C’est bien connu, la musique rock rime souvent avec alcool. Jusqu’à preuve du contraire, aucun festival de rock en France ne dispose uniquement d’une fontaine à limonade et d’un bar à jus d’orange pressé à la main (si ?). Et quand bien même vous souhaiteriez résister à la tentation de l’ivresse, vous pouvez vous faire déborder par les événements ; très rapidement, sans le calculer et sans modération. Alors, quand vous lâchez un fan de rock psychédélique au festival Levitation et qu’il retrouve ses partenaires de crime qui tapaient apéro au Jack dès 15h dans un Airbnb, ça donne une rencontre avec la tête pensante de CFM (le conducteur sur la photo) assez folklorique.
Remettons les choses dans leur contexte après avoir avalé un paquet entier d’aspirine. CFM, c’est le groupe de Charles Francis Moothart ; le guitariste de Ty Segall qui est sorti de l’ombre du backband au fur et à mesure des années. En commençant à pousser la chansonnette sur certaines chansons pour le projet bien bourrin de Fuzz, toujours avec Ty Segall, il décide de monter son groupe solo en 2016 et de s’armer de ses vieux potes d’enfance pour prendre place sur le devant de la scène et chanter à plein temps.
Depuis le début de CFM, deux albums sont parus. Un premier, « Still Life of Citrus and Slime » qui a été composé pendant la période Fuzz et qui est donc assez violent, et un deuxième, « Dichotomy Disaturated », qui est un peu plus posé et réfléchi. J’allais donc me retrouver face à un sacré musicien californien. Un artiste accompagnant une des figures les plus emblématiques de la scène rock actuelle, ayant très certainement des choses à dire, et pour qui j’avais plein de questions sagement préparées à l’avance. C’était sans compter sur le malin, moitié Sheitan moitié Krishna, qui avait pris possession de mes amis festivaliers et colocataires d’un week-end et qui m’a entraîné du côté obscur de la force.
CFM – The Stooge
Quand je débarque au deuxième soir du Levitation, mes comparses ont des séquelles. Je les retrouve en début d’après-midi vautrés dans le salon de cet Airbnb transformé en hospice pour l’occasion. Heureux de nos retrouvailles, nous entamons un apéritif non-dînatoire composé de Jack, de tequila et de champagne. Un peu dur d’entrée, certes. Pourtant il nous a semblé important de le faire rapidement car, apparemment, le bar présent l’année dernière au sein du festival et qui proposait des cocktails à base de rhum avait disparu. Nous jouons donc la carte de l’économie et de la débandade généralisée en chantant « L’amour à la Plage » de Niagara tout en vidant les bouteilles sur le chemin du festival sous le beau soleil angevin de septembre.
Sur le festival, tout va pour le mieux. Je profite avidement de la musique et de la scénographie psychédélique présente dans les moindres recoins du site. Jusqu’à ce que je sente en moi ce moment où votre corps vous dit : « Eh mec, t’as déconné là« , et que je commence à avoir la vision trouble et mon sale accent du sud qui ressort, allié à une irrémédiable difficulté à articuler. Sauf qu’il fait encore jour, que le concert de CFM dont je ne me souviens absolument pas vient juste de se terminer et que mon interview avec Charles est prévue pour 20h, soit 30min après ce constat physique alarmant. Bordel. Bon, bah faut y aller.
Par mesure de commodité, les questions qui ont été posées plus de deux fois ont été filtrées pour un confort de lecture plus agréable et moins répétitif.
https://youtu.be/G0CkDVvxf_M
Quand tu as commencé à lancer ton projet solo avec CFM, tu t’es isolé du monde pour le composer. Tu peux me raconter ?
J’ai bougé à Los Angeles et commencé à enregistrer des choses. A ce moment-là, j’ai vécu une rupture plutôt douloureuse, et c’était une période de changements assez intense ; donc je me suis isolé pour me concentrer. Je me suis équipé en matos pour pouvoir tout faire seul et enregistrer moi-même, et j’ai beaucoup apprécié ça. C’est venu assez naturellement. C’était dans un processus naturel d’expérimentation et de travail sur soi.
Quand on lit la description sur ton site web, ça sonne comme si tu étais allé t’exiler dans la montagne. On dirait un peu la démarche de Jack Kerouac dans les Clochards Célestes qui s’évade pour se reconnecter.
Y’a un peu de ça, sauf que je suis parti de Washington pour aller à Los Angeles. On est plutôt sur de la colline que sur de la montagne. La maison où j’étais pour composer et enregistrer ressemblait à un sanctuaire, avec son lot de rituels. Je me levais le matin, prenais mon café, descendait les escaliers et me mettait au boulot pendant 6h tout en fumant des cigarettes ; et buvant du vin. Un vrai moine.
Du coup tu as joué avec Ty Segall durant de nombreuses années. Comment as-tu décidé de prendre le devant de la scène et ne pas rester le « simple » guitariste ?
Tout ce que j’ai pu faire m’a donné envie de me lancer solo. Au lycée, où je ne suis pas beaucoup allé et où je préférais jouer de la musique, j’avais déjà ça en tête. Mais c’est avec Fuzz, où je chante sur quelques chansons, que les choses ont commencé à se concrétiser. Avec Ty Segall, on a commencé à jouer ensemble ensemble à l’âge de 16 ans. J’en ai maintenant 28. Mais on a commencé à vraiment tourner en 2010. C’est un peu mon frère, et on se poussait sans cesse l’un l’autre pour aller toujours plus loin (toujours plus haut, toujours plus fort).
CFM – Lunar Heroine
Tu décris ton premier album, Still Life of Citrus and Slime comme « un souvenir de ton voyage dans une autre dimension« . Il y’a quelques titres assez explicites, comme « Purple Spine » ou « Lunar Heorine » où on pourrait croire que tu fais clairement référence aux drogues.
Comme je te disais, je me suis retiré pour me concentrer sur moi-même. « Lunar Heroine » est une référence à mon ex-copine, et « Purple Spine » je buvais beaucoup de vin au moment de la composition. J’aime repousser mes limites, et grandir. L’enregistrement de ce premier album et le fait de le jouer live avec un groupe faisait partie de cette démarche, et je me sens très chanceux de les avoir à mes côtés.
J’ai l’impression que pas mal de groupes californiens sont composés de potes qui jouent un peu chez les uns les autres. Avec qui joues-tu ?
Dans CFM, je joue avec Michael, qui fait la guitare et le synthé, on était au lycée ensemble. On jouait dans Culture Kids, GOGGS aussi, et on vivait ensemble à San Francisco et maintenant aussi à Los Angeles. On fait du skate, c’est mon bro quoi. Thomas, à la batterie, jouait dans un groupe qui s’appelait Audacity. On faisait des concerts ensemble à l’âge de 16 ans et il vient aussi d’Orange County, d’où je suis originaire. On s’est rapprochés avec les années. On se connaît presque tous depuis toujours, c’est important de jouer avec des amis.
« C’est un bon challenge, de chercher le juste équilibre entre force et douceur. »
Tu sais que ta voix ressemble étonnamment à celle d’Ozzy Ossbourne ?
Définitivement, 100%, Black Sabbath est un des mes groupes préférés. Ozzy a une voix incroyable, merci du compliment !
Comment as-tu enregistré ton second album, Dichotomy Disaturated ? Tu es allé en Alaska cette fois-ci ?
J’ai téléchargé tout ce dont j’avais besoin niveau logiciel et je suis allé à San Francisco chez un vieil ami qui a enregistré pas mal de groupes du coin. Du coup le son est meilleur que sur le premier, et j’avais une totale liberté au niveau de l’approche.
Ton deuxième album est beaucoup calme que le premier. N’est-ce pas le lot de pas mal de groupes, de commencer super vénère et de se calmer par la suite ?
Ça m’a demandé beaucoup de travail justement d’être dans cette approche là, car j’ai l’habitude d’être efficace avec des riffs puissants. Suffit d’écouter Fuzz pour s’en rendre compte, j’aime quand ça crache. De l’autre côté, le fait de composer l’album m’a permis de mieux appréhender la chose, et de trouver les mélodies qui font que tu puisses entendre et profiter de la voix sans avoir à hurler derrière ; même si j’aime ça aussi. C’est un bon challenge, de chercher le juste équilibre entre force et douceur.
Tu te définis comme étant un « putain de punk ». C’est quoi ton whisky préféré ?
Le Bulleit Rey. Très bon.
On m’a aspergé de Jack d’ailleurs avant cette interview, c’est pas mon préféré mais ça fait l’affaire.
Je vois ça.
Là, vous venez de jouer à la version française de l’Austin Psych Fest. Des chances de faire la version américaine cette année ?
Je le ferai volontiers, carrément. Si on me demande, je fonce direct.
Comment tu as trouvé cette confrontation avec le public français, vu que c’est une des rares dates françaises que tu as pu faire ?
Fucking fun, awesome. Les gens étaient plutôt déchaînés. Au départ à Los Angeles, il y’avait genre 20-30 personnes qui venaient nous voir, je n’sais plus vraiment. Alors ce soir, face à plusieurs centaines de personnes, c’était complètement insane.
Des choses pour le futur ?
Un nouvel album, pour sûr, mais composé et enregistré tous ensemble avec les gars ; et pas tout seul dans mon coin. Même si j’aime faire ça, c’est dans l’évolution normale du groupe.
Sur ces bonnes paroles, nous avons partagé un verre de vin rouge (comme si j’avais pas assez picolé comme ça) avant de poursuivre cette soirée qui ne faisait que commencer ; car après tout, il n’était que 21h. SPOILER : la grande messe a été assurée par les Black Angels, et Black Devil Disco Club a clôturé avec beauté le festival. Le reste, je ne m’en souviens plus. Merci pour la patience, mec.
Encore un super papier.
Bravo!