Si vous cherchiez de nouvelles preuves de la mort du rock et son incapacité à affoler la jeunesse, laissez-vous aller à quelques minutes de vagabondage sur les réseaux sociaux des principaux rappeurs français et US du moment. Vous y découvrirez de quoi remplir de nombreux hôpitaux psychiatriques et réaliser cinq ou six suites du « Vol au-dessus d’un nid de coucou ». Le pire dans cette histoire étant peut-être que le rôle de la sadique infirmière en chef est ici joué par les rappeurs eux-mêmes.
Tout a commencé avec Future, qui laissait présager une année tourmentée. En février dernier, le rappeur d’Atlanta lâchait un album éponyme. Six jours plus tard, alors que certains n’avaient probablement pas encore fini de l’écouter, l’artiste annonçait un second album HNDRXX qui devait paraître le lendemain. Quand certains artistes mettent aussi longtemps que Guns N’ Roses à produire un album, lui se payait le luxe d’en sortir deux à une semaine d’intervalle. Au final, même si les albums du rappeur se répondent très bien entre eux, comme les deux faces d’une même pièce, il n’empêche qu’une poignée seulement restera dans les anales.
Cette technique de surprendre une nouvelle fois l’auditeur de rap a su poser sa marque. Dorénavant chaque communauté cherche avidement des indices laissant place à un double album chez son rappeur favori. Pour cela, laissez-nous vous conter l’histoire de la sortie de deux albums de rap bien distincts mais aux conséquences similaires : DAMN de Kendrick Lamar et Ipséité de Damso.
Kendrick, le messie (trop) attendu
Après l’excellent To Pimp a Butterfly et l’élection de Donald Trump, on attendait que le rappeur de Compton nous livre un album engagé et violent envers la société américaine. Lui qui est depuis quelques années vu comme l’un des visages de la lutte afro-américaine a produit un album tout autre avec des lyrics basés sur des thèmes spirituels et une recherche d’identité. Que chacun le prenne comme acquis : on ne trouve jamais Kendrick là où on le cherche.
Revenons au sujet, on le sait depuis good kid, m.A.A.d city, Kendrick Lamar est un homme qui travaille ses albums sur la durée. Chacune de ses productions à une place propre dans l’immense univers qu’il a construit en une dizaine d’années. Dans la majorité de ses albums, il y cache divers messages codés. DAMN ne fait pas motif d’exception, en premier lieu les titres « FEAR. » et « DUCKWORTH. » possèdent plusieurs phases qui doivent être écoutées… à l’envers pour en comprendre le sens. L’autre exemple est la folle histoire que cache l’outro de l’album qui était gardée bien au chaud depuis plusieurs années par le rappeur de Compton. Kendrick cultive son mystère. Et les fans s’arrachent les cheveux dans une e-chasse au trésor sans fin.
Au cours des premières interviews qu’il a livrées à la presse au cours de ce mois, Kendrick est allé jusqu’à avouer que certains titres avaient été écrits avant son précédent album et qu’il possédait encore de nombreux titres en stock. S’en est suivi ce mystérieux tweet de Sounwave, le producteur du label de Kendrick :
But what if I told you… that’s not the official version..
— Sounwave (@SounwaveTDE) 14 avril 2017
Avec si peu d’éléments, le public est parti dans les plus folles théories voyant déjà apparaître un nouvel album, dans la continuité de ce qu’avait proposé Future dont on vous parlait plus haut. Un album qui formerait une nouvelle étape suite aux questionnements qu’à laissé cette nouvelle version de « Kung Fu Kenny », surnom répété plusieurs fois dans DAMN. Si les fans portent autant de convictions dans cet utopique album, ce n’est pas uniquement parce que ce sont de dangereux psychopathes, mais surtout parce qu’ils souhaitent que ce nouvel album contienne toutes les promesses que le précédent n’a pas apportées : un album viscéral qui ne prend pas aux tripes comme DAMN mais qui prendrait au cœur. Celui d’un album engagé, contre une société américaine qui s’est profondément modifiée depuis les votes de l’année passée.
Pendant ce temps là en Belgique
En moins d’un an, Damso est passé avec Batterie Faible d’un projet dont on n’attendait rien – mais qui en a surpris plus d’un – à l’un des albums les plus attendus de l’année, Ipséité. Ce nouvel album qui sort ce vendredi 28 avril 2017, montre une nouvelle fois la puissance de la scène venue du plat pays. Un album avec des productions toutes aussi folles les unes que les autres et des punchlines à la pelle, sur lequel on devra prendre un peu de recul pour en saisir toutes les plus fines subtilités.
Si l’album sort techniquement ce vendredi, la promesse d’un double album sonne déjà dans la tête de nombreux fans. En effet, Ipséité a fuité en début de semaine, suite à une erreur de la FNAC et – comme on pouvait s’y attendre – la majorité des fans connaissait déjà la moitié des productions et des lyrics par cœur.
Là-dessus, quelques indices ont laissé supposer que Damso préparait deux albums dans un laps de temps très court. Premièrement dans le titre Une âme pour deux en outro d’Ipséité, le rappeur nage entre le monde réel et le monde onirique. Le titre se termine alors par une voix d’un médecin qui essaie de le ramener à la réalité en lui prescrivant la « mixtape 4 de Damso » dont il révèle ainsi l’existence. Si on ne sait pas alors à quoi s’attendre, le rappeur semble prendre un malin plaisir à jouer avec les nerfs de son public. Pour preuve, à propos du leak de son album, il a indiqué sur son compte Instagram : « J’vais écrire un troisième qui va sortir le même jour, ils vont voir flou ».
Ainsi, il n’en fallait pas plus pour que la sphère web s’enflamme et y voit de nouveau signes de leur sauveur. Le dernier indice improbable qu’ont trouvé les fans à se mettre sous la dent concerne l’alphabet grec présent sur la tracklist de l’album. Seules les quatorze premières lettres y sont présentes, il en manquerait donc dix, comme le fait remarquer ce fan bien taré sur la page Facebook de Damso : « Ça sent tellement le double album avec la fin de l’alphabet grec… Ce leak est particulièrement suspect ! » Si la théorie tient debout, le web a quant à lui déjà vu la vérité.
Inception
L’idée a désormais germé dans votre esprit. Ces « autres albums » existent-ils ou non ? On l’apprendra dans les prochaines semaines, à la fin de cette fantasque chasse aux trésors qu’ont engendré nos deux rappeurs au terme d’une campagne marketing qui, sans en avoir l’air, a été gérée au millimètre près. Ainsi les milieux du rap français et US montrent une nouvelle fois leur créativité mise au service de l’internement de leurs fans qui en attendent toujours plus. Au point de peut-être transformer deux possibles futurs classiques en « albums Kleenex » qui connaîtraient le même destin que ceux entreposés sur votre table de chevet.
En conclusion, 140 caractères valent mieux que 1000 mots alors :
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