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Erika de Casier, tout simplement sensationnelle

Parfois, des artistes entrent soudainement dans nos vies et envahissent durablement nos lecteurs MP3. C’est le cas d’Erika de Casier qui, à force de talent, s’est imposée comme l’une des artistes les plus passionnantes de ces dernières années. Qui aurait cru que cette Danoise, puisant ses références dans le R’n’B et la pop des années 90/2000, pourrait nous faire un tel effet ? Rencontre.

En 2019, Erika de Casier sortait son premier album Essentials, et se lançait sans vraiment le savoir à la conquête du monde. Autoproduit sur son label Independent Jeep Music, Essentials regroupait douze morceaux d’une sensualité absolue. Sur ce disque, Erika de Casier avait su créer un son chaud et rassurant, aussi familier qu’audacieux, en empruntant autant à la musique populaire génération MTV qu’à des genres plus alternatifs, en s’entourant notamment de son ami Natal Zaks (alias DJ Central) du collectif électronique danois Regelbau. « J’aime beaucoup produire mes morceaux avec Natal parce qu’on travaille vraiment ensemble, ce n’est pas du tout comme le cliché du duo producteur / chanteuse où il serait assis dans un fauteuil de studio en me regardant à travers une vitre enregistrer les voix dans la pièce d’à côté. »

Car oui, contrairement à beaucoup d’artistes qui l’ont inspirée, Erika de Casier compose et produit ses morceaux depuis toujours. « J’arrive souvent avec un morceau, on le produit avec Natal puis j’enregistre mes voix seule. On est vraiment à égalité lors de la production, même si beaucoup de gens pensent qu’une chanteuse ne peut pas produire sa musique. Cette image est tellement ancrée en nous que moi-même je doute parfois, mais j’essaie de changer ça. » Dans les douze morceaux d’Essentials, Erika parlait d’amour, de désir, de séduction, tout simplement, sans détour. 

Et alors que cette simplicité semblait intrinsèquement liée à Essentials, que ce soit dans ses productions épurées ou ses paroles directes et explicites, son successeur annonce la couleur : ce sera Sensational. « Lorsque j’ai commencé à travailler sur des nouveaux morceaux, on me disait tout le temps que le deuxième album était difficile, alors qu’à ce moment-là je n’en avais même pas conscience. Quand j’ai réalisé que c’était mon deuxième album, j’ai un peu paniqué, je ne savais pas quoi faire, et naturellement je me suis dit qu’il fallait que ça soit grandiose, donc je me suis dit ‘fuck it, je vais juste l’appeler Sensational’ ». 

Cette envie de grandiose assumée se ressent immédiatement à l’écoute de l’album, notamment sur des morceaux comme « Someone to Chill With » ou « Drama ». « Comme pour Essentials, j’ai  commencé par composer beaucoup de morceaux. Plus tard, quand j’ai choisi ceux qui pouvaient appartenir à une même famille pour composer l’album, j’ai eu l’impression qu’ils avaient tous un côté un peu exagéré et extravagant. » Dans Sensational, les productions sont en effet plus fournies, peut-être plus complexes, et une énergie irrésistible s’en échappe. « J’ai fait ces morceaux pendant le confinement donc j’avais peut-être besoin d’extérioriser des choses. En temps normal tu peux sortir, danser en écoutant de la musique forte pour te défouler, mais là je n’avais pas d’autre moyen de laisser toute cette énergie sortir. »

En apprenant à connaître Erika de Casier, on comprend très vite que ce titre d’album, Sensational, n’est pas vraiment à prendre au premier degré. On devinait déjà une ironie subtile dans le titre d’Essentials, comme si ce premier album était déjà un best-of. Cette fois encore, la qualité incontestable des morceaux s’accompagne d’une ironie brillante et réjouissante. Dans ces nouvelles chansons, Erika se laisse aller et prend du plaisir à jouer avec les clichés inhérents aux genres qu’elle travaille. « C’est certain qu’il y a un côté ironique dans le titre de l’album. Je me suis dit que c’était drôle d’aller dans une forme d’excès et d’exagération, tout en restant subtile. J’essaie d’exagérer discrètement, j’aime cet équilibre. » Cette ironie s’illustre aussi dans les clips qui accompagnent les premiers extraits de l’album. Le premier d’entre eux, « No Butterflies, No Nothing », voit Erika se transformer en personnage de soap opera baroque trop kitsch pour être vrai. « Je m’inspire aussi beaucoup du théâtre, et quand j’écoutais ces nouvelles chansons j’ai ressenti que j’avais besoin d’un personnage pour les incarner. »

Pour incarner ses nouvelles chansons, elle est même allée jusqu’à créer son propre alter ego, Bianca. Perruque brune, rouge à lèvre grenat, lunettes de soleil teintées, escarpins noirs, Erika peut désormais tout se permettre. « Bianca me permet d’exprimer une forme de démesure tout en restant moi-même. Je ne suis pas très extravagante en temps normal mais quand je mets cette perruque tout devient possible, je peux porter une petite robe, de longs gants blancs, et danser une salsa. » Ce personnage lui permet aussi d’affirmer sa personnalité et ses choix artistiques. « J’aime avoir cet alter ego que je peux incarner quand je veux, je me sens beaucoup plus libre comme ça. » 

Et là où les clips d’Essentials montraient plus ou moins ce qui semblait être sa vie quotidienne – notamment dans « Do My Thing » où une amie la filmait en train de rouler à vélo jusqu’à un club de Copenhague – ceux de Sensational mettent en scène la fabuleuse Bianca en maintenant une esthétique Do It Yourself, histoire de nous rappeler qu’Erika n’est jamais très loin. « Dans les clips d’Essentials  je trainais beaucoup avec mes amis. Et quand j’ai eu l’idée de ce personnage un peu sérieux et sensuel, j’ai vite réalisé qu’il était en fait déjà présent, notamment dans « Good Time » où je dansais dans la nature, au bord de l’eau. Donc finalement je pense que ces nouveaux clips ne sont qu’une suite logique. »

À l’image de ses clips, Erika de Casier trouve dans cet album l’équilibre parfait entre premier et second degré, mêlant ses récits intimes à une évidente exagération romantique, sans jamais en définir clairement les frontières. Cette multiplicité s’exprime également dans les productions où l’on va de la sensualité R’n’B de « Polite » et la puissance club entêtante de « Busy » – qui soit dit en passant est probablement le tube de l’année, au moins. « J’aime bien me laisser porter par mes chansons. Des fois je sens qu’un morceau se dirige naturellement vers le club, des fois c’est l’inverse. On en parle beaucoup avec Natal, et on ne détermine jamais en amont le type de prod qu’on va créer, c’est très important d’être attentif à ce que le morceau réclame »

Si l’on devait trouver une autre preuve qu’Erika de Casier n’est pas tout à fait comme les autres on pourrait mentionner le fait que ce deuxième album sort chez 4AD, label anglais légendaire pas forcément connu pour produire du R’n’B. « Signer chez 4AD a vraiment été un grosse étape pour moi, ça concrétisait les choses. J’ai eu du mal à y croire jusqu’au dernier moment, quand le confinement est arrivé j’étais persuadée qu’ils allaient revenir sur leur décision, je m’attendais vraiment à recevoir un email où ils me diraient qu’en fait c’était fini. » Finalement cet e-mail n’arrivera jamais, et Erika rejoindra donc bien Grimes au panthéon des signatures surprises de 4AD. Et malgré tout ça, il en faudrait plus pour désolidariser sa tête de ses épaules. « J’essaie toujours de ne pas avoir de trop grosses attentes sur quoi que ce soit, et je pense que c’est une bonne chose car je ne peux avoir que des bonnes surprises. » Parfaite, on vous dit. 

En fin de compte, avec Sensational, Erika de Casier confirme qu’elle maitrise parfaitement son art, entre sincérité et mise en scène, entre R’n’B, pop et tout ce qu’il y a autour. De quoi conquérir le monde, ou au moins nos cœurs. Maintenant vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas.

Sensational est disponible à partir vendredi 21 mai, chez 4AD.

Photo en une : Erika De Casier0 © Dennis Morton

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