Sam Shepherd fait partie de cette trempe d’artistes anglais qui va chercher ses inspirations à travers le monde. Comme ses pairs James Holden et Four Tet, il invente humblement la musique anglaise de demain, en se basant sur l’organique, le vivant, le mobile. Floating Points donne au jazz et aux musiques world une place de choix dans son laboratoire électronique. Portrait d’un animal atypique : chercheur le jour, DJ la nuit.
Sam Shepherd est né à Manchester en 1986 et habite Londres. Il n’était donc qu’un petit enfant à lunettes, sa leçon de piano sous le bras, lorsque des milliers de mecs faisaient la danse de la liberté à The Hacienda, le club mythique de la scène Madchester (Happy Mondays, Stone Roses, New Order…), celui-ci même qui a lancé Laurent Garnier aux début de la rave.
Floating Points est aujourd’hui adoubé par Theo Parrish, Bonobo, Four Tet et Gilles Peterson, qui sont – soit dit en passant – des hommes de confiance. Son amour du 45 tours, sa double vie et son ouverture musicale en font un personnage original.
L’enfance
Le père de Sam Shepherd est vicaire. Lorsque l’artiste est encore jeune, son paternel l’invite à rejoindre l’Eglise à cause de la « diminution du nombre des chanteuses plutôt âgées », déclare l’artiste dans une interview au club londonien Fabric en 2009. Ça le barbe royal d’aller se farcir le clergé mais n’ayant pas encore suffisamment de personnalité, il accepte. Son père trouve qu’il chante bien et lui fait même passer une audition au Manchester Cathedral Choir. Il sera ensuite pris dans une école de musique de son quartier nommée Chethams où il recevra des cours de 8 du mat à 9 du soir, avec la rigueur d’un conservatoire.
Un jour, il mue et sa voix devient assez nulle et ne se prête plus trop aux chorales. Désolé, papa. Dès lors, il se fond dans l’étude de la composition et du piano jazz. C’est un instrument qu’il connaît bien et pratique depuis ses 9 ans.
En 1999, le petit Sam a 13 ans et son école se munit d’un tout nouveau studio numérique-flambant-neuf-du-futur. On lui laisse, à son grand plaisir, utiliser tout l’ancien matériel désormais laissé de côté. Pendant des années, il s’entichera de ses nouveaux amis les Korg MS20, Yamaha CS80 et Akai S90. Ses professeurs lui apprennent à s’en servir et à « apprécier le son ». Véritable entonnoir musical et fan de la techno de Détroit à l’adolescence, il lâche pour un moment « [Juan] Atkins, [Kevin] Saunderson et [Derrick] May au profit de Stockhausen, Varése, Trevor Wishart et Xenakis » et ses premières compos seront noise et bruitistes. Après avoir fait un tour du côté de Stravinsky et Debussy, la musique « classique » l’oppresse avec ses codes et ses restrictions. Direction le jazz. Une direction qui ne changera plus. Et qui le changera définitivement.
La double vie
Des études de pharmacologie vont ensuite le mener à Londres. Musique et science de la vie l’obsèdent. Il devient simultanément un étudiant brillant et DJ résident du Plastic People, un club de Londres, sous le nom de Floating Points. Après la pharma, l’étudiant se dirige vers une thèse en neuroscience (hello, le forcené). En 2011 , il a d’ailleurs planché sur « La neuroscience de la douleur ». Sam Shepherd : chercheur le jour, DJ la nuit. Hobbies : piano et production.
Le patron de label
Floating Points est aussi boss de label. En 2008, il fonde Eglo Records (site officiel) avec Alexander Nut (animateur et programmateur sur Rinse FM). La première sortie sera son propre maxi « Love me Like This » en 2009. Depuis, on lui compte 11 EP sur le label. Il aura aussi sorti « J&W Beat » sur le label Planet Mu fondé par μ-zik.
Quand il s’agit de dénicher les perles rares et de donner une une saveur reconnaissable à son écurie, il n’est pas le dernier : Fatima, Funkineven, fLako et consorts. Ils sont assez peu mais tous talentueux. L’identité d’Eglo est née aux détours d’un gimmick R’n’B, d’un sample de funk, de l’ambient music venue d’Orient ou d’Amérique Latine. Tout ce qu’il touche se transforme en or. Mais les pierres précieuses qu’il crée sont accessibles à tous. Une ruée vers l’or inépuisable.
La dimension live
L’artiste se produit enfin en live, dans son groupe le Floating Points Ensemble avec lequel il a sorti un EP, à la toute fin de 2010 chez Ninja Tune. Le disque « Post Suite / Almost In Profile » a été enregistré au mythique Abbey Road Studios, à Londres à l’occasion des 20 ans du label. La chanteuse Fatima ainsi qu’un orchestre de 15 musiciens se plaît à inventer l’avenir de la musique contemporaine anglaise, qui se fout bien de savoir si la composition est jazzy, électronique ou classique. Les mots barrière et genre musical peuvent bien quitter le dictionnaire et ne jamais revenir. Cette initiative n’est pas sans nous rappeler le génial Caribou Vibration Ensemble de son ami.
L’actualité
Cette année, on a pu l’observer dans de nombreux festivals, notamment aux Nuits Sonores et au Weather. On jouit secrètement de son ascension et de sa reconnaissance méritée. Il se produit notamment en Europe régulièrement en DJ set, seul, avec Daphni (l’alias électronique de Dan Snaith, leader de Caribou) ou aux côtés de Motor City Drum Ensemble. Il a récemment produit les géniaux EP « King Bromeliad » et « Sparkling Controversy », participé à l’album de Fatima et partagé un mix spécial Brésil, qui n’a absolument rien à voir avec l’hymne de la coupe du monde de J-Lo et Pitbull. Personne n’est parfait.
0 commentaire