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Etienne Daho : « Toucher la sensibilité de quelqu’un c’est le plus beau des cadeaux »

Avec ses quarante ans de carrière au compteur et un statut de quasi-intouchable de la chanson française, Etienne Daho pourrait nous contempler du haut de son piédestal en astiquant ses disques d’or. Mais l’artiste n’est ni prétentieux ni rassasié, et garde un enthousiasme et un besoin de créer intacts. En ce premier mardi du deuxième confinement, on a discuté avec lui de son nouvel album « Surf » qui sort le 4 décembre, et des pleins et des déliés d’une carrière riche et passionnante. Penser à annoter notre wish list. Etienne Daho est dans Sourdoreille.

Surf, ça n’est pas juste un nouveau disque d’Etienne Daho, c’est son lost album. C’est écrit, on sait plus trop où mais c’est écrit : pour entrer dans la légende, tout·e artiste se doit d’oublier au fond d’une malle de vieux enregistrements afin qu’ils resurgissent, des années plus tard, rares, précieux, tels une dernière source d’espérance dans nos vies bien moroses (c’est beau), et que s’appelerio lost album. Neil Young, le Velvet Underground, Prince, Marvin Gaye pour ne citer qu’eux, n’ont pas dérogé à la règle. Pour Etienne Daho, ce sont des reprises enregistrées en 2004 et 2006 qui hibernaient dans des disques durs jusqu’à ce que les organisateurs du Disquaire Day, dont Etienne est le parrain de l’édition 2020, viennent gratter à la porte.

Un melting pot aux notes délicieusement rétro des goûts et des couleurs d’Etienne où cohabitent Henri Mancini, Phoenix, David Bowie, Air, Elvis Presley ou encore Denis Wilson : « C’est une association de chansons un peu libre, c’est pour ça que ça s’appelle Surf, parce que je surfe sur tous les styles sans complexe, sans me poser de questions. J’ai sélectionné les chansons qui me plaisaient, pour lesquelles j’avais une affinité, où je me suis dit ‘je vais pouvoir rentrer dedans’. Le Disquaire Day était une occasion idéale de pouvoir rendre ce projet disponible et de lui rendre justice. Le publier sous la forme d’un vinyle, avec la photo d’époque, tout est devenu cohérent. »

Le passé qui vient chatouiller le présent, les époques et les genres qui s’épousent, rien de tout ça ne détonne, finalement, chez Etienne Daho. La transmission est un fil rouge dans la carrière de cet homme pour qui « faire de la musique c’est créer des liens avec les autres ».

Sur son berceau de chanteur débutant se sont penchés de très illustres aînés, à commencer par Serge Gainsbourg, qui, s’ils n’ont pas eu le temps de collaborer, n’a jamais caché son affection pour Etienne : « Il m’a un peu conseillé mais je comprenais pas trop ce qu’il me disait à l’époque, j’étais un jeune homme en pleine ascension, j’avais l’impression que j’avais pas besoin de conseils, et surtout pas d’être estampillé par un mentor. Mais avec le recul il y a des choses qui me sont revenues en mémoire, longtemps après. »

Les autres, tour à tour, implacablement, tomberont aussi sous son charme. Françoise Hardy, Jacques Dutronc, Jane Birkin (dont il a réalisé le dernier album, Oh pardon tu dormais), Jeanne Moreau (avec qui il partagera, notamment, les scènes du Festival d’Avignon et de la Salle Pleyel pour leur interprétation du Condamné à mort de Jean Genet), Charlotte Gainsbourg, Dani, Lou Doillon, Marianne Faithfull. Il nous raconte sur cette dernière une anecdote d’une folle poésie : « Elle a fait le geste de planter une graine dans mon cœur. Elle m’a dit : ‘je plante une graine et il poussera des choses‘, c’était un geste symbolique mais qui avait du sens. »

Et puis, d’album en album, de tournée en tournée, évoluant sans cesse, rencontrant, échangeant, questionnant, Etienne Daho est devenu à son tour une icône. Au-delà de la formule « parrain de la french pop », facile, paresseuse et réductrice, il inspire et accompagne celles et ceux qui l’admirent, ici par un duo, là par une production, à la fois conscient de son statut et empli de gratitude.

Cet homme-là n’est pas blasé et en évoquant avec nous toutes ces rencontres il parle avant tout de joie et de chance : « Si on aime un artiste, si on a cet élan pour quelqu’un, c’est parce qu’il parle de vous, il y a une espèce de lien invisible. C’est ce que j’ai ressenti avec toutes les personnes qui ont été importantes pour moi, qui m’ont aidé à me construire, c’est la raison pour laquelle j’ai une reconnaissance éternelle, parce que sans certains artistes je me serais probablement buté. C’est toujours important d’avoir quelqu’un que vous admirez et qui vous souffle dans le dos. Et ensuite, c’est une chaîne, il y a des artistes plus jeunes que moi, une génération qui m’apprécie et avec laquelle j’ai de bons rapports, des artistes qui m’ont dit avoir été influencés ou apprécier ma musique, ce qui est toujours assez génial, ça veut dire qu’on a touché la sensibilité de quelqu’un, c’est fabuleux, c’est le plus beau des cadeaux. »

DAHO (c) Nicolas Dubosc

Etienne Daho © Nicolas Dubosc

Si la transition de celui qui est fan à celui dont on est fan s’est faite en douceur, celle de la nouvelle sensation pop des années 80 à l’artiste discret et apaisé qui nous parle aujourd’hui a été plus brutale. Etienne Daho, c’est 13 albums en 40 ans, mais deux parties de carrières radicalement différentes. Il a déjà raconté le chaos des années Paris Ailleurs, l’album du triomphe culminant mais fatal, le trop plein de tout, l’explosion, la descente, les rumeurs, la fuite.

Quand il a fallu dire stop, contrairement à d’autres, il a su le faire et ça l’a sauvé : « Je me suis aperçu que j’étais dans une forme de succès qui ne me rendait pas heureux, j’étais trop exposé, j’avais pas rêvé les choses comme ça. J’ai continué à faire artistiquement ce que j’avais envie de faire, là où mes élans m’emmenaient, mais pour tout ce qui est du reste, l’exposition, j’ai énormément réduit. Ça a été un choc pour beaucoup de gens qui ne comprenaient pas où j’allais mais avec le temps et le recul les gens qui n’avaient pas aimé certains albums à l’époque les ont découverts et aimés par la suite, et ça c’est une réussite. On ne fait pas les choses pour qu’on les apprécie instantanément, c’est sur la longueur. Un bon disque il sera bon dans 20, 50 ans… J’ai l’impression qu’à chaque fois que je sors un nouvel album les gens commencent à découvrir le précédent. »

De ses années Top 50, il explique avoir gardé, pendant assez longtemps, une certaine rancœur, au point de tourner le dos aux tubes qui l’avaient révélé : « Je les ai pris un peu en grippe et je prenais un malin plaisir à ne pas les chanter pendant les concerts. » Maintenant, ça va mieux, Etienne a fait la paix : « J’ai l’impression d’avoir évolué, de faire des choses plus matures, plus intéressantes, mais même si moi j’ai envie de faire de la place et de faire écouter des chansons qui me paraissent meilleures, plus fortes ou plus proches de moi, y aura toujours quelqu’un qui voudra écouter « Epaule Tattoo », pour qui ce sera une madeleine, et je le comprends parce que moi j’ai ça aussi par rapport aux autres artistes. J’ai réalisé que ces chansons avaient créé un lien et que c’est ça qui était important, beaucoup plus que mes états d’âme. Je me suis dit ça y est, je suis réconcilié avec ces chansons-là. Mais j’essaie quand même de leur tordre le cou avec des arrangements différents. »

Ça ne doit pas être facile de se dire que, pour certains, on restera, toujours et quoi qu’on fasse, le chanteur à marinière avec un perroquet sur l’épaule qui passe ses week-ends à Rome tous les deux sans personne. Il doit falloir une sacrée dose d’auto-dérision, de recul, un put*** de sens de l’humour. Heureusement pour lui, Etienne Daho ne manque d’aucune de ces qualités : « Le problème c’est d’être réduit, toute votre existence, à une chanson, celle du moment où vous apparaissez. C’est ça qui est frustrant, on a envie de modifier les choses mais c’est une cause perdue. Maintenant j’ai lâché l’affaire. Ça fait partie de l’ensemble des chapitres, et surtout ça ne m’appartient plus. »

Si ses textes n’ont jamais été politiquement engagés, Etienne Daho n’en demeure pas moins un citoyen. Un homme de soixante et quelques années (mais qui fait plus jeune que nous, nouvelle preuve de l’injustice absolue de cette existence) qui a grandi dans une Algérie en guerre, qui a vécu à Paris, en province, à l’étranger, qui a vu défiler les décennies et évoluer les comportements.

Son regard sur cette époque vraiment pas comme les autres nous intéresse, forcément : « On est dans une période extrêmement violente. Et à la fois on est très gâtés. Qu’est-ce que c’était bien de s’entasser les uns sur les autres, de se lécher le museau dans un bar… Je crois que l’homme est un animal doué de raison qui a toujours su s’adapter, et je pense que tout ce qui arrive c’est pas pour rien. Le système de consommation à outrance dans lequel on s’est enfermés ne peut pas durer, le toujours plus, le cynisme, les chaînes d’information perroquet hyper anxiogènes qui font peur à tout le monde, où tout le monde s’engueule et dit n’importe quoi. Y a pas de place pour la philosophie, pour des réflexions posées, pour des gens qui ont vraiment des choses à dire mais qu’on n’entend pas, à la place de ça on entend des gens se prendre le bec, dire des choses vides de sens. Il est important de profiter de ce moment pour revenir à des vies plus proches de nos aspirations premières et ne pas se laisser embarquer dans le consumérisme fou qui ne nous mène nulle part. »

L’un de ses précédents albums s’appelait Chansons de l’innocence retrouvée. Quand on lui demande si on l’a de nouveau perdue, il n’hésite pas : « Tout est fait pour qu’on perde l’innocence au profit d’un certain cynisme mais moi non, au contraire. Je l’avais pas vraiment perdue mais j’étais content de sentir que cette partie de moi était toujours bien présente. »

Plus de spiritualité, moins de connerie.
De l’espoir.
On aime bien ce programme.
Allez. Daho 2022.

Photo en une : Etienne Daho © Nicolas Dubosc

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