À coup de mélodies régressives et de chœurs enfantins, Insecure Men nous offre des comptines délicates et joyeuses qui laissent deviner un revers aussi malsain que dérangé. Rencontre avec deux sales gosses à l’origine d’une recette magique.
Alors que les Fat White Family entraient sur la scène de la Cigalle en 2015, Saul Adamczewski était aux abonnés absents, préférant une rencontre avec son dealer. Un faux pas parmi de nombreux autres qui lui ont valu se faire virer par ses camarades à bout. Pour autant, il n’est pas resté bien longtemps à se tourner les pouces.
Animé par une envie d’explorer des sonorités plus nuancées que celle du groupe britannique sulfureux qui l’accueillait, il s’associe dès la fin de sa cure de déxintox à Ben Romans-Hopcraft, chanteur de Childhood. Ensemble, ils s’amusent à définir les contours d’une musique pop, aussi sirupeuse qu’une berceuse mais traversée par le vice et l’ironie grinçante de paroles évoquant tour à tour pédophilie, mort ou drogues. On les a rencontrés.
Comment vous-êtes vous rencontrés ?
Ben : Nous étions à l’école primaire ensemble, c’est là que nous nous sommes rencontrés. À l’adolescence, on se croisait souvent car on suivait la même scène indé. En plus on a toujours vécu dans le même coin, le sud est de Londres. On a fini par sympathiser.
Saul : Je faisais partie d’un groupe The Metro, Ben jouais dans un autre groupe, intitulé The Jackrabbits. On avait fait quelques concerts ensemble. Puis on a eu un moment de rivalité : on aimait la même fille.
Ben : Mais je suis sorti avec elle en premier. (rires)
Saul : J’ai déménagé à Brixton, juste en face d’un pub où Ben passe souvent. C’est comme ça qu’on a commencé à faire de la musique ensemble.
« Aujourd’hui, avec internet, pour gagner sa vie de la musique il faut t’étaler et t’investir dans plein de projets différents. »
On dit que c’est là que tout se passe niveau musique en ce moment, c’est vrai ?
Saul : Il y a toute une scène. Si tu fais partie d’un groupe issu du sud de Londres, tu signes un contrat de disque, c’est garanti.
Ben : Ça a beaucoup changé : lorsque nous avions 17 ans, ça ne servait à rien de jouer des concerts dans ce coin. Si tu voulais te faire repérer, il fallait aller dans le nord à Camden ou dans l’est.
Saul : Je suis content que ça ait changé. C’est mieux comme ça.
Vous avez tous les deux d’autres groupes, qu’est-ce qui manquait aux autres et qui vous a pousser à créé celui-ci ?
Saul : Ce n’est pas vraiment que quelque chose manquait. C’était plus l’idée de n’avoir qu’un seul projet qui nous semblait vieux jeu. Aujourd’hui, avec internet, pour gagner sa vie dans la musique il faut t’étaler et t’investir dans plein de choses différents. Quand tu réalises que c’est possible, ça devient une évidence. Tu peux jouer dans trois groupes et satisfaire plein d’envies. Ça nous offre l’occasion de montrer divers aspects de notre personnalité. Insecure Men nous permet de jouer de la musique plus « loungy » (rires).
Saul, as-tu arrêté la musique lorsque tu étais en centre de désintoxication ?
Saul : Je chantais sous la douche. Des cris et pleurs de désespoirs… La meilleure des musiques (rires). Je ne jouais plus trop non, je manquais d’inspiration à vrai dire.
As-tu eu un déclic pour t’y remettre ?
Saul : Pas vraiment, non. Je n’avais jamais pensé à arrêter la musique. Dès que je suis sorti de désintox je m’y suis remis.
J’ai lu qu’avec Insecure Men, il t’était plus difficile de cacher ta vulnérabilité derrière le bruit et l’attitude comme avec la bande des Fat White Family ?
Saul : Les Fat White Family ça a plus à voir avec l’énergie du live, c’est bien plus agressif. Même si on a quelques ballades dans le lot. C’est vrai qu’avec Insecure Men on a l’occasion d’explorer un côté plus apaisé de nous-mêmes.
« On ne transpire même pas lorsque l’on joue. »
Qu’est-ce que Sean Lennon vous a apporté ?
Ben : Beaucoup d’acide, c’est tout (rires).
Saul : Il m’a beaucoup aidé à me concentrer sur le son. Sa présence nous a permis de le développer. Je peux être très impatient et fainéant, il a réussi à changer ça.
Ben : Il m’a forcé à tout écrire sur des partitions…. Il est très sérieux lorsqu’il s’agit de musique. On a joué la plupart des instruments à trois.
Saul : C’est un superbe compositeur. Il est très bon en arrangements. Notre album ne sonnerait pas du tout comme ça sans son aide. Tout ce qui est un peu complexe, c’est lui qui l’a fait.
On s’imaginerait pas votre groupe collaborer avec Sean Lennon…
Saul : Avant de le rencontrer, je ne savais pas vraiment qui c’était. Il n’était pas dans mon radar. Mais il nous a démarché parce qu’il adore ce qu’on fait. Il a des goûts très éclectiques donc ce n’est pas une collaboration si étonnante que ça.
Lias Saoudi des Fat White a aidé à l’écriture de certaines paroles, qu’est-ce qu’il a amené de différent ?
Saul : Des paroles ?.. (rires) J’adore tout de son écriture. Je ne pourrais demander à personne d’autre que lui d’écrire des paroles. Mais l’idée était tout de même de collaborer tous ensemble. Tout le monde contribue plus ou moins à l’écriture des chansons.
Vous êtes parfois 11 sur scène. C’est pas trop chaotique ?
Saul : La seule chanson chaotique que l’on a c’est « Mekong Glitter ». Sinon ça va. On est rarement plus de 9 sur scène d’ailleurs. Et on ne transpire même pas lorsque l’on joue.
Ben : Pas une goutte de sueur. C’est bizarre pour un groupe de rock.
Le dernier album de Childhood est très soul. Ben, est-ce que ton obsession soul a influencé Insecure Men d’une certaine manière ?
Ben : Je me suis fais virer de chez mon père. J’ai dû retourner chez ma mère. J’ai redécouvert tous les albums que j’écoutais plus jeune. Gill Scott Heron, Prince etc… Il y avait pas mal de vinyles, y compris des artistes que je n’aimais pas à l’époque mais que ma mère me passait tout le temps. Ça a déclenché une envie de donner à ce nouvel album une couleur soul. C’est ce que j’écoutais aussi lorsqu’on enregistrait Insecure Men, donc oui, on peut trouver un côté soul à cet album je pense.
Vous définissez votre musique comme « pretty music with a dark underbelly to it ». Est-ce que vous pouvez-expliquer cette idée ?
Saul : Je voulais faire de la musique plaisante à l’oreille, une musique facile à écouter. Appelle ça « lounge » ou fond sonore, peu importe. Mais l’idée c’était tout de même de parler de sujets, qui eux, sont moins plaisants avec des paroles détraquées. Comme sur « Whitney Houston and I » qui évoque la mort de Whitney Houston et de sa fille… Ou sur « Mekong Glitter » dont les synthés des années 80 contrastent avec le propos (l’histoire de Gary Glitter, chanteur de glam-rock accusé de pédophilie, ndlr). Tout ça avec des chœurs d’enfants derrière… Ça m’amuse. C’est peut-être encore plus inconfortable de présenter ça de cette manière plutôt que de le crier.
Pouvez-vous me parler un peu de la pochette de l’album ?
Saul : C’est une copie d’une peinture de propagande nord coréenne de Kim Jong-il et de son fils. Ça fonctionnait parfaitement tous ces enfants avec notre album parce qu’on a beaucoup été inspiré par la musique pour enfants. Entre les bruits de jeux et les chœurs, notre album sonne un peu comme un dessin animé dément.
À quoi ressemble la suite pour Insecure Men ?
Ben : On va à New York la semaine prochaine pour enregistrer des démos pour notre second album.
Saul : On a passé ces derniers mois à bosser sur l’album des Fat White Family qui est prêt à être mixé. On a aussi sorti un album avec notre autre projet intitulé Warmduscher.
Ma dernière question, la plus originale : pourquoi Insecure Men, vous êtes du genre à ne pas avoir confiance en vous ?
Saul : Si on fait une moyenne au sein du groupe la balance doit plus pencher du côté anxieux. Cela dit le mec qui joue du saxo pour nous ne manque pas de confiance en lui.
Ben : Sans doute le plus confiant des hommes que je connaisse. Marley est trop confiant aussi. Aidan, lui est terriblement anxieux. Tu ne voudrais pas vivre un rendez-vous Tinder avec lui. Ça contre-balance toute cette confiance. Mais tu voudrais sûrement un date avec Alex. Il est en rendez-vous en ce moment même d’ailleurs.
Saul : Il plaît à tout le monde, c’est incroyable…
Ben : Ouais, il a bien besoin d’un poing dans la figure.
Saul : La tenue qu’il avait hier… Ridicule. Il est dans un délire incompréhensible, genre acid jazz des années 80.
Insecure Men jouera le 1er juin au This Is Not A Love Song (Nîmes) et le 6 juillet aux Eurockéennes de Belfort.
0 commentaire