« Monde de merde », dirait son homonyme doublé par des clowns français, à la lecture de ce portrait enfumé de Jonwayne. Personnage timide et poète beatnik, le MC a fini de boucler sa nouvelle catharsis qu’on appelle communément un album en musique. Cette fois, l’alcool y est pour beaucoup, et si peu en même temps. Ces quelques mots se veulent aussi comme une ode aux périodes de vie merdiques.
C’est une histoire classique. Jonwayne a commencé à écrire de la poésie pour impressionner une nana, comme Lemmy a récupéré sa première guitare pour attirer ses comparses féminines. La différence, c’est que le défunt leader de Motörhead avait la gouaille et la gueule qui suivait. Jonwayne n’est pas le type le plus reluisant de Californie mais pourtant le rappeur le plus introspectif de la côte. Comme une bonne sœur devant une crêpe après dix jours de disette le jour de la Chandeleur, le jeune de 17 ans se jette chaque matin, le collier de barbe en avant, dans des lettres en écriture automatique. L’ado découvre dans le rap des âmes à qui parler et confier ses timidités.
Qu’on ne s’y trompe pas, le geek un peu grassouillet possède l’œil vivace de celui qui connaît sa place dans ce monde. Faire carrière, il n’y pense même pas malgré les bons effets que font ses pamphlets. Son ultra-réalisme pioché dans les textes de Charles Bukowski et ses névroses feront le reste. Des dizaines de productions, une tapée de mixtapes, des sorties chez le Brainfeeder de Flying Lotus, le Stones Throw de Peanut Butter Wolf, des cassettes et des vinyles, Jonwayne aurait tout l’air d’un rappeur-producteur compulsif typique en quête de flux et de vues. Mais même pas.
Après Rap Album One, premier long format ambitieux chez Stones Throw, et une tournée dionysiaque, silence radio. En fait, la gueule de bois est sévère, Jon n’a aucune volonté pour stopper son addiction au cognac et aux liqueurs, ses anxiolytiques, qu’il appelle ses meilleurs amis. Au beau milieu d’une nuit, il se réveille sur le lit de sa chambre d’hôtel couvert de vomi. Il pleure. Le sentiment de solitude n’est plus son allié, il le traque, le culpabilise. Le pire lorsque l’être humain vit cette expérience de vide abyssal, c’est qu’elle vide de sens toute expérience passée. Les amis ? Bons à engrainer, à essorer la sève créatrice, à pousser dans les orties pour se marrer. Le lendemain, ou le surlendemain, il décide de dire stop à tout ça.
S’ensuivent de longs mois d’angoisse secourus par sa famille et un retour en force de sa musique. Si l’alcool n’a pas eu le temps d’avoir raison de ses organes, il a touché ses nerfs. Parce que c’est tout simplement ce qu’il sait faire de mieux, Jonwayne a repris l’enregistrement en changeant un peu la méthode, c’est-à-dire globalement de ne pas attendre d’être bourré pour pouvoir trouver l’inspiration et de chercher d’autres sources méditatives.
Peint comme ça, on pourrait y voir un portrait manichéen quasi religieux bon pour un biopic hollywoodien sur Ray Charles ou Johnny Cash (vie de légende = partir de rien + consécration + descente aux enfers + retour en état de grâce + anthologie best-of pour enrichir les majors). Dégrossissons le trait : Jonwayne a toujours eu un talent créatif hors normes et cette nouvelle façon de bosser lui permettra juste, s’il s’y tient dans la mesure du possible, de vivre au-delà de ses 40 piges, ce qui est tout à fait honorable. Honorable parce que, égoïstement, on a envie de l’écouter pendant des années encore, mais aussi parce qu’il démontre à la fois à quel point il est dur de vivre sur Terre et dur de changer ses habitudes desctructrices. Niveau message, ça annule toutes les conneries de no future avancées partout. Ce type est un appel à la vie créatrice.
Bref, avec tout ça, on ne parle pas beaucoup de musique. En même temps, Jon n’a partagé que le premier single de son second album Rap Album Two. C’était il y a deux semaines, ce qui fait de nous d’horribles rédacteurs à #older sans concession. Coup de bol, « Out of sight » (hors d’atteinte/de vue) raconte une partie des déblatérations pré-citées. Lors de sa rehabilitation, il a aussi fait le tri de ses amis quand ce ne sont pas ses amis eux-mêmes qui s’en sont chargés. On atteint un niveau de solitude assez balèze et on le soupçonne pas mal d’avoir fait ça pour qu’on la ressente et qu’on soit parfaitement concentré pour l’écouter. Les paroles sont à lire sur Rap Genius et vous aurez tort de vous en passer si vous aimez autant que nous les textes bruts d’un type trop normal, un peu perdu, qui a trouvé son GPS à lui au beau milieu de la jungle. On ne s’attardera pas sur la production absolument discrète et raffinée, qui mêle vieilles recettes et idées bienvenues, et qui a fait, depuis le début, au-delà de son talent d’auteur, le rappeur populaire qu’il est aujourd’hui. Bah oui, vous savez bien qu’on n’avait rien compris la première fois qu’on l’a entendu.
Ah et pour finir, oui, Jon Wayne, c’est son vrai nom.
0 commentaire