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Jennifer Cardini : « Eh, je suis pas Mère Teresa »

Rares sont les artistes interviewés pour la troisième fois sur Sourdoreille. Or si l’on se permet de déranger une nouvelle fois Jennifer Cardini, c’est parce qu’entre ses 20 ans de carrière, ses deux labels, ses lives et sets à travers le monde, elle avait encore bien des choses à nous raconter.

Le festival est un lieu d’apprentissage. Si pour certains, cette phrase résonne surtout comme le fait d’apprendre les limites de son organisme, sans douche, dans une tente montée le plus rapidement possible entre deux bières qui suivront un nombre important d’autres ; pour une majorité d’autres, il résonne comme le fait d’en apprendre des nombreuses rencontres.

Cette 21e édition de Panoramas n’a pas dérogé à la règle, avec sa programmation et ses histoires. Depuis 2010, Morlaix est un lieu de pèlerinage pour Sourdoreille. Un lieu qui sonne le coup de départ d’une saison de festivals, un lieu où l’on est introduit aux sonorités qui rythmeront notre été. Par chance, chaque année, on est surpris. Et cette fois-là, ça a été par le set de Jennifer Cardini. Situé sur la scène cachée, il fallait quelque peu chercher notre artiste, promesse longuement attendue.

Et puis quand on a la chance de discuter avec elle, on en profite.

Jennifer-Cardini-4-LQ-by-Nadine-Fraczkowski

INTERVIEW

Ça fait 7 ans que tu gères ton label Correspondant, tu as donné la chance à beaucoup d’artistes et de groupes de sortir des premiers titres ou un premier album, est-ce que c’est ton moyen, à toi, pour jamais être aigrie ?

Je sais pas si c’est con ou naïf, mais je suis là depuis longtemps, donc ça me fait plaisir. Ça me fait plaisir quand je sors le disque de quelqu’un, que c’est son premier disque et que, par exemple, on va jouer à Fabric (club mythique de Londres, ndlr). C’est arrivé par exemple avec Man Power : on a sorti son premier album et je lui ai dit : « Tu vas jouer à Fabric ». Si tu avais vu sa tête… Il était comme un fou, c’était génial. Juste pour ça, ça me fait kiffer. Après si on est honnête, le label, il me sert aussi, ça m’a permis de faire une espèce de retour. C’est pas totalement désintéressé non plus, hein. Eh je suis pas Mère Theresa. Mais ce label m’a créé beaucoup de moments très précieux.

Comment choisis-tu qu’un artiste est bon pour être signé chez Correspondant ?

J’écoute les démos. Après ça dépend de la description… Quand le mec me fait un mail de 30.000 signes où il m’explique quel synthé et quel preset il a utilisé, je n’écoute pas. Déjà j’ai lu le mail (rires). J’en reçois beaucoup donc certes j’en rate. Man Power, je ne le connaissais pas avant. On a commencé une relation amicale et de travail en même temps.

Comment ces artistes – que tu as signés sur ton label et que tu joues en set – ont modifié ta façon de composer et de jouer ?

Alors moi, je suis très lente et puis surtout je ne me considère pas comme productrice. Je fais un disque tous les 10 ans et une collaboration tous les cinq ans. Je ne passe pas mon temps en studio, mais j’ai un studio. Cependant récemment, j’ai refait des trucs et c’est vrai que je suis plus à l’aise. Pour l’album de Man Power, je lui ai conseillé de raccourcir certains moments. Ce travail m’a libéré.

Justement, comment tu te positionnes face à tes artistes, en tant que productrice, directrice artistique, etc ?

Moi je donne des conseils et ils en font ce qu’ils veulent. C’est leur morceau. Quand on m’envoie une démo, les trois quarts du temps, j’aime déjà le morceau tel qu’il est. Des fois on discute, mais c’est libre. S’il veut garder son morceau comme ça, qu’il y a trois morceaux et que les deux autres j’ai envie de les sortir, on sortira l’EP comme ça. Je ne m’implique pas dans le procédé créatif, je ne m’embarque pas là dedans. Je donne juste mon avis en tant que dj.

Ta collaboration avec Michael Mayer, ou avec Kompakt en règle générale, t’a-t-elle inspiré pour ton label ?

On se connaît depuis très longtemps, je suis la marraine de son fils. C’est une relation amicale et familiale. On a beaucoup joué, voyagé et bu de vin ensemble (rires). C’est clair qu’à l’époque, connaître Kompakt de l’intérieur, avoir la possibilité de discuter avec lui, obtenir des conseils et surtout avoir son support, c’était pas rien. Car quand je l’ai appelé et que je lui ai dit « je veux monter un label« , il ne m’a pas dit « attends, faut qu’on discute », simplement « ok ». Donc j’ai appris beaucoup de choses avec eux.

On parle souvent d’un son UK, d’un son allemand. Est-ce que tu vois encore des différences entre les scènes parisienne, londonienne ou berlinoise ? Et puis globalement, as-tu l’impression d’une uniformité dans les line-ups house et techno ?

Ça va un peu mieux, depuis deux ans. Mais il y a quand même eu cinq ans avec une certaine uniformité, c’est-à-dire, le Top 30 de Resident Advisor. Maintenant ils sont dans la merde, vu qu’il y a plus de Top RA. Maintenant y a plein de festivals qui posent des questions à leurs publics « Qui aimeriez-vous voir jouer ? ». Je trouve ça hallucinant qu’il n’y ait ni idées ni prises de risques. C’est pas le cas de tout le monde, y a des festivals qui prennent des risques.

Sur Correspondant, c’est toujours de la musique électronique, mais il y a quelque chose d’assez organique, très instrumental…

…C’est parce que c’est le bordel (rires).

.. Est-ce pour cela que tu as créé ton autre label, Dischi Automno ? Pour pouvoir sortir des choses qui n’étaient pas possible sur Correspondant.

Alors, oui. Mais c’est surtout Dollkraut, il m’a filé la démo de son album et c’était tellement bien. On avait déjà tellement de sorties prévues avec Correspondant qu’il aurait fallu le squeezer quelque part et cet album, c’est pas un truc que tu caches. Je le trouve vraiment très beau. Ça m’a fait prendre conscience qu’avec le rythme qu’on avait sur Correspondant, ça serait difficile de refaire des albums, parce qu’on s’est vraiment engagés… jusqu’à 2019 quasiment. Il fallait un label avec un peu plus d’espace. On a donc sorti l’album de Dollkraut, puis The Magic Ray. Mais après c’est quand même connecté à mon activité de dj : en ce moment je joue plus d’electro, des trucs comme Hinode et tout cela, et je voulais un peu séparer les trucs plus house, plus down-tempo, bref que Correspondant devienne un peu plus dancefloor.

Aujourd’hui (l’interview a été réalisé le 21 Avril), c’est le Disquaire Day. Pour toi et ton label, sortir des vinyles en 2018, c’est faire de la résistance ?

Non. Après nous on sort 300, on les vend et puis voilà. Après je pense pas que ce qu’on sort sur Correspondant, ça soit vraiment « targeté » pour les gens qui achètent du vinyl. Mais après, non, je ne pense pas que ça soit pour faire de la résistance. Tu vois on a tellement dit que le vinyl allait disparaître… De toute façon, ça ne peut pas disparaître car c’est un cauchemar écologique (rires).

Sur Correspondant, tu es sur un rythme d’un disque par mois. Vous avez travaillé avec Nadine Fraczkowski pour les pochettes des ces vinyles, qui apporte un vrai travail de l’image. Qu’est ce que ça amène au vinyl en tant qu’objet pour toi ?

Bon déjà, moi je suis très fan de photographie. Je voulais donc donner la cover du label à un artiste en résidence. Pendant un an, ça a été Nadine, maintenant c’est Ramona Deckers qui fait un travail plus intime et on va continuer comme ça, sans limite du format. Ça peut être de la peinture, du collage, de la photographie. Peut-être faire des bouquins ou de petites expositions à un moment. En tant qu’objet, je trouve ça très beau. La pochette devient un passe-partout.

Photos : Nadine Fraczkowski

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