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Jane Birkin : « Hier me semble bourré de petits bonheurs pour lesquels je suis déjà nostalgique »

Que peut-on dire de Jane Birkin, qui n’ait jamais été dit ? Qu’y a-t-il encore à apprendre sur la chanteuse, l’actrice, l’icône, la muse ? Rien, peut-être. Ou alors tout. Son actualité, c’est la sortie le 11 décembre d’un album réalisé par Etienne Daho, le premier composé de titres originaux depuis « Enfants d’hiver » en 2008. C’est bon de la retrouver, on n’osait plus trop y croire, on craignait qu’elle ne veuille plus, ne puisse plus, trop de douleur, trop de noirceur. Sous le regard bienveillant de son ami fidèle, elle a retrouvé l’envie et la joie de créer. De cet « accouchement » comme elle l’appelle, mais aussi de son âme nostalgique et de son chemin vers l’émancipation, on a parlé avec elle. C’était un jeudi.

Une interview de Jane Birkin, c’est d’abord un gros shoot d’émotion. Elle est de celles dont on sait qu’elles existent en vrai, qu’elles vont au supermarché comme nous, qu’elles ont des jours avec et des jours sans, que parfois elles sont moins belles. Mais quand même, on a dû se pincer pour y croire. Tant de moments vécus avec Jane, grâce à Jane, à travers Jane. Si son accent, ses rôles aux côtés de Pierre Richard, son chien toujours dans ses pattes et ses anecdotes hilarantes ont fait d’elles notre copine, sa voix bouleversante et ses rôles chez Doillon, Varda et Chereau l’ont élevée au rang d’intouchable, de sublime, de facilement imitable mais jamais égalable.

Aux manettes de son nouvel album, Oh pardon, tu dormais ?, il y a donc Etienne Daho, accompagné de Jean-Louis Piérot. Du propre aveu de Jane, le disque n’existerait pas sans lui : « moi, j’aurais rien foutu ». Depuis des années, il la poussait à adapter en chanson le texte de la pièce éponyme qu’elle a écrite il y a plus de 20 ans. Puis d’autres thèmes, personnels, intimes, sont venus s’incruster assez naturellement dans le projet. Si Jane a écrit tous les textes, Daho l’a aidée à les modeler, parfois carrément les débloquer. Pour un pareil travail, il fallait une entente comme la leur, il fallait de la confiance. Ces deux-là se connaissent depuis longtemps, Etienne a travaillé avec Lou Doillon et Charlotte Gainsbourg, deux des filles de Jane, et non seulement ne les a pas trahies mais les a sublimées et aidées à se trouver, voire se retrouver.

Alors Jane pouvait le laisser entrer. Il n’allait pas la brusquer, il allait trouver les mots et les gestes pour qu’elle avance, en douceur, sans à-coup. « C’était très agréable, quelqu’un d’aussi soucieux de si ça vous plaît, si ça va dans le bon sens, si ça vous choque, qui veut vous mettre en lumière.  Si Etienne ne m’avait pas aidée, j’aurais même pas eu l’idée que j’étais intéressante à cette époque ou que j’avais quelque chose à dire. Le travail ensemble était très court et absolument « exhilirant ». »

Le manque de sa fille aînée Kate (disparue en 2013), les choses qu’on laisse derrière soi, les fantômes, les souvenirs, la jalousie, Jane en est pleine et s’en décharge, un peu, dans ses nouvelles chansons.

Déchirante, désarmante comme elle a toujours su l’être, chaque fois qu’elle a chanté la cruauté de l’après et la nostalgie de l’avant. Comme lorsqu’elle a sublimé, dans l’album Baby alone in Babylone, l’inspiration post-rupture de Gainsbourg. Comme lorsqu’elle a continué, inlassablement, d’honorer leur histoire, puis sa mémoire, lui donnant un nouveau souffle, ici oriental, là symphonique.

Le chagrin comme source d’inspiration, le manque en moteur romanesque, le bonheur un peu plus barbant, que faire quand l’amour est mort, comment vivre quand une autre vie s’arrête, rien de nouveau, rien que de très banal au fond. « Quand on est dévasté et qu’on sait mettre ça dans une forme aussi exquise que « Les dessous chics » par exemple, un minimum de mots avec le maximum d’émotions, comme un poète, c’est une perfection sur la douleur. Je suis aussi attirée par ça, par la musique de Gustav Mahler, des symphonies mélancoliques plutôt que des trucs gais, je remarque que beaucoup de gens sont pareils. C’est un déclencheur poétique. J’aime les maisons d’avant, je regrette les personnes d’avant, hier me semble bourré de petits bonheurs pour lesquels je suis déjà nostalgique. Mon enfance, j’en ai fait un pays miraculeux, un endroit où tu peux pas retourner pour vérifier donc c’est un lieu sacré. Mon frère m’a montré des photos où on s’emmerde à Noël dans nos robes du dimanche, mais on a la mémoire sélective. »

La légende dit que c’est thérapeutique, qu’en disant, en chantant, en écrivant, on va mieux. C’est vrai, ça, Jane ? « Avec Kate, rien n’a aidé. Mais par exemple, avec l’album Symphonique, et déjà Arabesque, je pensais que je pouvais pas faire mieux pour Serge, et ça en soi c’était une « exhiliration », l’orchestration était tellement somptueuse que ça me laissait toute la place pour la voix, comme un instrument, mon solo à moi. Les gens ont compris les mots mieux qu’avant, il me semble que je les ai chantés encore mieux. Une chanson comme « Une chose entre autres », qui est un vrai couteau de blessure, c’était un plaisir de la chanter et que ça émeuve les gens. Les blessures, les ruptures, les gens adhèrent à ça et ils peuvent dire « moi aussi ». Et aussi, il y avait une fierté de les avoir inspirées, je me suis rendue compte que c’était un honneur d’avoir été là à la création de ces chansons et d’avoir plu à Serge sur le moment, de n’avoir pas chanté trop tard, il était là pour les enregistrements, il était là pour le Bataclan, il a pu voir que je les ai bien faites, ça l’a ému. Ça devient une création au lieu d’être juste un sentiment. »

Ça, on peut dire qu’elle en a inspiré, Jane. Des chansons, des films, même un sac. Serge Gainsbourg bien sûr, Jacques Doillon, Patrice Chereau, mais aussi Miossec, Dominique A, Alain Souchon…. Mais l’écriture a toujours été sa compagne. Dès l’âge de 12 ans, elle a tenu un journal intime, qui finira par être publié, en 2 tomes, Munkey Diaries en 2018, puis Post Scriptum en 2019. « C’est un bon échappatoire d’écrire un journal, on a la chance de ne pas faire cette chose terrible qui est de s’endormir grâce aux somnifères à 6h du matin en refusant le monde. »

Et puis un jour, en 2008, on a pu lire, enfin, dans le livret d’un CD : « paroles : Jane Birkin ». Elle aurait pu se contenter d’être royalement servie. Elle n’y a d’ailleurs pas renoncé. Mais il y avait encore une place à prendre, la sienne. Ses mots, en français, en anglais, avec sa logique à elle, ses marottes, son style. Sans syndrome de l’imposteur, au contraire. Portée, galvanisée par les talents qui l’entouraient. « Parce que j’étais avec Jacques Doillon et j’avais fait avec lui La fille prodigue puis La pirate, des textes tellement forts à défendre, bien plus que tout ce que j’avais fait avant, Patrice Chéreau m’a remarquée pour jouer la comtesse dans La fausse suivante. Ce qui fait que quand j’ai écrit moi-même Oh pardon tu dormais, j’avais été avec 3 personnes très inspirantes : Serge, Jacques et Chéreau. Ils ont cru en moi alors que moi je croyais pas en moi, c’était extraordinairement excitant parce que tu veux pas les décevoir, j’ai été à la hauteur de leurs espérances, souvent, parce que j’avais ma fierté. Pour Marivaux j’ai travaillé comme une brute pour plus avoir d’accent, pour faire les « r » à la française, apprendre le langage français de cette époque lointaine. Pour me mettre au niveau des autres, il fallait que je travaille dix fois plus. Ça me fait pas peur, ça. Et j’ai joué Electre, moi qui à 20 ans n’étais capable de rien… Je ne peux pas me comparer au talent de Serge ou son style, une poésie qui approche Apollinaire, moi je suis juste une bavarde, j’ai une imagination un peu originale, mais on m’a encouragée à la développer et c’est une chance. »

Elle reconnaît que ses filles, peut-être, en ont eu un peu moins. « De 20 à 30 ans, Lou a vécu dans l’ombre de sa sœur et même dans l’ombre d’une personne qui n’était pas son père. C’est extraordinaire et un grand soulagement de voir qu’elle a trouvé son truc à 30 ans, elle a dit que c’était une deuxième naissance. Charlotte, elle, je pense qu’elle était face à une telle image de père et de génie que ça lui a demandé un courage extraordinaire de se lancer en français dans la même sphère que son père. » Après un silence, elle dit : « Elles sont aussi différentes que la lune et le soleil. »

Jane Birkin, comme ses filles après elle, a souvent été ramenée, voire réduite à un homme. Elle se souvient de temps où être une femme parmi les hommes, c’était différent. Des temps où « Je t’aime moi non plus » était censurée, mais où les comportements sexistes ne faisaient lever aucun sourcil. « A notre époque, on réfléchit beaucoup. Avant de dire quelque chose, on est prudent. Les choses peuvent tellement être prises hors du contexte, avec de telles répercussions qu’on fait terriblement attention. Même les blagues. Mais d’un autre côté on ne peut que constater que les filles peuvent être beaucoup plus à l’aise si elles trouvent qu’elles sont menacées au travail, si des mecs abusent d’elle en mettant la main ou avec des allusions lourdes, elles sentent qu’il y a une confrérie de filles à qui elles peuvent parler. Moi je n’ai pas souffert de ça, j’avais une chance folle mais je pense que c’est parce que j’étais « en mains », personne n’osait vraiment faire des choses trop lourdes. Quand Rubinstein a mis sa main sur mon genou à une fête chez les Rotschild, j’ai dit à Serge « il a sa main sur mon genou » et il a dit « laisse-toi faire Jeannette c’est un génie ». C’était une époque assez fraîche et charmante. Je pense qu’on est devenus plus précautionneux, et en même temps plus solidaires. »

On a terminé là-dessus nos 45 minutes avec Jane Birkin. Une femme gaie et triste à la fois, follement libre et à jamais dépendante. Une vie romanesque, mais bien réelle. Un peu de franglais, une grammaire légèrement baroque qu’on n’a surtout pas corrigée.

On l’aime.

Photo en une : Nathaniel Goldberg

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