu ajoutes des enregistrements, qu’on appelle communément field recording : sons de nature, urbains, paroles échangées au gré des rencontres. Peux-tu me parler un peu de ce travail d’enrichissement du son que tu as mené ?

J’ai toujours enregistré sur la route avec Moriarty, mais c’était embryonnaire. Et puis, à force d’aller à Radio France, j’y ai rencontré des gens, et j’ai proposé des créations de docus radiophoniques. J’y suis rentré en tant que pigiste et j’y ai vachement appris : quand tu travailles là-bas, on t’assigne une équipe – d’anciens et d’anciennes – pour des raisons d’histoire syndicale, et de niveau d’exigence largement justifié. En 2019, grâce à l’Institut Français, je suis allé enregistrer pendant quatre mois aux États-Unis. J’ai traversé le pays, du Minnesota jusqu’au Nouveau-Mexique, à la Nouvelle-Orléans. Le climat était assez rude, des États-Unis glauques, avec des gens fermés d’accès. J’ai finalement enregistré des gens qui le voulaient bien, qui n’avaient pas grand chose à perdre : des Amérindiens, des Afro-américains, les lieux qu’ils habitent, des réserves indiennes, au bord du Lac Supérieur, des petites villes du Missouri… Bref, des localités où, en général, tu ne t’arrêtes pas. Ce que j’aime aux États-Unis, c’est la variété des accents : j’ai voulu mettre l’auditeur·ice dans une situation où tu es perdu, mettre en avant l’errance. J’y ai retenu des choses très belles, qui apparaissent dans le disque. Je leur dédie un peu cet album. Ces gens sont des sages du quotidien, ils ont une sagesse populaire.

Mick Strauss et Arthur B. Gillette sont-ils des personnages différents ?

J’ai toujours eu des surnoms, en voyageant c’est souvent le cas. Mick peut plus se permettre de choses qu’Arthur. Sur scène, il pourra rentrer en transe. Il aura le droit. Lou Reed, David Bowie, Bob Dylan, Neil Young, ce sont des noms inventés… Dans l’histoire de la musique, rien de nouveau, mais ça permet de se situer ailleurs, et de séparer le quotidien d’un monde plus onirique.

Tu as fait des détours dans la composition musicale pour le cinéma (Gabriel et la Montagne Cannes ou plus récemment Los Conductos) et le théâtre (Remi, Les Bonimenteurs avec Jonathan Capdevielle). Qu’est-ce que ces expériences particulières t’ont apporté de singulier ?

J’adore rencontrer des écritures différentes : le théâtre, le cinéma… Travailler au service de quelque chose, de quelqu’un : le monteur, le réalisateur, le preneur de son, les scénaristes, les comédiens, les techniciens, les publics. J’aime bien faire partie de cette grande chaîne. Pour moi, c’est essentiel de rencontrer d’autres façons de faire de l’art. La subjectivité des gens est fascinante, comment chaque personne aborde le monde d’une façon différente.

L’album Southern Wave de Mick Strauss est sorti le 18 juin 2021 sur Air Rytmo, le label monté par les membres de Moriarty.

Photo en une : Arthur Bartlett Gillette – Mick Strauss © Léa Crespi

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