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Dans l’unique école de musique de Mayotte

Depuis plus de 20 ans, l’apprentissage de la musique à Mayotte repose sur les épaules de l’association Musique À Mayotte, l’unique école de musique de l’île. Retour sur son histoire, ses actions et ses perspectives d’avenir sur une île radicalement différente d’il y a vingt ans, et qui verra apparaître encore plus de changements sur les dix prochaines années.

En juin 2018, l’école Musique à Mayotte a fêté ses 20 ans. Quelques jours plus tard, elle recevait l’agrément du Ministère de la Culture. Une reconnaissance méritée pour l’association qui œuvre sans relâche pour le développement et la démocratisation des enseignements artistiques et musicaux, et qui témoigne de tout le chemin parcouru depuis ses débuts.

Aux origines

En 1998, Cécile Bruckert, l’actuelle directrice de l’école, ne se doutait sans doute pas de l’aventure qui l’attendait après déjà neuf années passées sur cette petite île paradisiaque de l’océan Indien… Avec trois autres familles de « mzungus » (terme utilisé en shimaoré, la principale langue parlée à Mayotte, pour qualifier les blanc·he·s, métropolitain·e·s expatrié·e·s notamment), ils s’aperçoivent que la passion pour la musique est grande, avec une forte identité culturelle, mais qu’il n’existe pas encore de structure d’apprentissage telle que nous l’entendons en métropole. Ici, la transmission est orale, intergénérationnelle et très vivante. Ils décident alors de créer une association permettant à la fois un apprentissage « classique » et respectueux des traditions de l’île.

On peut s’interroger sur le fait que la directrice de l’unique école de musique de Mayotte soit une blanche expatriée et que l’école a été fondée autour de familles. Selon la concernée contactée par notre équipe, « l’implantation de l’école a été bien perçue« . L’arrivée de l’enseignement musique (toutes les options artistiques également : musique, théâtre, etc..) en milieu scolaire a joué en sa faveur pour démocratiser la pratique : tolérer des musiques qui sortent un peu plus du cadre traditionnel et religieux, jouer sur scène et devant un public pour des filles, etc : « depuis 5/6 ans il y a vraiment une différence. Aujourd’hui l’école s’appuie sur beaucoup de salariés, partenaires, intervenants d’origine mahoraise, et semble ancrée sur le territoire. »

Dès sa création, l’association a également la bonne idée de s’affilier à la Confédération Musicale de France (CMF), permettant ainsi rapidement la structuration de son réseau, de ses formations (avec des examens organisés selon les programmes de la CMF), ou encore la professionnalisation des encadrant·e·s. La première école de musique est créée à Mayotte au cœur de Mamoudzou, la capitale de l’île.

L’école dispense un enseignement artistique spécialisé dans le domaine de la musique instrumentale et vocale, allant de la formation initiale jusqu’au niveau requis pour intégrer les structures d’enseignements supérieurs tout en gardant à cœur d’inscrire la tradition musicale de l’île au programme. La mission pédagogique de l’école est de donner aux élèves une formation diverse et complète : « Nous désirons donner pour tous un apprentissage sain et moral basé sur l’exigence et le respect d’autrui et permettre à certains le départ d’une carrière artistique ». Pour l’association, il est clair que l’apprentissage de la musique ne se limite pas seulement à la technique d’un instrument. « Il passe aussi par la formation de l’oreille, par une compréhension du fonctionnement de la musique, par la notion de scène, de son, par l’apprentissage basé à la fois sur la tradition mais aussi en intégrant les nouvelles technologies et par une envie de culture musicale ». Une multitude d’aspects pour lesquels les élèves ont besoin d’être sensibilisés.

Pour y parvenir, un personnel qualifié et compétent, avec six enseignant·e·s à temps plein exclusivement salarié·e·s de l’école de musique, et trois à temps partiel ou auto-entrepreneurs·ses qui occupent des postes d’enseignant·e·s en collège. L’association monte progressivement en missions actées par des conventions et encourage ses enseignant·e·s à la préparation de leur DE (diplôme d’état). En 2020, deux sont en cours de préparation alors que quatre ont déjà été obtenus pour les ancien·ne·s qui ont été salarié·e·s huit à dix ans dans l’association. À ce jour, 14 personnes sont salariées de l’association et investies pleinement dans leurs missions. La force de cette équipe d’enseignant·e·s réside dans sa mixité et ses traditions diverses, pouvant ainsi être transmises aux élèves : mahoraise, malgache, zanzibarite et européenne. Le tout agrémenté de compétences diverses : jazz, classiques, actuelles et traditionnelles, ainsi qu’une offre instrumentale qui peut varier en fonction des compétences présentes sur l’île. En 2020 toujours, l’association propose les instruments suivants : piano, guitare, basse, violon, batterie, saxophone, clarinette, chant, gabussi traditionnel. Cette richesse permet donc de toucher une palette complète d’enseignements et de trouver un équilibre à l’école dans son environnement.

Projet social

L’année 2014 a marqué un tournant dans l’histoire de l’association avec l’ouverture d’une antenne en Petite Terre (l’autre île habitée de Mayotte, d’environ 11 km² et à plusieurs centaines de mètres de Grande Terre), dans des locaux généreusement prêtés par la commune de Pamandzi au sein de sa bibliothèque municipale. Cette nouveauté permet à l’école d’ouvrir les enseignements artistiques à d’autres publics notamment via une convention (régulièrement renouvelée avec la Communauté de Communes de Petite Terre, très active sur ce petit territoire) au bénéfice d’élèves de quartiers prioritaires. Il s’agit de programmes construits avec les partenaires pour développer la démocratisation des enseignements au bénéfice de publics éloignés des circuits actuellement disponibles pour des raisons économiques et/ou sociale. Bénéficier de cette source d’épanouissement personnel à laquelle chaque citoyen devrait pouvoir accéder est une nécessité pour le territoire. On sait combien l’art, la culture, la création sont source d’équilibre et ne sont pas encore assez pris en compte dans les programmes des collectivités pour participer à la lutte contre les violences urbaines dues essentiellement à la déshérence de bons nombre de jeunes.

À Mayotte, la musique circule peut-être plus qu’ailleurs et tout le monde est conscient qu’actuellement c’est plutôt le rap qui séduit la jeunesse. Mais en tant que professionnels des musiques, l’association Musique À Mayotte sait qu’il y a forcément des ponts à créer entre ce qui inspire les jeunes et leur identité, bien souvent perdue en cours de route. En effet pour les Mahorais entre l’Afrique, la France, l’Europe et pour les enfants nés aux Comores de parents comoriens entre l’Afrique, Mayotte et la France, il arrive souvent qu’il soit difficile d’arriver à savoir qui l’on est vraiment. D’autant plus que le parcours de beaucoup de jeunes est chaotique : échec scolaire, parfois délinquance, parfois pas de parents sur le territoire, conditions de vie difficiles, etc.

25 jeunes sont ainsi concernés par le dispositif Vigie. Cette nouveauté permet à l’école d’ouvrir les enseignements artistiques à d’autres publics notamment via une convention (régulièrement renouvelée avec la Communauté de Communes de Petite Terre, très active sur ce petit territoire) au bénéfice d’élèves de quartiers prioritaires. Il s’agit de programmes construits avec les partenaires pour développer la démocratisation des enseignements au bénéfice de publics éloignés des circuits actuellement disponibles pour des raisons économiques et/ou sociale.

L’école intervient par ailleurs dans le cadre des activités périscolaires avec la commune de Labattoir (Petite Terre) au bénéfice d’une trentaine d’élèves en primaire, reçoit dans les locaux un groupe d’enfants en situation de handicap en partenariat avec l’association Mlezi Maore, et reçoit également une soixantaine d’adhérent·e·s inscrit·e·s dans un cursus qualifiant.

À la rentrée 2016, grâce au soutien financier de la Direction des affaires culturelles (DAC) de Mayotte et du Conseil départemental, l’association parvient (malgré de nombreuses réticences) à ouvrir un premier niveau de préfiguration de « classe à horaire aménagé musique » (CHAM) au collège de Mgombani à Mamoudzou, convaincue depuis de nombreuses années de la nécessité de mettre en place une filière sur toute la durée d’une scolarité.

En janvier 2020, l’option est contractualisée avec le Rectorat pour les quatre années de collège. Un succès permis sans conteste par l’agrément délivré par le Ministère de la Culture en juillet 2018. L’option musique accueille plus de 80 collégiens qui bénéficient d’environ six heures d’activités musicales très variées tout au long de la semaine : pratique instrumentale, formation musicale, chorale, orchestre, chants, musiques et danses traditionnelles, pratique et fabrication d’instruments traditionnels, créations, gestion de projets artistiques. Mais la bataille n’est pas finie et les années à venir vont être consacrées à la mise en place du dispositif en primaire et la poursuite vers une option lourde en lycée. Un challenge de taille à mener avec tous les partenaires, institutions pour la jeunesse et la qualification des artistes de demain. À ce titre, Musique À Mayotte est membre actif du collectif des Arts Confondus qui œuvre pour la reconnaissance et la valorisation des métiers du spectacle. Une quinzaine de structures réfléchissent, organisent, inventent, défendent les métiers, les formations, les créations, les filières, les diffusions artistiques pour Mayotte.

Sauver les traditions

La tradition est un élément essentiel qui caractérise l’école et qui est même devenu un leitmotiv exprimé par la directrice : « Je crois que l’envie de garder, sauvegarder les instruments, les mélodies, les modes de fabrication, date de cette période de gros changement, lorsque la rapide digitalisation/mondialisation de l’île est venue chambouler le paysage musical du territoire. C’est vrai que depuis l’arrivée de l’ADSL il y a sept ou huit ans, tout le monde est rapidement tombé dans la « marmite » modifiant les codes de communication et uniformisant les goûts musicaux. Nous avons donc eu conscience que cette préservation, cette transmission entre les générations étaient extrêmement importantes et notre association s’est structurée pour agir dans ce sens ».

En effet, les savoirs des cocos et bacocos (femmes et hommes âgés) se perdent sans être transmis. Preuve en est : en fin d’année dernière, le foundi (personne qui détient le savoir) Colo Assani a subi un vol de son atelier de fabrication. Or, il est l’un des derniers à savoir fabriquer les instruments traditionnels de Mayotte. L’ensemble de l’île s’est émue de cette tragédie et une collecte a vite été mise en place afin qu’il puisse récupérer son matériel. « Heureusement, il reste un tissu associatif très vivant et intergénérationnel qui vit et pratique les danses et musiques traditionnelles. Mais au niveau instrumental, nous avions déjà perdu pas mal de factures et de pratiques ». Difficile pourtant de reprocher à la nouvelle génération sa curiosité et son attirance pour de nouveaux horizons musicaux, d’autant plus que le besoin d’émancipation est immense pour une jeunesse qui ne bénéficie pas des mêmes structures de loisirs qu’en métropole. Une ouverture culturelle qui permet en plus de belles histoires : les jeunes s’éprennent par exemple de la danse hip-hop depuis bientôt dix ans, leur permettant d’évoluer dans un cadre, de s’enrichir personnellement, mais surtout de croire en des projets et d’en être acteur·rice·s.

Pour faire face à ces difficultés, l’association s’est rapprochée de l’Académie de musique de Zanzibar. « L’objectif était de convaincre les anciens de transmettre aux enfants et qu’en face les jeunes apprécient et s’approprient ces enseignements. En cela l’académie de musique de Zanzibar dirigée par Matona (Haji Mohamed Issa) a tout de suite été un modèle. Nous y sommes allés à deux reprises pour comprendre comment ils parvenaient à concilier ces deux aspects. Depuis 2016, nous recevons chaque année entre une et trois fois Matona pour travailler sur le long terme cette transmission. Les enfants aiment bien, ils sont fiers de mieux connaitre leur histoire et cela cohabite bien avec tous les autres types de musique qu’on leur enseigne ».

Pour aller plus loin, l’école a répondu à un appel à projets, « Résonance-Écoles de musique, écoles de citoyenneté » de la fondation Daniel et Nina Carasso : « En réalisant des croquis du type carnet de voyage, nous montons des vidéos qui seront diffusées sur YouTube, pour garder une mémoire de la fabrication des instruments comme le dzendze, le gabussi, le tari fait d’une peau tendue, le m’kayamba, la flûte firimbi ou le ndzumari, l’ancêtre de la bombarde, qui accompagnait des danses qui n’existent d’ailleurs plus ». Aussi, grâce à la politique de la ville et à la DAC dans le cadre de l’appel à projet « C’est Mon Patrimoine », grâce à la Direction de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DJSCS) avec l’agrément « Jeunesse Éducation Populaire » (JEP) et grâce au Musée de Mayotte, une ouverture de poste a pu être réalisée récemment pour mener à la fois des travaux de recherches, de collectages et la mise en œuvre de stages de transmission en lien avec les « foundis » et un partenaire de Zanzibar.

Des sous, des sous

L’association comptabilise à ce jour 334 adhérents/élèves qui bénéficient des enseignements de la structure : 262 en Grande Terre (dont 68 en option musique : interventions au collège, « classe à horaire aménagé musique » CHAM) et 72 en Petite Terre (dont 25 du dispositif Vigie). Si on ajoute les autres enfants suivis chaque semaine (scolaires, périscolaires…) non adhérents, ce sont au total 600 élèves qui accèdent à l’apprentissage de la musique.

Pour assurer l’ensemble des projets menés, il est nécessaire que les financements suivent. La partie « école » pratiquée depuis le début fonctionne sans subvention de fonctionnement : seules les cotisations des adhérents calculées au plus juste permettent de trouver l’équilibre. Pour l’accueil des élèves des dispositifs option musique en collège, Vigie, ainsi que les actions sur le patrimoine, l’école reçoit des subventions de l’état : la période 2017-2019 a vu un élargissement et une pérennisation des missions de l’association grâce au conventionnement pour trois ans avec la DAC de Mayotte, et grâce au soutien progressif du Conseil départemental qui adhère à ce travail de mémoire et de valorisation.

L’équilibre financier reste cependant fragile et nécessite une veille permanente pour des missions actuellement portées par l’association mais qui devraient à terme être portées par les collectivités locales. Les contacts réguliers, les réunions, les comités de pilotage menés depuis deux ans portent progressivement leurs fruits et une réelle prise de conscience des enjeux pour la jeunesse est en train de naître. L’espoir est donc de « pouvoir développer avec les collectivités dans un premier temps des conventions triennales stabilisant les actions et avancer sur le développement de structures d’enseignements territoriales avec une politique culturelle claire ». En attendant, l’association se bat déjà pour trouver des solutions afin d’aménager ou de bénéficier d’un local plus grand pour son siège ; le bâtiment historique est inconfortable pour développer les projets dans des conditions optimales pour les élèves. C’est un sujet qui est notamment évoqué et partagé avec le collectif des Arts Confondus puisque la création artistique ne peut être optimale sans une amélioration des conditions, aujourd’hui primordiale pour l’association et toutes les conséquences artistiques qui en découlent. D’autant plus que l’équipe dirigeante actuelle, qui prône l’esprit associatif initié par les membres fondateurs, arrive à générer une ouverture significative en faveur de nouveaux publics.

Pour une île prônant son patrimoine musical, il reste encore aux pouvoirs publics d’agir en conséquence afin d’accompagner le travail de l’association Musique À Mayotte notamment, et de pourquoi pas développer d’autres structures d’apprentissage de la musique sur l’île. À l’heure d’une urgence sociale, économique, éducative, patrimoniale, etc., autrement dit à tous les niveaux, ça peut valoir le coup d’essayer à grande échelle des méthodes qui ont fait leurs preuves.

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