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Frank Turner : « J’aime ajouter ma part à l’addition du bonheur humain »

Il est l’un des mille fils spirituels de Bruce Springsteen. Mais il n’est pas non plus fâché avec le Iron Maiden de son enfance ni avec la douceur d’une chanson folk. Du haut de ses 36 ans, Frank Turner est un punk hybride, victime d’une anomalie : star en Angleterre, injustement méconnu chez nous. La gloire est définitivement une géométrie variable. Juste avant son concert à la Maroquinerie ce jeudi 20 avril, on le retrouve à l’étage de la salle parisienne, dans une pièce vide à l’écho intimidant où on nous apporte deux chaises. Le chanteur teste l’acoustique en tapant dans ses mains tatouées de partout. Clap de début.

Tu comptes tous tes concerts. On en est à combien ?

Je crois que c’est le 2055.

Tu te sens toujours nerveux après 2000 concerts ?

Pas vraiment, non. Parce que c’est tout ce que je sais faire, dans la vie. Je dirais que les seules fois où je me suis senti stressé ont été des occasions où j’ai du faire des choses qui sortaient de l’ordinaire. Par exemple, j’ai fait un concert dans l’école de mon neveu, il devait y avoir 60 gamins de neuf ans, j’étais terrifié. Je ne savais pas ce que ça allait donner, mais c’était cool aussi. Quand je sors de ma zone de confort, c’est là que je stresse.

Ça fait plus de dix ans que tu fais de la musique…

Plutôt vingt.

… tu trouves que ton public a changé ?

J’ai commencé les tournées il y a… (il réfléchit) dix-neuf ans. Je dirais que principalement, le public a grandi, et c’est super. Mais on en ne fait pas qu’ajouter des gens, certains s’en vont et c’est pas grave. Je pense qu’il y a des gens qui… il faut que je fasse attention à ce que je vais dire…il y a des gens qui accordent une plus-value au fait que quelque chose soit underground. Chacun son opinion, la vie continue, mais je pense que si tu abandonnes un groupe juste parce qu’il est devenu populaire, alors tu ne les aimais pas tant que ça.

« Les gens viennent avec des paroles de la chanson « Photosynthesis »  tatouée sur leur corps et c’est spécial. Je me sentirais mal de ne pas la jouer pour eux. »

Je suis tombée sur un ancien post de ton blog où tu reviens sur une remarque faîte propos de Radiohead. Tu disais que les artistes pourraient prendre 3 minutes pour jouer la chanson que tout le monde attend et que tout le monde veut entendre. Tu penses toujours ainsi ? Comment résous-tu le casse-tête des setlists et y-a-t-il une chanson que tu joues absolument à chaque fois ?

Je n’ai pas vraiment la chanson qui prend le dessus sur toutes les autres. Mais oui, j’ai un noyau dur de quatre ou cinq chansons que je joue un peu tout le temps et le public serait déçu si je ne les jouais pas.

Même après 2000 concerts ?

Oui. Enfin, ce noyau dur change un peu avec les années. Par exemple, une des chansons qu’on nous demande le plus en ce moment est « Get Better » qu’on a sortie il y a deux ans. Et puis il y a une plus vieille, « Photosynthesis ». Les gens viennent avec des paroles de cette chanson tatouée sur leur corps et c’est spécial. Je me sentirais mal de ne pas la jouer pour eux. J’aime ajouter ma part à l’addition globale du bonheur humain, ça me plaît pas mal.

Je t’ai entendu jouer sur scène des chansons profondément touchantes, je pense à « Song for Josh » [en hommage à Josh Burdette, ami de Frank Turner et vigile d’une salle de concert à Washington]. Y a-t-il des chansons que tu as enregistrées mais que tu ne peux pas jouer live ?

Je ne dirais pas que je ne « peux pas » mais il y a bien des chansons que je ne joue pas très souvent. Par exemple, une chanson tirée de l’album Tape Deck Heart qui s’appelle « Anymore » et qui n’est pas tendre à propos de la personne qu’elle concerne. J’ai dû la jouer peut-être trois fois live parce que je ne me sens pas très bien en la chantant. Et puis il y a des chansons que j’ai abandonnées simplement parce que je trouve qu’elles ne sont pas si bien que ça, et heureusement la plupart des gens sont d’accord avec moi.

J’ai découvert ta musique avec l’album England Keep My Bones. Je retiens de cet album et de ta personnalité une dichotomie entre la passion pour ton pays et le wanderlust, la soif de voyage. Comment arrives-tu à combiner les deux ?

Je préfère parler de « mal du pays » plutôt que de « passion du pays ». J’adore « England Keep My Bones » mais un tas de gens ont cherché à l’interpréter comme une sorte de déclaration nationaliste. Ça m’a énervé parce que c’est très loin de ce que je suis et je trouvais que le titre était plutôt clair ! Mais bon, c’était à une période où ma carrière commençait à décoller et les gens cherchaient des raisons de m’en vouloir. Bref, c’est vrai qu’il y a un conflit non résolu entre mon mal du pays et ma soif de voyages mais je ne suis pas sûr qu’il faille le résoudre. C’est sûrement une des raisons qui me pousse à écrire. Je ne sais pas si je le résoudrai un jour. Je suis très content quand je rentre, et une semaine plus tard j’ai envie de reprendre la route, ça ne change pas.

On dirait effectivement que tu es tout le temps sur les routes. Quand trouves-tu le temps d’aller en studio ?

On est beaucoup en tournée mais je viens d’avoir dix jours de congé, c’est énorme !

…Vraiment pas.

On peut faire beaucoup en dix jours. Et puis j’ai pas mal de jours dans mon agenda où je ne fais pas grand-chose. Je pourrais être plus occupé. Mais plus ça va, plus j’ai besoin de temps pour récupérer. J’étais très fatigué en revenant de notre dernière tournée. En tout cas, je trouve du temps pour enregistrer où je peux. J’écris et je fais des démos sur la route. On va partir en studio aux Etats-Unis probablement vers juin, j’ai hâte.

Combien de temps te faut-il pour enregistrer un album ?

Ça change à chaque fois. Des producteurs différents, différents budgets et idées… On a pris neuf jours pour enregistrer le dernier album, mais c’était particulier parce qu’on essayait de capturer ce qu’on faisait sur scène. Je pense qu’on a réussi donc j’ai envie de passer à autre chose et de prendre de temps pour produire le prochain album. Je suis plus intéressé par les rythmes qu’auparavant, j’ai envie d’essayer de nouvelles choses, mais… vous verrez.

« J’ai mis un temps à m’adapter au fait de faire partie d’un forum public et que tout ce qui s’y dit vous colle à la peau, et ça m’a valu des ennuis »

Ce ne sont pas vraiment des vacances mais tu es parti au Sierra Leone récemment, est-ce que tu peux nous en dire plus ?

J’ai été contacté par la Joe Strummer Foundation, une association caritative gérée par la famille de Joe Strummer et mon pote Jamie [Webb]. J’ai déjà fait pas mal de trucs pour eux, ils collectent l’argent et le redistribuent à d’autres associations. Ils m’ont demandé si je voulais partir au Sierra Leone. Je ne connaissais rien à propos de ce pays mais j’ai accepté. J’ai lu des bouquins pour essayer de me préparer mais je me suis rendu compte que je n’étais absolument pas prêt, une fois arrivé là-bas. C’est un pays très différent culturellement parlant, et c’est aussi le troisième pays le plus pauvre au monde. J’y suis allé avec WAYout Arts, un organisme super qui change vraiment la vie des gens. Enfin voilà, je sais que WAYout ne changera pas le monde, mais je pense que personne ne sait encore comment le faire alors autant se concentrer sur des trucs spécifiques et réels. Ils ont aidés 3000 personnes jusqu’à présent et c’est pas rien. J’ai vraiment envie de continuer l’aventure avec WAYout Arts dans les prochaines années. Et certains projets sont encore en cours, par exemple on a enregistré des chansons là-bas qu’on est en train de mixer.

Tu as mentionné tout à l’heure les piques qui ont suivi la sortie d’ « England Keep My Bones » et j’ai lu également que tu as été critiqué il y a quelques temps pour des citations hors contexte qui ont été reprises par la presse. J’étais assez étonnée de voir tes opinions politiques critiquées aussi ouvertement car c’est quelque chose que tu n’abordes jamais dans tes chansons. Pourquoi ?

Oui c’est vrai. C’est un bon moment pour me poser cette question car je suis sur le point de sortir un album très politique, ce que j’ai évité volontairement depuis un certain temps. Il y a plusieurs raisons à cela. Déjà, le monde a changé, et avant je n’écrivais pas à propos de politique parce que je n’arrivais pas à m’exprimer à ce sujet sous forme de chansons. Mais soudainement le monde a changé et j’ai eu envie d’en parler. Il faut être inspiré par quelque chose afin d’écrire une chanson, après tout. Et puis une autre raison, c’est que tout simplement je suis plus vieux maintenant et j’ai tendance à ne plus faire attention à ce que les gens peuvent penser de moi. J’ai mis un temps à m’adapter au fait de faire partie d’un forum public et que tout ce qui s’y dit vous colle à la peau, et ça m’a valu des ennuis. En plus, j’étais plus susceptible et naïf, j’essayais encore de savoir où me positionner en politique. Maintenant je m’en fous. Et ce qui est marrant, c’est qu’en 2012 je m’en suis pris plein la figure par la gauche, puis on a sorti « The Sand in the Gears » en janvier et maintenant je m’en prends tout autant plein la figure par la droite. Au final ça me rassure pas mal sur mes opinions politiques, puisque ça fait de moi quelqu’un de plutôt centriste. Je pense que c’est un moment important pour être centriste, car de manière historique, la fuite de la population vers les extrêmes a tendance à clore le dialogue et les gens se tournent vers la violence. Mais c’est une période intéressante de ma vie et je me sens inspiré. J’ai envie d’explorer ces thèmes. Et hum, vous avez une élection très intéressante qui s’approche. (En français) Bonne chance !

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