Petite virée à Correns, à un festival qui répond au doux nom des "Joutes musicales de Printemps".
On n’a pas souvent l’habitude de vous emmener vous promener sur les terrains de jeu des musiques du monde, encore moins sur celui des nouvelles musiques traditionnelles. Et bien, voilà qui est chose faite, avec notre passage aux Joutes Musicales de Printemps, à Correns.
Un petit îlot de festival, planqué dans un village du Var au charme redoutable, avec ses platanes odoriférants, son petit café sur la place où l’on sirote un (des) ptit(s) jaune(s) pour trois francs six sous. Et une rivière chantante dans laquelle on s’esbaudit de bon matin pour retrouver sa lucidité, et passer pour un cador auprès de ses amis, attendu qu’elle est gelée, même en juin.
On insiste sur le charme, mais c’est qu’il y est pour presque moitié dans l’attrait des Joutes.
L’autre moitié étant bien sûr sa programmation de haute volée, à décrypter avec soin quand on n’est pas connaisseur : ici, les spécialités du chef sont les nouvelles musiques traditionnelles. Elles sont issues de musiques souvent populaires et régionales, qui peuvent aujourd’hui, grâce à la mondialisation des cultures, se rencontrer, pour créer de nouvelles esthétiques, liées à la fois à la tradition et à la modernité.
« Pour être plus précis, on peut faire l’analogie avec ce qui s’est passé dans les années 70, avec tout le revival folk, précise Françoise D’Astrevigne, directrice artistique du festival. Des gens comme Bob Dylan ont pioché dans les musiques traditionnelles de leur pays, en l’occurrence le blues ou la country, pour créer de nouvelles esthétiques. »
Aux Joutes Musicales de Printemps 2011, ça donne par exemple le concert de Erwan Keravec au Fort Gibron, intitulé Nu-Pipping # 1: par nu-pipping, comprenez cornemuse contemporaine, ou comment détourner de sa fonction surannée touristico-pittoresque le fameux sac à quatre tubes. Un concert iconoclaste au possible, composé de 4 pièces contemporaines, créées spécialement par des compositeurs à la demande du breton.
C’est aussi la rencontre, sur la scène du théâtre de verdure, entre Sam Karpienia, dont le travail s’inspire de la poésie courtoise des troubadours occitans, et Bijan Chemirani et Ulas Azdemi, deux musiciens trucs inspirés par la poésie mystique d’Anatolie.
Comme beaucoup de concerts ici, ce spectacle était une création, née à Correns même, au Chantier, le lieu de résidence et laboratoire des nouvelles musiques traditionnelles qui organise le festival. Tout au long de l’année, des artistes d’horizons différentes, tous très pointus dans leur domaine, viennent s’y rencontrer et créer des univers toujours nouveaux, que l’on retrouve ensuite sur les scènes du festival.
« Le but n’est pas de créer un set unique, qui ne se jouera qu’au festival. On veut inscrire ces projets dans la durée. D’ailleurs, c’est ce qui se produit la plupart du temps ; les musiciens continuent de jouer ensemble, enregistrent des disques… »
Huit formations sont passées cette année au Chantier. Parmi elles, notre coup de coeur : Bernat Combi, en duo avec Raphaël Quenehen. On ne peut pas vraiment décrire Bernat Combi. Physiquement, c’est un peu l’homme des cavernes qui a rencontré un grand nounours.
Sur scène, pieds nus, ses cheveux hirsutes au vent, il élève la voix, braille chante, grogne, glapit, gémit… Avec une justesse et un regard qui font frémir. Il tape du pied, vocifère, son visage est comme un théâtre. La partition, elle, s’inspire de chants traditionnels occitans, langue qu’il a apprise enfant dans son limousin natal, et qu’il chante donc à merveille. A ses côtés, Quenehen, jeune prodige du sax se donne à plein poumons, ou susurre des notes à peine soufflées, tout ébloui de jouer au côté du grand Combi.
Et puis l’on retourne sous les lauriers roses en fleurs et les guirlandes lumineuses, étourdi de musique et de breuvage local : Ici, foin de bière : on boit du vin bio, produit à Correns même (comme beaucoup de ce qu’on consomme ici : le village se présente d’ailleurs comme « premier village bio de France » et même les frites sont bio ! )
Enfin, pour finir, on fait tourner son petit carnet aux amis présents, qui y notent , en vrac : « Ça vient de si loin que ça te glace le sang : tu sens les décennies nobles, bafouées, romanesques » ; « Une sorte de rêve éveillé ; autour du concert, les arbres et la roche semblent attentifs au chant » ; « Je veux revenir, absolument. »
Bref, une sacrée découverte, et en un mot, une pépite à ne pas louper l’an prochain.
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