Qu'est-ce qu'ils attendent pour foutre le feu ? D'être un peu plus nombreux...
Dès sa naissance à New-York au milieu des années 70, le hip-hop porte l’ADN de la contre-culture : en fermant les rues pour organiser des Block party, les habitants du Bronx s’approprient radicalement leur territoire pour y redéfinir les règles et les valeurs. DJ, MC, grapheurs, danseurs… Le mouvement se définit dès le début comme interdisciplinaire, et renforce dès lors son aspect contre-culturel.
A la même époque, le phénomène se développe, avec ses propres spécificités, à Londres et dans plusieurs villes françaises. Le mouvement émerge dans les zones délaissées : économiquement, socialement et culturellement. Ces nouveaux prolétaires prennent à l’époque conscience de leur situation (de classe). La culture qui en découle sera naturellement empreinte de cette vision. Lorsque des émeutes éclatent en France (Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Rouen) ou aux Etats-unis (Los Angeles), le hip-hop est considéré comme la bande-son de ces événements.
Mais ces événements restent des réactions à des violences (bavures) policières. De la rage, de la haine, contre les forces de l’ordre, contre les institutions (écoles, mairies, ANPE). Mais cela n’allait jamais jusqu’à une remise en cause du système. Des émeutes mais pas d’insurrection.
La puissance subversive du hip-hop va encore plus se diluer au fil des années avec l’émergence du gangsta rap. Venu de la côte ouest, ce courant revendique son rejet des règles, des forces de l’ordre et des lois mais affiche ses ambitions de réussite : argent, grosses voitures et filles en mode pouf’. La version bling-bling du hip-hop. Ces rappeurs ne s’opposent aucunement au matérialisme et au machisme de la société capitaliste, ils redéfinissent simplement les moyens d’accéder à cette réussite « sociale ». 2Pac, Snoop Dogg et autre Notorious B.I.G. connaissent un succès inédit, donnant au hip-hop une audience grand public jusqu’ici jamais atteinte. Le mouvement se vide progressivement de tout son sens politique.
Et pourtant, que ce soit aux USA ou en France, des poches de résistance ont toujours subsisté. La Rumeur, Kabal, Rocé, Casey, Assassin… Ces artistes n’imaginent pas dissocier leur art de leur conviction, ancrant la subversion au cœur de leur réflexion. Si ce rap conscient (ou hardcore) reste confidentiel, à de rares exceptions près, son potentiel subversif n’en reste pas moins puissant.
Par leur radicalité, ces groupes se rapprochent progressivement de groupes plus ancrés dans l’esthétique rock (punk, hardcore, métal) à l’image de la collaboration entre Kabal et Lofofora. Le mouvement se rapproche également d’acteurs libertaires et/ou anarchistes, que ce soit avec le soutien de la CNT ou d’autres structures de l’ultra-gauche pour l’organisation de concerts ou la rencontre avec certains skins anti-fascistes (Redskins). BBoyKonsian illustre parfaitement le phénomène. A la fois label, magasin en ligne et webzine, ce collectif soutient des groupes aussi radicaux que La K-bine, Eskicit ou encore Première ligne.
La crise que traverse l’Europe donne une résonance particulière à ces groupes au discours sans concession et clairement insurrectionnel. Si aujourd’hui en France, le lien entre les mouvements sociaux et ce hip-hop conscient reste très léger, c’est peut-être parce que les populations des quartiers délaissés ne prennent pas, pour le moment, part à ce soulèvement. Une étude a montré que les populations noires représentaient seulement 1,6 % des personnes présentes à l’automne dernier dans le mouvement d’Occupy Wall Street. Aux USA comme en Europe, les populations les plus précarisées, les plus délaissées, restent à l’écart des mouvements initiés par les classes moyennes/bobo. Trop violent/extrémiste pour les mouvements sociaux du moment, trop politisé pour les nouveaux prolétaires des cités, ce hip-hop au discours ultra et radical reste donc pour l’instant le cul entre deux chaises. Pour l’instant.
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